lundi 23 septembre 2013

Le ménage


19 h 54, il s’installa devant le petit bureau d’écolier qu’il avait récupéré sur le bord du chemin près de chez lui. Il l’avait découvert un matin en allant travailler. C’était, lui semblait-il, au printemps ou à l’automne de l’année précédente. En tout cas, il se souvenait qu’il faisait soleil ce matin-là. Il avait hésité avant de le prendre, se demandant si la chose en valait vraiment la peine. Mais entendant au loin le gros moteur du camion des éboueurs qui s’amenait, il prit sur le lui de sauver la vie de ce petit bureau à trois tiroirs et le ramena dans sa maison. Au moment où il s’installa devant de ce meuble un peu bancal en repensant à tout ça, laptop ouvert et doigts crépitant sur son clavier, il se sentait soulagé d’avoir enfin terminé l’aménagement de sa chambre pour l’arrivée prochaine de cette incomparable amie. Elle n’était même pas encore là qu’il ressentait déjà en lui ce bonheur hors du commun qu’il l’avait habité jadis, quand elle eut la bonne idée de respirer dans son quotidien intime. Jamais dans sa vie n’avait-il ressenti une émotion semblable. Il suffisait qu’elle soit là pour que toutes les souffrances de la vie s’effacent sous l’impossible douceur de son sourire. Un jour, bien après son départ et se rappelant l’émotion qui le prenait quand elle le regardait, il avait écrit à lui-même que chacun de ses regards lui avait semblé autant de Big Bang créés en lui. Ses yeux fixés sur sa personne lui avaient en effet construit des galaxies sans fin dans sa tête de con, des cosmos remplis de soleils et d’étoiles où pas un trou noir ne venait faire chier l’équilibre parfait de sa félicité. Elle avait ce pouvoir-là et il s’en serait volontiers tapé la tête contre les murs à force de l’attendre ainsi, en écrivant ses conneries sur son ordinateur éponge qui reposait sur son petit bureau d’écolier à trois tiroirs. 

Il était très content de son ménage. En fait, pour dire vrai, c’était plus du camouflage que du ménage à proprement parler. Mais n’empêche, il était très fier de lui quand même. Terminant cette dernière ligne, il se retourna et contempla le lit qu’il lui avait fait juste pour elle. Il était drôlement satisfait de son travail. Un vrai lit avec de vrais draps propres qui sentaient bon le savon à lessive. Et puis toutes les couvertures parfaitement disposées comme elles se doivent de l’être, avec même des couvertures de réserve en cas de frilosité nocturne. Sur les oreillers, il avait déposé un assortiment de bonbons emballé tout bien parce qu’il se souvenait qu’elle adorait les jujubes. En les croquants, il espérait l’entendre dire encore « hey, mais c’est méga bon ! » comme elle l’avait fait jadis quand il lui avait acheté des cigarettes Popey’ s dans ce petit dépanneur en revenant du chalet. Et avec ça — parce que ce n’est pas terminé ! — un adaptateur tout neuf pour brancher son Mac français à elle dans les fiches américaines à lui. Franchement, un mec ne peut pas faire plus. Ou alors ce n’est pas un vrai mec et il devrait vraiment songer à changer de sexe. Je dis ça comme ça, au passage et parce que vous êtes bien gentils de me lire. 

À demain...

À demain. C’est ainsi qu’elle avait terminé leur brève conversation téléphonique après qu’il l’eut appelée pour s’assurer d’un dernier détail avant qu’elle ne prenne son avion. Elle allait arriver le lendemain par le vol de 20 h 30 et depuis les derniers jours, il s’affairait à tout préparer pour l’héberger convenablement. Du coup, il dût se donner un grand coup de pied dans l’cul pour terminer ce qu’il avait commencé deux mois plus tôt — c’est-à-dire l’aménagement de sa nouvelle chambre — et qui était resté en plan pendant tout ce temps. À demain. Dix minutes après la fin de leur conversation, sa voix riante aux accents symphoniques ondoyait encore dans son esprit comme un écho du passé. Relisant cette dernière phrase, il se dit que c’était là un cliché lamentable, mais il laissa la chose telle quelle tant les mots lui manquaient quand il parlait d’elle. À demain. La dernière fois qu’il l’avait entendue prononcer ces deux mots, c’était il y a six ans. Cette fois, c’était vrai : il allait la revoir !

À demain. Au téléphone, par courriel, par Skype ou même par de vraies correspondances sur du vrai papier parsemés de lettres tracées une à une à la main, leur complicité ne s’était jamais démentie ni même édulcorée. Des témoins du hasard auraient dit d’eux qu’ils se connaissaient depuis mille ans. Pourtant, quand il la rencontra un dimanche d’avril 2007, il ne s’écoula même pas un mois avant qu’elle ne reparte pour la France. Six années s’écoulèrent ainsi avant cet ultime coup de téléphone où il l’entendit enfin lui dire « à demain »

Demain... 





Comme son blogue est anonyme (hum...), il opta pour une photo volontairement floue dont il s'amusa à altérer les couleurs. 

mardi 17 septembre 2013

Noel Picard



10 mai 1970. Bobby Orr vient de marquer le but gagnant qui donnera au Bruins de Boston leur première coupe Stanley depuis 1941. Cette photo est sans doute l’une des plus emblématiques du hockey moderne. Orr semble littéralement voler au-dessus de la glace. Il y a une raison pour ça. Noel Picard, le défenseur des Blues de St-Louis vient de le faire trébucher au moment où il lançait au filet. 

Noel Picard a joué une seule saison de 16 parties pour les Canadiens de Montréal en 1964-65. Il a eu la chance de remporter la coupe Stanley cette année-là. Il a ensuite traîné sa bosse dans les ligues mineures jusqu’à l’expansion de la LNH en 1968 où il s’est joint aux Blues de St-Louis. Il y restera jusqu’en 1973 avant d’être échangé aux Flames d’Atlanta. Il terminera sa carrière cette année-là. Un modeste joueur qui serait resté dans l’anonymat complet n’eut été de cette célèbre photo qui aura fait de lui un personnage mythique de ce sport. 

J’ai vu Noel Picard cet après-midi dans ma succursale. Des collègues m’avaient dit qu’il était un client régulier, mais je ne l’avais encore jamais rencontré. On m’avait dit aussi qu’il ne sortait jamais sans son maillot des Blues de St-Louis sur le dos. 
Je peux le confirmer. 

Il est entré en marchant péniblement, traînant de la patte, claudiquant comme si on lui avait attaché un poids à la cheville droite. Le dos un peu voûté, un manteau d’hiver bon marché et démodé sur le dos, la tête basse, il est passé devant moi en me saluant tout bas. C’est en voyant le logo des Blues sur son maillot que j’ai eu un doute. Il s’est dirigé vers l’allée des vodkas, s’est pris un 26 onces de Troïka après avoir hésité un peu et s’est ramené vers les comptoirs-caisses. J’étais juste devant lui, en train de refaire un étalage de vin en promotion. Je n’ai pas pu m’empêcher de savoir. 

- Vous êtes monsieur Picard ? 

Il m’a regardé et j’ai vu ses yeux s’allumer. 

Oui. 
- Est-ce que je peux vous serrer la main ? 
- Bien sûr. 

Il a déposé sa bouteille sur le comptoir et est venu me mettre sa grosse paluche dans la mienne. 

- C’est un honneur monsieur Picard. 
- Merci. 

Il était drôlement fier d’être reconnu. Fier aussi que je lui aie demandé de lui serrer la pince. Je suis venu à deux doigts de lui parler de cette photo, mais au dernier moment, j’ai eu la présence d’esprit de ne pas le faire. Je me suis dit que sa journée serait encore plus géniale s’il pouvait croire que je l’avais reconnu non pas parce qu’il fut l’instant d’un battement de paupière le personnage secondaire d’une photo mythique, mais juste parce qu’il est Noel Picard, un ancien joueur de hockey professionnel. 
Y a des fois où je me sens comme Amélie Poulin. 

jeudi 5 septembre 2013

La grand illusion


Orson Wells, l'un des plus grands réalisteurs du 20e siècle a dit  : " Si je n'avais qu'un seul film à garder pour la postérité, ce serait La Grande Illusion". Je suis pas mal d'accord avec lui.