vendredi 25 mai 2012

La rafle



Hier, 23 mai, arrestations massives lors d’une manif pacifique. Plus de 500 personnes à Montréal et plus de 700 dans l’ensemble du Québec. Une rafle honteuse et indigne de ce pays. 
État policier. Rien de moins. L’histoire s’en souviendra. 
Il devait être minuit et j’étais chez moi, suivant la manif via CUTV (un réseau de télé universitaire qui, chaque soir, diffuse en direct sur le web) ma fille me lance un coup de fil. 

- Ils arrêtent tout le monde! 
- T’es où?
- Coin St-Denis et Sherbrooke. C’est la folie. 
- J’arrive!

Comme j’ai quelques coupes de rouge dans le corps et qu’un feu arrière de ma voiture fonctionne aléatoirement, je juge plus sécuritaire de ne pas y aller en voiture. Sans parler que l’endroit grouille de flics. Ça serait vraiment courir inutilement après le trouble. J’enfourche donc un bixi et je roule en direction des arrestations. Même sans info, je savais où ça se trouvait. Je n’avais qu’à suivre l’hélico dans le ciel qui restait en position stationnaire au-dessus des manifestants. J’arrive près des lieux. La rue Sherbrooke est complètement fermée. De l’antiémeute. Des flics casqués et d’autres encore en vélo ou à pied. Il y a des voitures de flics partout. Le bruit de l’hélico au-dessus de nos têtes est assourdissant et ajoute une touche lugubre à cette scène déjà hallucinante. Ma fille me texte au même moment : «Suis coin Ontario-St-Denis. Dépêche-toi!» J’emprunte une rue secondaire et je descends la côte pour me rendre sur Ontario. Je roule jusqu’à St-Denis. 
Ce que j’y trouve est invraisemblable. 
Rue St-Denis entre Ontario et Sherbrooke, c’est une section qui est en pente à partir d’Ontario et qui monte jusqu’à Sherbrooke. Les gens qu’on arrête sont tout en haut, sur Sherbrooke. En bas, de la rue Ontario et je dirais jusqu’à une centaine de mètres de la rue Sherbrooke, des centaines de personnes sont là en appuie aux manifestants arrêtés. On peut voir ces derniers tout au bout, derrière deux cordons de policiers casqués avec boucliers et tout le bordel. On les a fait assoir dans la rue, comme un troupeau de bêtes. On leur enfile des menottes de plastique en leur mettant les mains dans le dos à la manière de Guantanamo. Ne manque que la cagoule et je tremble en me disant que ça viendra peut-être. Ils sont nombreux. Incroyablement nombreux. Une masse d’espoir. C’est la démocratie Québécoise pour le moment garrotée sur l’asphalte. Honte à ces gens qui donnent de tels ordres!
Je rejoins ma fille et nous remontons la rue St-Denis en direction du premier de ces cordons. L’atmosphère est indescriptible. Ça chante, ça gueule, ça houspille les flics, certains même dansent devant les boucliers de l’antiémeute; une foule bigarrée qui n’a plus rien à voir avec les étudiants. Enfin si, mais bon, on y retrouve aussi des têtes grises et blanches, des trentenaires, des quadragénaires enfin, bref, vous comprenez le topo. Sur notre gauche, sur une espèce de plateau qui domine en hauteur cette portion de la rue St-Denis, un policier tient la foule en joue avec un fusil à balles de caoutchouc. J’ai peine à en croire mes yeux! Image d’un symbolisme terrifiant qui me donne froid dans le dos. Derrière, des cavaliers montés sur des chevaux qui attendent les ordres. C’est surréaliste. Complètement démesuré. 
Mais la foule, festive et joyeuse, chante plus fort et démontre une impressionnante solidarité envers ceux qu’on arrête là-bas, tout en haut, derrière ces putains de cordons de policiers. Ma fille se dirige tout en avant de ce peloton de contestataires et se joint à ceux qui sont assis face à l’anti émeute. Signes de paix et chants de solidarité. Fierté toute paternelle dans la peau; papa et sa fille manifestant maintenant côte à côte sous le regard prédateur de l’antiémeute. Il me semble que ça ferait un bon début de roman ça. 
Enfin bref, poursuivons. 
Nous restons là et participons à cette invraisemblable fête avec les autres. Dans la foule, je retrouve un couple d’amis, casseroles en main et gueulant, chantant, riant. Ils m’expliquent qu’une manif spontanée s’est formée à 20h dans un quartier plus au nord. Le joyeux mouvement des casseroles lancé il y a trois ou quatre jours. Cette manif a progressivement rejoint l’autre, celle qui depuis un mois défie les autorités dès le coucher du soleil. En d’autres mots, cette «fusion» devient symbolique. C’est monsieur et madame Tout-le-Monde des quartiers populaires venant se joindre aux manifestants réguliers. D’ailleurs je note dans la foule une présence impressionnante de personnes munies de casseroles. C’est complètement fou, mais bordel, qu’est-ce que ça fait du bien de voir ça! 

Nous restons là une bonne heure et les policiers sont d’un calme surprenant. Néanmoins, on peut voir chez certains des signes de fatigue et d’exaspération. Faut les comprendre un peu (mais pas trop quand même!), c’est comme ça chaque soir depuis des semaines. Certains ne doivent plus dormir beaucoup. Surtout ceux et celles qui ont des enfants. 
Je reste encore ou je m’en vais? Bonne question. Des mouvements de plus en plus réguliers derrière les lignes laissent penser que la police va bouger. On reste ou on quitte? L’Amère à boire est juste à côté et je me dis comme ça qu’une bonne bière blanche aiderait à la réflexion. La bière aide toujours, comme on sait. Et c’est de la terrasse qu’on a entendu un mot d’ordre d’un manifestant qui incitait le groupe à se replier tout en bas, sur Ontario. Ce qu’ils ont fait. Quelques minutes plus tard, l’antiémeute et les autres flics se sont employés à les suivre et à les disperser.

2 commentaires:

Marina Kowalsky a dit…

Photo assez impressionnante Varice.

Ici, tranquille dans le bois, on soutient cette cause au fond!!!!!!!!!
Ça rappelle des souvenirs à mon breton....

Varice et Versa a dit…

Oui, c'était très particulier de se retrouer à quelque pouces de ces colosses casqués. Mais en même temps, quel énergie dans le groupe des manifestants.

Salutation à ton breton.