Le mec, mon patron,
il vient de chez Maxi. C’est mon nouveau directeur, celui qui remplace la
précédente, la gentille, celle qui est en congé de maternité. Ça ne fait pas un
an qu’il est en fonction. Au début, je l’ai vraiment aidé à s’adapter et à
prendre le rythme de la boîte. Oui bon, il a voulu prendre possession de la
succursale, mais mec, cette succursale-là, elle est à MOI ! Gentiment,
poliment, diplomatiquement, je lui ai expliqué qu’on n’était pas chez Maxi et qu’il
ne gérait pas des ados boutonneux. Je lui ai montré qu’il devait d’abord mettre
l’équipe de son côté, et ensuite imposer sa vision. Pas l’inverse. Surtout si
tu ne sais pas faire la différence entre Pinot Gris et un Pinot Noir.
Tsé.
Mais malgré ses
petits défauts, il parvenait relativement bien à s’adapter. Même qu’à un
moment, et parce que je suis un bon mec, je l’ai invité à nos parties de hockey
du dimanche soir. Oui bien sûr, il y a eu des moments où il a fallu lui montrer
le droit chemin, le mettre au pas comme on dit, le dresser (« je ne suis
pas un chien » qu’il avait répondu, outré, à mon pote et collègue quand ce
dernier lui avait lancé cette phrase pour lui expliquer le cheminement qui
l’attendait dans notre succursale) et parfois, il me le reprochait. Je me
souviens de cette conversation où il m’avait dit « tu sais, tu n’as pas
toujours été facile avec moi ». Du coup, je me suis esclaffé solide avant
de lui répondre. « Tu ne sais même pas à quel point je t’ai protégé mec. Je
t’ai chouchouté, bichonné comme tu ne peux même pas te douter. Et si je l’ai fait,
c’est parce que je l’ai promis à XYZ (l’ancienne directrice) qui m’avait
demandé de te donner une chance. Quand je ne serai vraiment pas facile avec
toi, et je ne te le souhaite pas, tu vas te rappeler de cette
conversation ».
Le clash est venu
avant les Fêtes. Une suspension contre mon pote.
Un black.
Je précise parce que
c’est pertinent dans l’histoire.
Je raconte
rapidement : un client blanc fait chier une collègue black. Il l’insulte
et tient sur elle des propos racistes. Il passe deux ou trois fois par semaine
et dépose plainte sur plainte contre ma collègue qui refuse de le servir. Nous,
les collègues, on décide aussi de ne plus le servir en guise de solidarité.
Eux, la direction, nous oblige à le servir. On discute, on se rencontre à la
maison mère, on parle à des RH et à une panoplie de conseillers, mais ils
persistent : on doit le servir quand même. Nous, on refuse encore. Simple
question de moral et de gros bon sens. (Je rajoute : notre succursale est
située en plein cœur de la communauté haïtienne. À cette succursale, 50 % de
mes collègues sont ou Haïtiens, ou blacks ou provenant d’une minorité dite
« visible » quelconque, donc très sensibles à ce genre de problème.
Notre clientèle est haïtienne à au moins 65%. Donc, dossier très très très très
glissant. Et eux, les cons, ils veulent suspendre un collègue black qui
travaille dans une succursale située dans un quartier de blacks parce qu’il a
refusé de servir un blanc raciste qui a lancé des injures racistes à une
collègue black ! Allllllooooooooooo !!! Vous voulez vraiment qu’on
parle de vous dans les journaux !!?? ) Ils nous disent : si vous
refusez de le servir, on devra sévir. Nous, ou plutôt le Che, mon délégué que
j’accompagne à la maison des boss, leur répond « Sévissez et vous
verrez ».
Ils ont sévi et
effectivement, ils ont vu.
Quand les rares fois
où t’arrives à faire tomber une suspension, le délai se compte en mois. Dans ce
cas-ci, en seulement 5 petites journées après avoir suspendu mon pote et
collègue (black) qui avait refusé de servir le client raciste, ils sont revenus
sur leur décision.
Un record absolu. (Et
un autre coup de maître de mon délégué qui en a profité au passage pour éponger
et effacer des mesures disciplinaires de 4 autres collègues pour des raisons
qui n’avaient aucun lien avec ce dossier, sauf pour la couleur de peau des
« accusés ». La direction a tellement été ébranlée par notre riposte
qu’ils ont tout donné à mon délégué.)
C’est à partir de ce
moment-là que mon directeur a fait le con. Car devant les autres directeurs
lors de leur souper de Noël, faisant le fier et se pétant les bretelles, il a
été se vanter comme un con qu’il donnerait personnellement la suspension à mon
pote et que tout irait bien, qu’il m’avait dans sa petite poche et qu’il
contrôlait MA succursale. Chose qu’il ignorait, c’est que les autres directeurs
se sont bidonnés tout bas en entendant ça et que l’un d’eux nous a même contactés
pour nous raconter la scène en nous précisant mille fois qu’eux, les autres
directeurs, n’étaient pas du tout d’accord avec la suspension et qu’ils se
dissociaient totalement (par pitié !!) des désagréments que ce geste
suicidaire allait causer.
Là, ouais, mon
directeur a compris ce que je voulais dire quand je lui expliquais que malgré
ce qu’il en pensait, j’avais été vraiment « soft » avec lui.
Un exemple ?
J’en ai mille. Mais
je n’en citerai qu’un seul.
La communauté
haïtienne de Montréal compte environ 200 000 membres. Ils sont tissés serrés et
se connaissent tous, ou connaissent toujours un type par le fait que c’est
l’ami du cousin de celui ou de celle-là. Dans ma succursale, j’ai des tas de
clients qui appartiennent à des gangs de rue et qui sont tout de même très
sympas. J’en ai d’autres qui n’appartiennent pas à des gangs de rue, mais qui
ont tout de même des looks de tueurs en série et qui viennent toujours en
bande. Ils me connaissent, savent que je suis le rigolo de la place, que je
déconne avec eux et je dirais sans me vanter que grosso modo, la vaste majorité
des Haïtiens de Montréal qui carbure au rhum me connaît et m’apprécie.
Ceci étant dit, dès
le lendemain de la suspension, à la première minute de mon premier quart de
travail, voilà-t-y pas que se ramène une bande de blacks à la mine plus que
patibulaire. Ils s’amènent à mon comptoir et achètent quelques bouteilles de
cognac. Je leur dis « hey les mecs, vous connaissez Max (nom
fictif) ? Il a été suspendu. » Ils me demandent pourquoi. Je leur réponds
que c’est parce qu’il a refusé de servir un client raciste qui insultait Martha
(nom fictif de ma collègue). Les réactions ne se font pas attendre.
« T’es-tu sérieux tabarnak ! Yo, c’est quoi l’affaire ? »
Mon directeur qui est à une distance relativement proche et qui entend tout, se
met à rentrer très profond sa tête devenue toute blanche entre ses épaules pour
essayer de se faire le plus petit possible. Et moi, et parce que je suis
vraiment un humaniste profond qui déteste l’injustice, voilà-t-y pas que je
pointe mon index en direction de mon directeur en leur disant comme ça, tout
bonnement, et parce que je veux que mes gentils clients soient bien informés de
toute l’histoire « C’est lui qui l’a suspendu ! »
4 jours plus tard, la
direction a décidé d’annuler la suspension de Max.
C’est fou quand même
le pouvoir d’une communauté qui se tient.
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