Ce type. Il se promène dans les ruelles du quartier avec un bac à recyclage sur roulettes. Un gros bac vert qu’il a probablement emprunté quelque part et qu’il a oublié de remettre. Un de ces bacs comme on en voit dans les municipalités de la couronne de Montréal. J’en ai un semblable au chalet. Tu fous tes bouteilles, plastique ou verre, cartons et autres papiers dedans et au bout de la semaine, tu vas porter le truc au chemin. Un camion passe, vide ta crap et te remet ton bac. C’est comme ça que ça se passe partout au Québec. Ça fait maintenant partie de nos habitudes de vie. Mais si j’écrivais à mon double, un double de 20 ans qui serait encore figé en 1983, faudrait quand même tout lui expliquer parce que bon, le recyclage, ç’a été un changement rapide dans nos vies.
Mais je m’égare. Revenons à mon promeneur des ruelles. Le mec, il se promène dans les ruelles avec son gros bac à roulettes.
Il cherche des bouteilles vides qu’il va ensuite déposer au dépanneur ou à l’épicerie en échange du montant de la consigne.
10¢ les petits formats et 20 ¢ les gros.
Tout le monde le connaît dans le quartier. N’est pas méchant. N’est pas fou, mais bon, n’est pas non plus tout à fait connecté avec cette société. À deux doigts de la marginalité et à quelques pas de l’itinérance. N’en est pas encore là, mais à le voir et à l’entendre parler surtout, on devine que ça pourrait très bien arriver tôt ou tard. Suffirait d’une légère malchance dans sa vie, un coup dur, une subite et substantielle augmentation de loyer par exemple.
Il parle avec un accent traînant, un peu comme un enfant qui se serait fait gronder et qui voudrait se faire pardonner. Ça fait comme «as-tu des viiiiiiiiiiides?».
Des «viiiiiiiiiides», c’est des bouteilles vides.
On aura compris, mais bon, des fois que vous seriez un peu sur le snooze.
Au début, il ne faisait que ramasser les bouteilles qu’il trouvait ici et là lors de ses randonnées. Dans les poubelles, dans les bacs à recyclage, dans les parcs.
Puis, petit à petit et à force de nous croiser et de nous parler, il s’est peu à peu monté une clientèle personnelle chez qui il va directement cogner aux portes en leur demandant s’ils ont des «viiiiiiiiides».
Et puis voilà quoi, comme un commis voyageur, il a son territoire et ses clients. Ne se fait plus chier à plonger ses mains dans les poubelles. Il ramasse tes viiiiiiiiides, t’aide à te débarrasser de ta collection galopante, te nettoie ton quotidien. Comme un laitier du temps jadis, mais à l’envers. Au lieu de t’apporter des bouteilles pleines, c’est toi qui lui refiles tes bouteilles vides que tu lui laisses sur le pas de ta porte.
Il fait ça discrètement, à la tombée du jour, entre chien et loup sans te déranger. Comme une ombre avant la nuit. Très professionnel le mec.
Mais parfois, comme hier soir par exemple, quand tu oublies de déposer tes vides, il apparaît de nulle part et passe la tête devant le moustiquaire de ta porte arrière et sans que tu ne l’aies entendu venir, il te lance «as-tu des viiiiiiiiiiides?»
À chaque fois, tu fais un saut du tabarnak avant de réaliser que ce n’est que ton commis voyageur qui fait sa tournée.
Ma voisine, celle aux tomates, elle n’aime pas trop. Faut dire qu’elle vient de passer quelques mois à vivre seule dans son logement et que si moi, grand gaillard de sexe masculin, musclé là où ça ne compte pas (coudes, genoux, épaule droite) ça me fait faire des crises cardiaques à chaque fois, j’imagine pas la trouille que ça lui donne. Mais bon, il n’est pas méchant. Un peu simplet peut-être.
Je le trouve drôle. Attachant même. L’un de ces anonymes discrets qui font le charme des grandes villes. Sans histoire, mais coloré. Héros marginal qui pimente le quotidien.
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