Bon, mon ex a accouché aujourd’hui. Enfin, cette nuit. Je lui ai parlé au téléphone en fin d’après-midi pour la féliciter. C’est ça qui faut faire quand on est bien élevé. Et comme je suis bien élevé, ça n’a pas été difficile. Paraît que tout a bien été et comme on dit dans les clichés, la mère et l’enfant se portent à merveille. Elle était contente de mon appel. Elle était encore à l’hôpital. Elle y reste jusqu’à vendredi. Quand elle me parlait, j’entendais sa petite gamine qui babillait, toute collée contre elle. Ça faisait de petits «mh, mh, mh» de petit mammifère tout naissant et sans fourrure encore. C’est con, ça m’a mis plein d’humidité dans les yeux. J’étais dans ma bagnole quand je lui parlais. Je revenais de chez Mouton Noir, une boutique de vêtements pour enfants. Des machins exclusifs fabriqués au Québec. Je n’allais tout de même pas acheter Chinois pour une nouvelle humaine arrivée sur terre depuis même pas 24 heures. J’suis pas comme ça quand même. L’exploitation de l’homme par l’homme, elle aura bien assez le temps de tout apprendre ça par elle-même. Quand je suis entré dans la boutique, ça m’a sauté aux yeux : les vêtements pour les petites filles, sacramouille, c’est beau comme c’est pas possible. Ces petites robes fleuries, ces petits manteaux d’hiver avec de petits capuchons tout minuscules, ces petites choses de rien du tout, mais tellement mignonnes! Je n’étais pas rentré là-dedans depuis près de 24 ans. Je ne voulais pas un truc de bébé. Je veux dire, pas un machin qu’elle n’aura pas le temps de mettre parce qu’elle aura grandi trop vite. La madame qui était là et qui s’y connaissait en bébés vu qu’elle travaillait dans une boutique de vêtements pour bébés m’a aidé. Enfin, elle m’a guidé. J’ai choisi par moi-même. J’ai opté pour deux robes parce que ça fait plus «petite fille». Des trucs qu’elle pourra porter à six mois et à un an. L’une des deux est toute fleurie, genre yé-yé sixties, Be-Bop-Allulah, She loves you yeah yeah yeah. Très swinging London. Très Beatles. C’était tout petit dans mes mains. Mais tellement joli. Et toutes ces petites robes autour de moi, et toutes ces petites choses pour mettre des petites puces dedans, ça n’a pas pris de temps avant que l’envie de chialer me pogne grave. C’est fou non? C’est parce que ça me ramenait à ma fille du temps où je pouvais la tenir d’une main. Je m’en souviens. J’aimais la tenir comme ça, sa petite tête dans ma paume et son petit corps d’oiseau fragile accroché sur mon avant-bras. Ouf! Qu’est-ce que j’avais envie de brailler chez cette grosse madame gentille comme tout au milieu de ses fringues de gamine. Ç’a été dur de rester là pendant qu’elle emballait mes achats dans un beau paquet cadeau. Je la trouvais lente en tabarnak et j’ai dû pédaler solide pour retenir mes larmes. Fuck, c’est con. Mais en même temps, allez savoir, c’est rassurant. Ça prouve que je suis sensible. Il était quand même temps que je sorte de là, mon petit sac qui ne pesait rien dans la main. Arrivé à ma bagnole, j’ai mis le sac sur le siège arrière. Mais en chemin, je me suis garé et j’ai été remettre le sac dans le coffre de ma voiture pour ne pas qu’il se prenne l’odeur de clope. Ça aurait été trop dégueulasse quand on y pense. C’est là que j’ai téléphoné à mon ex. Je souhaitais tomber sur son répondeur, question de laisser un message et la laisser me rappeler. Mais c’est son mec qui a répondu. Ce n’était pas prévu dans mes plans. D’autant plus que je ne me souvenais plus de son nom. Ç’a donné une drôle d’entrée en matière. Un peu rigolote. Il lui a refilé le téléphone en lui disant tout naturellement «C’est Varice & Versa», comme si c’était convenu que j’allais appeler. Ça m’a fait tout bizarre. Comprend-il seulement que j’ai vu sa femme toute nue 8 ans avant lui? Y a des choses comme ça qui sont difficiles à comprendre. Maintenant que j’y repense, je me dis que c’était une drôle d’idée d’appeler. Moi en tout cas, je n’aurais pas aimé que l’ancien chum de ma blonde appelle le jour de l’accouchement de ma fille. Mais allez savoir, il trouvait ça normal. Peut-être que finalement, il m’aime bien parce qu’on ne lui aura dit que des choses bonnes sur moi. C’est vrai que j’ai été un mec adorable lors de la séparation. Pas méchant ni rien. Bonne pomme. Généreux et tout. Tu ne m’aimes plus, mais ce n’est pas grave. Je t’aime encore alors c’est pour ça que je m’en vais sans te faire chier. Comme dans une chanson de Gainsbourg. Je suis le meilleur mec à larguer. C’est parce que j’ai de l’expérience. Je sais comment ça marche. Je te laisse tout sauf les CD. Terminé cette abomination de racheter toute ma musique. Quand je l’ai quittée, c’est ce que j’ai fait. Tu gardes tout, sauf la musique. Même tes CD, ceux que t’as achetés, je les prends. Même ceux de Renaud. De toute manière, c’est moi qui te l’a fait connaître. Elle a dit oui et ça été tout. Et puis voilà merde, six ans plus tard, elle est devenue maman et j’ai encore ses disques de Renaud. Et puis aussi deux petites robes pour sa fille qui n’est même pas la mienne et que je vais lui refiler cette semaine, quand elle sortira de l’hôpital. C’est con la vie quand on y pense bien comme il faut.
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