Nous sommes une sacrée bande d’assoiffés. Mais
faut nous comprendre avec le boulot qu’on se tape. Je te verrais bien toi
soulever des caisses de vin toute la journée sans que ça ne déclenche dans ton
petit intérieur une folle envie de t’en farcir une, de bouteille. C’est trop
facile de quitter le travail en t’en payant une avec ton rabais d’employé.
Comme on dit, on rapporte du boulot à la
maison.
Minutieux nous sommes.
Zélés même.
On est comme ça, que veux tu.
G…, une collègue et amie, a décidé de passer
tout le mois de novembre sans prendre une goutte. Elle tient bon et même
qu’elle trouve ça plutôt facile. Elle est la première surprise. Elle m’a invité
à souper hier soir et je ne savais pas si je devais y aller avec une bouteille
de vin ou pas. T’empêche pas, qu’elle m’a dit. Ça ne me dérange vraiment pas.
J’ai passé le teste l’autre soir chez mes parents et je n’ai même pas ressentie
d’envie d’en prendre un verre.
N’empêche, je me sentais un peu dégueulasse de
me pointer là avec ma bouteille de blanc. Une côte de Blaye beau bon pas cher
comme on dit à nos clients. Elle, elle buvait une sorte de tisane qui sentait
les épices ou ch’sais pas quoi. Faut dire que G… patauge depuis quelques années
dans les machins santé, végés et bouddhistes. Sur le comptoir de sa cuisine,
elle m’a montré cette grosse cruche en verre avec un liquide dégueulasse
dedans. Genre brunâtre comme de l’eau de vaisselle devenue froide après y avoir
trempé l’équivalent de trois restaurants d’assiettes sales. C’est un machin
santé dont la base est un champignon fucked up que tu dois faire macérer dans
ch’sais pas quoi et que ça prend quelques jours avant que ça devienne buvable
après y avoir fait je ne sais quelle mixture avec des racines de ch’sais pas
quoi, mais que c’est Chinois. Je l’adore G…, mais je ne boirai pas de ce
machin, ça c’est certain. Sur la sécheuse, il y a un extracteur à jus dans
lequel elle s’affairait à y crisser des pommes, des oranges, des bananes et
tout un tas d’autres fruits qui n’en finissaient plus de laisser couler leur
liquide opaque et coloré dans un récipient qui servait justement à ça. Son
truc, son extracteur à jus, il a la forme d’un chien de chasse aux aguets. Et
quand elle le place sur sa sécheuse, on dirait qu’il pointe je ne sais quel
gibier derrière sa fenêtre de cuisine. T’as toujours l’impression qu’il va se
mettre à japper. Ou à mordre si tu t’approches de trop près et que t’es pas
végétarien comme elle. Ils peuvent sentir ça les extracteurs à jus. Faut pas
déconner avec eux, surtout s’ils n’ont pas de muselière.
G… donc ne prends plus une goutte et fait du
yoga. Elle prend aussi des cours de massothérapie et dans son salon, il y a une
table de massage qui se plie en un rien de temps et qui m’a fait penser au lit
de campagne de Napoléon. Elle lit Krishnamurti dont elle m’a fait cadeau d’un
de ses livres (L’éveil de l’intelligence) qui repose sur ma petite table en
verre et qui prend de plus en plus de poussière. Pas que ça ne m’intéresse pas,
mais j’ai encore « De l’inconvénient d’être né » à lire et j’ai peine
à m’imposer des priorités de lectures. On est comme ça nous, les torturés de la
vie.
G… était contente de me voir et c’était
réciproque, même si elle ne boit plus. Enfin, pour le moment. Elle avait trois
sous dans les poches mais m’avait tout de même fait un souper de roi avec des
machins où il n’y avait même pas de viande et puis des frites cuites dans de
l’huile de canola.
Sont comme ça les végés. Que voulez vous.
J’ai mis un temps avant d’ouvrir ma bouteille
parce que bon, j’étais un peu mal à l’aise de la voir siffler du jus de cactus frelaté
ou de j’sais pas quoi. Et puis quand j’ai bu mon vin, je l’ai fait
subrepticement, discrètement, en tétant chacune de mes gorgées en m’excusant
presque.
Elle a fait une mayo à l’estragon qui était
délicieuse avec les frites. Et puis après le repas, on a parlé de nos vies en
jouant aux cartes. Mais les cartes étaient bien secondaires. Oui bon, comme
toujours, je la regardais être belle avec des envies qui te remontent du bas
ventre. Va pas penser que ces machins s’effacent avec l’âge. Ça reste là, mais
avec elle, c’est non. Je le sais, j’ai essayé déjà. Deux fois. Ou trois. Ou
peut-être même quatre, cinq ou dix. J’sais plus.
Je suis parti même pas en état d’ébriété. Comme
quoi je fais des progrès.
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