Il fait tellement froid que le tableau de bord de ma Tercel toute pourrie se met à afficher toutes sortes de sigles aussi étranges que bizarres. Même les postes de ma radio que j’avais programmés en permanence partent en couilles. Malgré tout, elle roule et démarre à peu près comme un charme chaque matin. Même hier matin alors que le mercure frisait les -40° avec le vent.
Je me suis marré au boulot justement à cause du froid. Il faut savoir que je travaille dans un quartier à forte population haïtienne pour qui le froid n’est pas nécessairement un lègue culturel. Un client surtout, tellement drôle quand il est entré dans la succursale.
- Ayoye maaaaaan! Y fait frette en tabarnak! Ayoooooye! Juste de sortir de mon auto pour me rendre ici, j’ai les mains gelées! Ayoooooooooooooye!!!
Du coup, j’ai noté que le froid intense semble amener toutes les communautés dites culturelles à adopter instinctivement les sacres et les expressions 100% Québécoises. Comme quoi quand il fait -30°, et que ce soit pour un Français, un Haïtien ou un Latino, le froid devient «le frette» et le «tabarnak» devient le complément (ou l’adjectif) incontournable pour exprimer la démesure météorologique. C’est une grande découverte que je viens de faire, à savoir que le froid intense efface les différences et tend à resserrer les liens humains, peu importe les origines de chacun.
Le «frette» comme passage initiatique?
Le «frette» agissant mieux qu’un passe-port ou qu’un serment à la reine?
Le «frette» comme outil d’intégration?
Le «frette» comme une preuve incontestable que «ces gens-là» sont exactement comme nous?
Avouez que pour rester ici et aimer ce coin de pays (qui n’en est pas encore un) après une suite de -30°, c’est un peu comme gagner ses galons sur un champ de bataille. Respect donc à ces Québécois nés au chaud (ainsi qu’à leur descendance) et qui décident malgré tout d’aimer ce coin de terre. Pour ma part, j’envisage de faire pression auprès de madame Marois pour tendre la main à Haïti et les convaincre de devenir un comté provincial de manière à ce que je puisse aller travailler là-bas de novembre à avril. Et avec prime d’éloignement si possible.
Mais revenons à ce sympathique client et à ses adorables «tabarnak qui fait frette!!! Ayooooooye!» Voulant me montrer compatissant, je lui dis « C’est vrai qu’avec le vent, c’est particulièrement frette ce soir»
Pas convaincu du tout le mec. Mais pas du tout! Il me répond : « Attends vieux! Toi t’es né ici, pas moi! T’as vu ma peau? (il me montre ses mains) Cette peau-là, elle est faite pour le soleil, la chaleur, la douce caresse d’un vent chaud venu du large! Pas pour ce tabarnak de frette!!! Ayooooye man! Je ne suis même plus capable de refermer mes doigts! Regarde ça! (effectivement, il semblait avoir quelques problèmes à manipuler son porte-feuille. On aurait dit les petites mains tremblantes d’un p’tit vieux) Fuck man! C’est trop fou!»
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