Été 1973.
Cet album est sans doute numéro 1 au palmarès
et joue en permanence depuis des jours sur la table tournante de mon ainé de
frère, celui par qui la découverte musicale arrive toujours. Paul McCartney
frise le génie d’une plage à l’autre sur les deux faces de cet incomparable 33
tours. Probablement son meilleur album à vie sans ses légendaires copains de
Liverpool. Chaque pièce s’imbrique avec la précédente comme autant de pièces d'un puzzle.
Dès que j’entends cette chanson, la magie des
souvenirs me ramène immanquablement à l’été de mes dix ans. Dès les premières
notes de guitare, ça vient me chercher et c’est parfois si fort que j’en arrive
même à sentir l’odeur de cet été merveilleux vécu dans une banlieue plantée
près d’un fleuve qui se cache trop souvent. Ça sent bon la pelouse fraichement
coupée et le soleil du matin qui tape dans la cour arrière.
Quoi ? Kess tu dis toi ? Que le
soleil du matin qui tape dans la cour arrière n’a pas d’odeur ? Si tu dis
ça c’est que tu n’as jamais été un enfant. Y a des parfums dans tout quand t’as
dix ans et que tu es heureux. Même dans les couleurs. T’as jamais remarqué que
le bleu sent bon le cadeau de Noël et que le jaune sent bon les étoiles ?
Non ?
Mais t’es pas normal ou quoi ?
Été 1973 donc. Je ne sais pas pourquoi, mais
nous gardons à la maison mes deux cousines et mon cousin pour quelques jours. Des
jeux et des rires tout le temps. La normalité est bousculée par leur réjouissante
présence. C’est fantastique.
Dans le sous-sol, du côté « non
fini », y a la fournaise à l’huile tout au fond. La terrible fournaise à
l’huile. Elle vit d’octobre à avril en faisant des bruits atroces quand elle se
met en marche. On dirait qu’elle est toujours furieuse d’exister et qu’elle
aimerait bien se payer l’un de nous pour souper. C’est qu’elle nous boufferait
la salope si on n’y prenait pas garde. L’été, elle dort. Mais on la sent ne roupiller
que d’un œil. L’autre nous guette. Si elle ne nous attrape pas, c’est qu’elle
est trop alanguie par la chaleur de juillet. Mais elle nous guette ! J’en
suis certain !
Le trip méga effrayant, c’est de jouer à la
cachette de ce côté et de se trouver une planque après avoir fermé la lumière.
Il fait noir comme chez le loup. On a la chienne et on en arrive même à avoir
hâte de se faire repérer par celui ou celle qui, dans le jeu, est en chasse des
autres. Mais c’est quand même chouette. Au fond de nous, on sait que c’est une
réalité qui ne nous tuera pas. Nous avons 8, 10, 11 ou 12 ans. Nous sommes
éternels.
T’es toujours éternel quand t’as 10 ans en
1973 et que ton grand frère vient de te faire connaître Band On The Run.
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