mercredi 23 janvier 2013

Capharnaüm


Capharnaüm 

Cela arrive souvent le soir
quand il n’y a plus rien à voir
avec la conscience
en panne et en souffrance
nourrissant la corbeille à papier
de réflexions étriquées. 

Parfois les meilleurs jours
dans la tête agitée courent
les digressions de prédilections
attendant leurs promotions
ce peut être un cahier
ou un cabinet de curiosité.

Le frère de Mario est passé au bureau du syndicat. 
Discrètement, sans faire de bruit. 
Il y a laissé deux choses pour Éric et moi. 
Un cd des suites pour violoncelle de JS Bach et un recueil de poésie. 

Hypnopompie

Traversant les friches ténébreuses
drappé d’oriflammes inféodées
je cherche sous les réverbères
l’effluve enjôleur 
avant que ne parviennent
jusqu’au relief de ma résurrection
les premières lueurs de son pillage
à l’aurore insidieuse
paupières éclissées par la tourmente
sacrifices qui claquent au vent
je blasphème ma damnation
et Morphée qui m’abandonne

Mario se disait athée mais ne s’empêchait pas de vivre une spiritualité toute musicale. Pour lui, Bach valait bien Dieu et de ce côté-là je ne peux que lui donner tout à fait raison. Après-tout, aucun homme ici-bas n’a jamais tué un autre homme au nom de Bach. 

Bobo

Été soixante-cinq
aujourd’hui Dieu ne pleur pas
sur ma petite exil rampante matinale
dans l’herbe rasée de près. 

Petites agitations des mains sur mes oreilles
sous l’ombre paresseuse du Cessna. 

j’enfourche mon vélocypède
rythmé de son ronflement rouillé élégant
de la pétarade de l’As de pique
sur la barbelure de ses roues. 

Rien ne me retiens. 

D’un geste enthousiaste
déclenche une arabesque improvisée
en habit du dimanche
prend son envol
évolue dans l’espace
grand écart chorégraphique
se stabilise sur le guidon
c’est une épreuve
utilise son répertoire de pleurs
à la queue leu leu
en chante trois
ne nous complaisons pas
et feigne la mort
pour semer les rires à remontoirs
de la poupée de Mimi. 

On a construit des églises pour Dieu, mais c’est la musique de Bach qui les a sanctifiées. En ce sens, Dieu est redevable à Bach. 

A mie

Nyctalope nubile
Soûle manualité
Fiévreuse vigile
Absconse nymphée
Mâtine fragile
Concupiscence avouée. 


Les suites pour violoncelle de Bach étaient pour Mario la quintessence de la musique humaine. Nous en avions d’ailleurs discuté avec son frère le jour du déménagement et il fut décidé que cette musique ferait partie du service funéraire. 

Nature morte 

Au coeur de la cité
sur un terrain vague
quand la neige se mue
en résidus poussiéreux
le goéland exilé
au milieu des déchets
scrute légitimement sa pâture
d’un arrière-goût évanescent

Aux abords des clôtures
sur un sentier rustique
quand l’aube estivale s’évente
en émulsion sulfhydrique
le camion-citerne
au-delà l’orée des enclos
parfume généreusement l’éther
d’une fragrance civilisée. 

Au-dessus du bitume
sur un balcon en fer
quand la conscience est 
en panne et en souffrance
le résidant apathique
au regard romanesque 
décrête de son walkman l’intermède
d’une musique anesthésique. 

Le recueil de poésie est de lui. Une petite brochure artisanale dont il avait fait plusieurs copies. Il devait lui rester quelques copies et son frère nous en a donné une à chacun. 

À vue d’Espagne

Ombre de blanc
Silences de vent
Un parfum d’éther
Surplombe la mer
Enjôle la conscience
Galbe les turbulences
Sentir la vague argileuse dressée
Ouïr les rameaux graphites ruisselés
Ascension ciliée vers ton épaule nacrée
Cataracte raclée sur la gencive sangre
Épingle sur ma prunelle
Ce printemps sacramentel.  

Le recueil s’intitule Ipséité.  

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