dimanche 18 janvier 2015

T'es pas formé pour ça mec. (Éloge du temps des Fêtes enfin terminé)

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C’est la période de l’année où t’as le summum du pire de la clientèle. Des gens que tu ne vois jamais de janvier en novembre et qui ne savent pas trop quoi acheter. Des gens qui entrent dans ta succursale comme s’ils entraient dans un nouveau monde étrange rempli de mystères. 

Ça t’accapare.
Ça pause des questions inusitées. (Vous avez du vin rouge ?)
Ça gosse.
Ça tète.
Ça glande.
Ça bouche les allées.
Ça s’agglutine à huit ou neuf devant un étalage d’Amarula.
C’est laid.
C’est visqueux.
C’est lourd.
C’est lent.
Ça tache les vêtements et ça ne part pas, même avec du gros savon.
Ça vient en troupeau pour acheter une mini de Grand Marnier et ça chipote pendant des heures à cause du prix.


T’es pas formé pour ça mec, t’es pas formé !


Ça rentre en transe ou en hypnose, va savoir, mais ça se met à fixer des bouteilles avec des grands yeux de merlan frit sans bouger pendant des heures. Et quand tu vas leur demander s’ils ont besoin d’aide, ben merde, c’est comme si tu venais de fucker quelque chose de psychique dans leur état d’anesthésique. Ça leur fait comme une grosse décharge électrique dans l’cul et ça se met à te regarder comme si t’étais la Mort en personne. Ils ne te répondent qu’avec un bref signe de la tête qui veut dire non avant de s’enfuir en courant.


Et ça pue aussi, des fois. Comme ce monsieur très chic, très classe avec son complet cravate et sa serviette en cuir noir, mais qui sentait quand même très fort le caca infecté au typhus. Tellement fort que justement, t’en arrives à te demander si ce n’était pas plutôt le contraire, c’est à dire un caca au typhus qui se serait plutôt muté en monsieur à cravate; parce que je vais te dire, le mec, c’était du féroce comme fumet. C’est où que je peux me trouver un masque à gaz et un lance-flamme pour faire mon service conseil?  


T’es pas formé pour ça mec, t’es pas formé !


T’as l’autre aussi, celui qui « connait les vins » et qui passe 2 heures devant les spécialités à te pauser des questions sur les Margaux, les Pomerol, les Gevrey-Chambertin et qui repart ensuite avec un gros Bottero.


La madame qui te pète une bouteille 2 minutes avant la fermeture à cause de sa sacoche qui est tellement grosse qu’elle doit trimballer son 5 1\2 dedans.


Et puis l’autre encore, celle qui tient absolument à te donner le 85¢ en monnaie sur une facture totalisant 20.85$ T’as une file derrière elle qui s’allonge jusqu’à la frontière mexicaine, mais elle, elle s’en tape. Son trip, c’est de gosser dans son portefeuille pour trouver le 85¢ flush. C’est comme un jeu, mais dans lequel elle y mettrait sa vie. Des fois, sa main tremble parce qu’elle n’est plus toute jeune, mais tu t’abstient de l’aider parce que ce n’est pas très convenable de piocher dans les portefeuilles des mémés accros à la juste équation.
T’attends.
Et c’est long.
Quand enfin elle y arrive, elle flotte de bonheur. C’est la plus belle journée de sa vie. La naissance de son fils ? Ce n’était rien à comparer à la joie d’aligner sur ton comptoir 3 trente sous et un dix cenne.
Mais quand elle ne l’a pas, c’est la dépression nerveuse qui commence là, sur ton comptoir. Elle se voit obliger de sacrifier un 2$, ou pire encore, un billet de 5$. C’est rien de moins que l’effondrement de toute une vie que tu vois défiler dans l’éclat de sa pupille qui s’éteint doucement.


T’es pas formé pour ça mec, t’es pas formé !


T’as ceux de la tribu des Tapassa, qui est une grande communauté englobant toutes les nationalités du monde et qui se trouve en faite à être une branche spécifique des homo-sapiens, mais qui évolue toujours dans le négatif interrogatif. On les reconnaît facilement à leur manière singulière de se présenter.
Tapassa du Gautier ?
Tapassa du Cristal Head ?
Tapassa de l’arak ?


T’as celui que j’ai surnommé « le Chirurgical » parce qu’il te demande toujours un produit très spécifique, genre une boisson artisanale faite à partir d’une couille de grenouille extraite à vif par une nuit de pleine lune sur le plus haut sommet de l’île de Tahaa dans les îles de la Polynésie Française et que c’est très populaire là-bas, qu’il avait goûté ça avec sa femme lors de leur dernier voyage et qu’il ne comprend vraiment pas pourquoi tu n’en vend pas. Il ne se souvient plus du nom du produit et tu lui réponds « C’est sûrement du Tapassa monsieur ». L’autre, il ne comprend même pas ton sens de l’humour hyper sophistiqué mais il est certain que Tapassa, c’est pas ça. Il te demande même de faire une recherche dans l’intranet et tu acceptes pour lui faire plaisir, mais le moteur de recherche du site de la l’entreprise il se met à sentir le brûlé quand t’écris « liqueur de couilles de grenouille extraite à vif » tellement il pédale fort pour trouver kékchose qui ressemble à ça. Tu lui dit que t’as rien trouvé et juste parce qu’il commence à s’énerver et que tu ne veux pas qu’il te pète une crise cardiaque sur ton plancher de vente, juste devant le cut caisse de Appletown et que ce serait une catastrophe pour le reste de ta clientèle qui ne boit justement que du Appletown, tu lui propose de chercher dans Google, des fois que. Mais quand tu Googueulise tout ça, ça t’amène sur des sites étranges où il est question que Hitler était en réalité une femme et que le monde serait contrôlé par des reptiliens à apparence humaine. Tu ne sais vraiment plus quoi faire, mais coup de chance incroyable, tu vois Pete, ton collègue qui sort du back store et tu dis au monsieur d’attendre deux secondes. Tu vas ensuite voir Pete en courant et tu lui dit qu’il y a un monsieur qui est super intéressé par les Champagnes. Forcément, vu que Pete adore parler de Champagne, il se précipite vers le monsieur. Mais juste avant, tu lui dit que tu t’en va bouffer et que tu reviens dans une heure. Bref, tu te pousses et tu laisses le client à Pete. C’est toujours comme ça que je m’en tire avec le Chirurgical.


T’as le petit monsieur Italien avec sa casquette tellement vissée sur sa tête qu’on est certain que sa mère l’a accouché dedans et qu’il s’est développé en dessous pendant les dernières 85 années. Ses doigts sont tout craquelés à force de travailler dans la terre et les cailloux. Il porte inévitablement un manteau par-dessus un veston par-dessus un chandail de laine. Aucune fantaisie dans son habillement. Tout est gris. Même ses yeux. Même son bonheur. Il est au Canada depuis que Mussolini avait chassé sa famille de son village en 1935, mais qui ne parle ni français ni anglais et que les muscles de sa bouche et ses cordes vocales ne savent qu’émettre trois syllabes qu’il hurle avec un filet de bave aux coins des lèvres comme si sa vie en dépendait : « SAM-BU-CAAAAAAAAAAAAAA ! »


Et t’as les autres encore, ceux qui suivent ton charriot rempli de caisses de vin. Tu veux aller à droite, alors ils vont à droite. Tu veux aller à gauche, alors ils vont à gauche. Ils possèdent ce don incroyable de se placer le cul exactement là où tu dois aller. Et t’avances pas. Et ça traine. Et ça gosse. Mais sont toujours là où tu dois placer tes bouteilles. Y sont comme les petits poissons qui suivent les requins pour manger les restes de leur repas. Ou les ti-zoiseaux qui vont picorer les tics et moustiques sur le dos des hippopotames. Y s’nourrissent de ton oxygène. Ils te piquent des pans entiers de ton petit jardin secret. Ils adorent aussi se planter juste à côté de toi quand tu remplis la tablette du bas et que t’es à genoux. T’as alors la tête au niveaux de leur bassin et c’est très dérangeant comme sensation. Surtout si c’est un bassin de mec.


T’es pas formé pour avoir la tête près d’un bassin de mec, t’es pas formé pour ça !

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