mardi 12 février 2013

Une journée au boulot


Comme chaque jour, j’avais apporté mon lunch. Lunch que j’avais fait rapidement le matin parce que j’étais à la dernière minute. Riz au saumon un peu fade. Mais c’était oublié que ma collègue Haïtienne travaillait ce soir et quand elle est arrivée, elle m’a dit «Je t’ai apporté à manger mon amour» Ma collègue Haïtienne, elle dit mon chéri, mon amour, mon trésor à tout le monde qu’elle aime. À l’intérieur d’un groupe d’êtres humains obligé de partager un petit espace commun pendant des heures, c’est chouette. Ça donne un petit côté chaleureux à l’ambiance. En lui disant que j’avais apporté mon lunch, elle m’a simplement dit de garder le sien pour la maison et de penser à elle quand je le boufferai. 
Mais quand j’ai ouvert son plat à l’heure du souper, fuck, oublie ça mec! Ça sentait tellement bon! Je bouffe ça tout de suite. C’était du riz avec de la viande recouverte d’une sauce piquante délicieuse. J’ai tout bouffé et j’ai plutôt gardé mon riz à moi pour plus tard. Je lui dis souvent que si elle ouvrait un resto, je serais son client numéro 1. Même que je deviendrais Haïtien à force de bouffer ses plats. 
Ça serait chouette de devenir Haïtien. J’aurais toujours le sourire, même quand la vie me tomberait dessus, et puis je mangerais des trucs qui sentent bon les épices mystérieuses. J’aurais comme ami P’tit Jean Chivas qui est grand comme trois pommes et qui est chauffeur de taxi. On l’appelle P’tit Jean Chivas parce qu’il est petit, que son prénom est Jean et qu’il vient toujours chercher ses petites bouteilles de Chivas. Deux, parfois trois. Des minis bouteilles qui donnent une seule dose. C’est drôle parce que quand il entre dans le magasin, on le voit passer par la porte, mais il disparait dès qu’il traverse les allées parce que les tablettes sont plus hautes que lui. Puis il réapparait à l’autre bout de l’allée quand il s’amène vers les comptoirs-caisses. Toujours souriant, toujours heureux d’être en vie, même quand la vie justement lui tombe dessus. P’tit Jean Chivas a toujours des histoires de taxi à raconter. C’est parfois drôle, c’est parfois triste, mais ce n’est jamais banal. Des petites tranches de vie qui se déroulent dans son taxi. Des drames ou des comédies. Il travaille fort, parfois plus de 15 heures par jour et quand il en a vraiment marre, il passe au magasin, achète ses deux ou trois minis bouteilles et s’en va chez lui pour déconnecter. 

À l’intérieur d’un groupe d’êtres humains obligé de partager un petit espace commun pendant des heures, il suffit parfois d’une seule personne pour foutre l’ambiance à terre. Il y avait celle-là ce soir. Juste à lui voir la gueule, tu sais qu’elle se paie une vie de merde. Pas heureuse la fille, ça parait dans ses traits de visage qui tombent vers le sol. Le genre mégère de village qui passerait son temps à écornifler les voisins et à médire d’eux. Elle parle dans le dos de tout le monde. Raciste, dénigrante, intolérante, peau de vache. Elle marche le dos courbé, les épaules relevées, l’oeil torve, la lippe frétillante, toujours prête à sortir une merde contre le premier qui semble heureux sans son approbation qui, d’ailleurs, ne vient jamais. Elle fut embauchée par l’ancien régime, ce directeur qui se montait une garde rapprochée de délateurs. Le directeur ayant prit sa retraite, sa petite cohorte de faux-culs se retrouve maintenant isolée, pour ne pas dire noyée dans un bassin d’employés qui ont tous goûtés un jour ou l’autre à la médecine de l’ancien régime dont les récriminations furent alimentées par les dires de ces sicaires de bas étage. On s’est un peu (beaucoup) engueulé ce soir. Plus capable d’endurer ses fines insinuations, surtout lorsque ça m’implique. Ce n’était pas très beau à entendre. Mais ce fut tout même un bel exercice de défoulement. Ça faisait longtemps que j’avais envie de me la payer. C’est maintenant chose faite.

1 commentaire:

PierreR a dit…

T'es vraiment un humaniste mec!