Soirée avec trois
collègues à regarder la partie de hockey et à parler du boulot. Chouettes potes
qui parlent de solidarité et du principe d’équipe. Depuis notre dernière
victoire, depuis qu’on a réussi à faire renverser une suspension en 5 petites
journées, mes collègues n’ont jamais été aussi soudés. Ils sont fiers de ce
qu’ils ont accompli. Moi aussi je suis fier. Fier d’eux. Heureux de les voir se
tenir debout sans la moindre peur. Ils n’ont plus peur.
Je n’ai même plus
rien à dire, je n’ai même plus rien à faire, ce sont eux qui proposent et qui
agissent. Ils me tiennent au courant des actions prises dans telle ou telle
succursale. J’ai donné l’exemple, ils suivent avec une assurance qui fait
plaisir.
Ils viennent de
comprendre qu’ensemble, tous unis, nous sommes une force terrible.
Et puis surtout, ils
viennent de comprendre que les patrons chient dans leur pantalon de nous savoir
unis. Nous sommes une division à part. Notre spécialité est de dégommer des
directeurs qui veulent jouer les gros bras. Notre nouvelle cible est le
directeur qui a suspendu Sam. Notre technique est de le faire suer, certes,
mais aussi et surtout de faire suer les autres directeurs de la division en
leur expliquant que tout ça est de la faute de XYZ, le directeur qui a suspendu
Sam. Tant que XYZ restera dans la division, vous allez tous payer. Forcément,
ça créé des frustrations chez les autres directeurs. Ils en viennent à détester
XYZ. C’est le but et ça finit toujours par marcher.
Keep it simple
stupid !
T’as un problème avec
un directeur ? Vise tous les directeurs.
Sam, celui qui fut
suspendu, est devenu un leader. Il va de succursale en succursale répandre la
bonne nouvelle aux autres directeurs. Pierre, tout timide et low profile,
répond maintenant aux directeurs que ses efforts de travail sont à la mesure des
heures données sur le terrain et du respect donné par XYZ aux employés. Stef est
un roseau qui plie, mais qui ne casse jamais. T’as beau taper dessus, il finira
toujours par se redresser avec le même sourire baveux sur le visage.
Belle équipe.
Belle soirée.
On a bu
raisonnablement, sans excès, sans débordement. Sam revenait sans cesse sur sa
suspension. Avant d’arriver à Montréal-Nord, Sam travaillait à Laval. Le seul
black dans sa division. Quand des clients blacks entraient dans sa succursale,
les directeurs les suivaient pas à pas. Black = Voleur, c’est bien connu. À
Laval, Sam se mangeait des mesures disciplinaires pour des retards de 30
secondes tandis que les autres employés blancs pouvaient se taper des retards
de 30 minutes sans problème.
Ne vous offusquez
pas, c’est encore comme ça au Québec.
En arrivant dans ma
division, Sam a compris que ce n’était pas la même game. Les directeurs qui
donnaient des mesures pour des retards de 1 minute, ils sont tous morts. Gracieuseté
du Che et un peu de moi.
Ce soir, dans ses
conversations, Sam revenait sans cesse sur sa suspension. Suspension donnée par
un directeur venu de l’externe, un ancien de chez Maxi. Un type qui ne m’a pas
écouté quand je lui ai dit de ne pas faire ça. Un type qui n’a pas écouté les
autres directeurs de la division qui lui disaient de ne pas faire ça. Un type
qui n’a pas écouté le Che qui lui disait de ne pas faire ça.
Il l’a fait quand
même.
Sam n’en revenait pas
quand il m’a vu mettre mon poing sous la gueule du directeur à la lecture de la
lettre de suspension ; ne comprenait pas quand j’ai renversé le chariot
dans l’air d’entreposage ; n’en revenait pas de voir des collègues qu’il
ne connaissait pas arriver en succursale en tant que clients et aller
directement dans le bureau du directeur pour l’engueuler et lui donner un chiard
de marde. Sam n’en revenait pas de voir des collègues d’ordinaires timides
faire du zèle pour retarder le travail. 5 jours ! 5 jours et ils ont pliés
l’échine.
XYZ a compris qu’il
venait de faire une gaffe.
Sam a compris qu’il
était dans une division à part.
Les deux viennent
d’apprendre.
Mais le plus heureux
des deux, c’est Sam.
L’autre est en ce
moment en enfer.
On le cible comme une
proie. C’est une bête blessée.
Ses jours sont
comptés.