dimanche 13 mai 2012

L'écureuil


Un client pas exactement comme les autres. 
On l’appelle l’écureuil. Faut savoir pourquoi. 
Il est nerveux et ses mouvements sont vifs, rapides et saccadés. Quand il rentre dans le magasin, il ne dit ni bonjour ni bonsoir et se précipite toujours vers la section des mini formats, ces petites bouteilles de 50 cl que l’on appelle aussi des «mignonettes». C’est son spot. Sa réserve. Sa collection. Comme un écureuil, il se déplace en état de stress perpétuel, comme si l’endroit était rempli de prédateurs potentiels. 
Il prend toujours trois ou quatre mignonettes de vodka qu’il fourre dans le creux de ses mains qu’il vient ensuite les déposer sur le comptoir comme autant de cocottes de sapin glanées sur une branche. 
Il a le dos courbé. 
Porte de grosses lunettes devant des yeux fuyants. 
Il a de grosses bajoues, comme un écureuil justement. 
Deux palettes proéminentes qui pointent sous sa lèvre supérieure. 
Un vrai rongeur je vous dis. 
Même une fois rendu au comptoir, il ne dit ni bonjour ni bonsoir, mais tapote des doigts la surface. 
Nerveux le mec. 
T’as toujours l’impression qu’il achète en vitesse pour se cacher de quelqu’un. De sa femme peut-être. 
Ou de sa conscience. 
Va savoir. 
Il a toujours le fric dans sa main. 
Montant exact, à la cenne près. 
Il n’y a jamais de recomptage. 
Bref, tout pour gagner du temps. 
Quand il a payé, il ramasse ses cocottes, son butin, ses petites bouteilles, ses mignonettes et quitte sans demander son reste, en vitesse, sans dire bonjour ni bonsoir, comme un fuyard. 
Ou comme un écureuil justement. 
Il n’est pas aussitôt assis dans sa voiture qu’il en débouche une première qu’il se cale aussi sec derrière le gosier. 
Comme un écureuil qui grignoterait sa cocotte. 
Et il disparait. 
Et puis c’est tout. 

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