Mon amie et collègue présente une toile à l’expo de la Casa Italia sur
la rue Jean-Talon. Cette exposition tient à présenter les jeunes artistes
montants de la communauté italienne de Montréal. Je devais y aller pour le
vernissage, mais au boulot, on m’a demandé de faire du temps sup. 3 heures à
temps et demi, je ne pouvais pas vraiment refuser. D’autant plus que c’était 3
heures vraiment données où il n’y avait pas grand chose à faire vue que je
venais de passer la journée à remplir le magasin comme pour nous préparer à une
guerre nucléaire. Sur ces trois heures, j’ai passé la dernière à descendre un
vin de la Loire avec une sympathique cliente.
Comment ça c’est dégueulasse ? Faut bien que j’y goûte à ces vins
si je veux les conseiller ! Non mais !
L’expo, j’y suis allé le lendemain. Tout seul avec mes petits yeux,
parce que bon, je suis célibataire d’une part, et que d’autre part, je suis
entouré de potes qui n’en ont vraiment rien à cirer de la peinture.
Je ne les juge pas remarquez, mais il y a des fois où je me dis qu’ils
devraient peut-être regarder un peu moins de hockey et un peu plus de création.
Mais c’est mon opinion et vous n’êtes pas obligé de la partager. Je vous aime
quand même.
J’ai garé ma voiture juste devant la salle d’expo, ce qui est toujours
chouette quand tu vas voir une expo. Et il n’y avait même pas de parcomètre en
plus. Ça compensait pour le gris de la journée et de son ciel trop bas. Quand
je suis entré, j’étais le seul visiteur et la dame qui s’occupait de recevoir
les visiteurs justement, elle était en train de lire un livre au milieu de
toutes ces toiles. J’aime voir les expos quand je suis seul dans la salle. Je
me souviens au Musée de Québec, dans la salle réservée exclusivement aux œuvres
de Riopelle, j’étais tout seul devant ces assauts de couleurs et de blanc. T’as
jamais remarqué la force du blanc de Riopelle ? Non ? Ah bon, c’est
que tu dois regarder trop de hockey alors. Je me trompe ?
La madame, quand elle m’a vu entrer, elle a déposé son livre sur sa
petite table et est venue à ma rencontre, comme si j’étais de sa famille.
Chaleureuse et souriante. Elle avait cette dégaine de gentille madame Italienne
qui doit faire de la bouffe magnifique que juste à rentrer dans sa maison, ça
doit sentir bon la sauce aux tomates et les fines herbes fraîches. Le genre de
grosse madame Italienne que t’aurais envie de louer cinq fois par semaine pour
qu’elle te fasse à bouffer quand tu reviens du boulot et qui te refilerait
pleins d’assiettes remplies à ras-bord de bonne bouffe italienne en te disant
« Ma ké ! C’te mounsieur, il y toute maigre ! Il fa pitié à
force d’itre toute maigre ! Il fou manneger, ma ké ! Allez, mannegez,
mannegez ! » C’est vrai que je suis trop maigre à force de ne pas
avoir de madame Italienne pour s’occuper de moi. C’est où qu’il faut signer les
papiers pour adopter une grosse madame italienne comme ça ?
Anyway.
Elle m’a expliqué le topo sur l’expo et m’a ensuite laissé seul à ma
découverte. Et sincèrement, j’ai été épaté par les pièces exposées. Pas toutes,
bien sûr, mais je ne m’attendais pas à trouver autant de belles surprises dans
un événement comme celui-ci. Je glisse ici quelques photos que j’ai prises.
Pardonnez les mauvais cadrages, je suis nul en photo.
J’étais content pour ma pote et collègue que j’aime beaucoup à force
d’être gentille et toujours souriante avec moi. Elle a beaucoup de talents,
mais se retrouve dans une période cruciale de sa vie où elle devra bientôt
faire des choix pour l’avenir. Grosso modo, elle travaille à deux endroits
différents. Chez nous, dans cette société d’État que je ne nommerai jamais ici
pour des raisons évidentes de confidentialité qui me protègent des éventuelles
poursuites de toutes sortes, et chez elle, comme pigiste en traduction. Oui
mais, elle manie aussi le pinceau et je la soupçonne d’être avant tout ça, dans
son cœur et dans son âme, une créatrice.
Une artiste.
La suite de sa jeune vie va se jouer dans les prochaines années. Dans
les prochains mois. Elle va bientôt devoir choisir entre la sécurité apportée
par un boulot payant et entre l’incommensurable inquiétude d’une vie d’artiste
peintre où à peine 1 % des adhérents parviennent à payer leur loyer.
Elle ne pourra pas faire les deux ?
Non.
Si elle opte pour la sécurité, sa peinture deviendra un simple
passe-temps. Et dans deux ans, ou trois, ou cinq, quand elle aura un enfant, le
passe-temps sera subordonné à l’obligation d’assurer à l’enfant bouffe et
sécurité. Elle se dira « je vais remettre ça à plus tard, quand j’aurais
le temps ». Mais le temps ici bas est la denrée la plus précieuse du
vivant. La plus pernicieuse aussi. Quand l’enfant quittera la maison, quand
elle aura enfin le temps, elle réalisera qu’elle vient de passer 20 ans sans
toucher à ses pinceaux. Elle aura 45 ans, ou 50, ou 55. Un jeune collègue de
travail à elle de 25 ans l’invitera à une expo où il présentera sa première
œuvre. Elle ira, mais pas lors du vernissage parce que son patron lui aura
demandé de faire 3 heures en temps sup et qu’elle ne pourra pas refuser vu que
20 ans plus tôt, elle se sera mise des chaînes aux pieds en optant pour la
sécurité. Elle ira juste le lendemain, après que tous les exposants soient
partis. Elle trouvera une place de parking juste devant la salle d’expo et elle
se sentira chanceuse parce qu’il n’y aura même pas de parcomètre. Elle entrera
dans la salle d’expo et elle sera un peu surprise d’être seule personne
présente avec une grosse madame Italienne qui sentira bon la sauce aux tomates
et les fines herbes fraîches. Elle regardera chacune des toiles des exposants,
mais s’arrêtera plus longuement devant celle de son jeune pote. Et comme moi
hier après-midi, elle se dira « Vas-y ! Fonce ! T’as le
talent pour le faire ! »
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