Je n’ai pas beaucoup écrit ces derniers mois.
C’est que je n’avais pas vraiment la tête à ça. Ma tête, elle était avec toi
papa.
Toujours.
Tout le temps.
Dès que je déposais mes doigts sur le
clavier, des images de toi me revenaient. J’avais beau prendre des notes sur
ces petites choses cocasses que je voyais dans la journée pour ensuite les
glisser dans ce blogue, mais dès que je m’y attelais, la futilité de l’exercice
m’en décourageait. Tout me semblait si secondaire en comparaison à ce que tu
vivais.
Je t’ai caché des choses papa. Si, si, je
t’ai caché des choses. Tiens, au printemps dernier par exemple. À mon chalet,
quand la municipalité voulait que je plante des arbustes pour protéger ma
berge. Nous devions y passer toute la fin de semaine ensemble toi et moi pour
ne faire que ça. Travailler dans la terre, planter des arbres, pousser la
brouette, ça t’appelait. Nous avions prévu la chose deux semaines à l’avance et
tu m’en parlais à chaque jour. Mais le matin où nous devions partir, maman
m’avait skypé pour me dire que tu avais passé une très mauvaise nuit. La première
vraie mauvaise nuit d’une longue et terrible série de mauvaises nuits. Tu avais
de la morphine qu’on t’avait prescrit, mais que n’avais pas encore touché. Ou
si peu. Par-ci par-là, quand la douleur devenait insupportable. Comme si le
fait de commencer à en prendre régulièrement te faisait entrer officiellement
dans la grande liste des cancéreux. Mais ce matin-là, tu n’as pas eu le choix
de piger à heure fixe dans tes réserves. D’ailleurs à ton visage, je voyais
bien que la souffrance était officiellement entrée dans ta vie. L’ennemi était
vraiment là, en toi, et commençait à te ravager l’intérieur. Tu t’étais
d’ailleurs sérieusement affaibli pendant l’hiver. Tu avais maigri et tu
commençais à marcher péniblement. T’essayais de cacher tout ça, mais on voyait
bien que ton pas manquait de fluidité. Le côté droit de ta hanche te faisait un
peu traîner la patte.
Pas grave ! Allons planter des
arbres ! Mais pour rassurer maman, nous n’allions faire qu’un aller
retour.
Je t’ai caché des choses je te disais. Tu
veux savoir quoi ? Tu te souviens des petits cèdres qui poussaient sur mon
terrain ? Tu m’avais dit qu’ils étaient parfaits pour débuter notre
ouvrage, qu’en les transplantant à 10 pieds de la berge, leurs racines allaient
donner une première ligne de défense adéquate pour protéger le lac des effets
de l’érosion. Après quoi, je n’aurais qu’à planter plantes et arbustes qui se
trouvent en abondance près des rivières et des lacs de la région. Ce que j’ai
fait d’ailleurs une partie de l’été. J’allais pêcher en traînant toujours une
pelle avec moi. Quand je voyais une plante d’eau qui me plaisait, hop ! Je
la déterrais et je la balançais dans le coffre de ma voiture. Une fois arrivé
au chalet, je me dépêchais de la planter entre le lac et les cèdres, comme tu
m’avais montré.
J’écris mal ce matin, désolé. J’ai encore la
tête remplie de toi, des tes derniers moments et de tes derniers sourires. Ça
me fait à la fois du bien et du mal. Et puis je me dépêche parce que je dois
aller travailler. C’est un texte tout croche papa, désolé. Mais il y en aura
d’autre beaucoup mieux torché.
Bon, qu’est-ce que je disais ? Ah ouais,
je t’avais caché des choses. C’est toi qui avais la pelle ce jour là. Tu
voulais donner la première pelletée au pied du premier cèdre à déterrer. Mais
quand est venu le temps de planter la pelle dans la terre, tu n’as pas été
capable. T’avais déjà plus de force mon petit papa. Même en donnant des coups
de pied sur le rebord de la belle, celle-ci s’enfonçait à peine dans le sol.
D’ailleurs, ce n’était plus que des petits coups de pied de rien du tout. Tes
os étaient déjà trop touchés par ce monstre qui te bouffait l’intérieur. On a
rien dit, mais on savait tous les deux que cette chienne de l’enfer avait déjà
entamé sa triste besogne. Aucun arbuste, aucune terre, aucune pelle ne t’avait
résisté jusque là. Depuis que je te connais que je t’ai toujours vu vaincre les
sols les plus pierreux. De te voir peiner sur cette petite chose ridicule,
incapable de rentrer ta pelle dans le sol, ça m’a transpercé le cœur papa.
Respectueusement, je t’ai demandé la pelle en disant « Attends, je vais
essayer ». Dès que j’ai mis la pelle dans la terre, j’ai su à quel point tu
étais rendu faible. Parce que la pelle papa, et je vais enfin te le dire
aujourd’hui, elle rentrait comme dans du beurre. Je n’avais qu’à appuyer sur le
rebord pour la faire pénétrer jusqu’au manche. Mais tu sais quoi papa ? Je
t’ai caché un truc. Si, si. Je t’ai caché un truc. J’ai fais semblant d’avoir
du mal à la planter pour ne pas que tu sois trop dévasté. J’ai menti, joué les
cons. Je t’ai dit « Ah ! Mais c’est parce qu’il y a une racine. C’est
pour ça que ça ne rentre pas. » Puis j’ai déplacé la pelle juste à côté. « Voilà,
c’est mieux ici ». J’ai ensuite gardé la pelle.
Désolé petit papa. Je t’ai caché tout ça.
Mais te connaissant, je crois bien que tu avais deviné. Fallait juste que je te
le dise. J’en avais besoin.
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