Je crois qu’elle était en train de couper le poulet lorsqu’elle a abordé le sujet. Poulet qui, d’ailleurs, devait être cuisiné par moi. C’est moi qui l’invitais à souper à la maison et non l’inverse. Mais comme nous prenions l’apéro autour des casseroles, que nous mettions tous les deux la main à la pâte, que je calculais la bonne portion de riz, elle s’est emparée du poulet et s’est mise à le couper en cubes. Du coup, mon riz au poulet devenait un peu plus le sien que le mien. Mais ce n’est pas bien grave. C’était quand même délicieux.
Sans doute parce que j’ai maintes fois mentionné le nom de M... dans nos conversations, elle m’a demandé comme ça «tu sembles l’aimer beaucoup M...»
- Bien sûr.
- Alors je ne comprends pas pourquoi vous n’êtes pas ensemble.
Question simple qui m’a tout de même demandé une vaste réponse. Les filles ont de ces questions parfois quand vient le temps de parler de relation de couple.
- Pourquoi je ne suis pas avec M même si je l’aime...?
Comment répondre à ça? D’abord, pour former un couple il faut être deux. Déjà en partant, il faudrait voir du côté de M... ce qu’elle en pense. Mais quelque part, je devine déjà l’éclat de rire incontrôlable de M... qui suivrait l’ébauche de conversation sur le sujet. C’est exactement son genre et c’est justement pour ça que je l’aime. Mais bon, le vrai truc c’est que M... n’y est pour rien. En gros, c’est que je ne suis pas vraiment intéressé à retourner en couple.
- Mais pourquoi? Enfin, personne ne peut vivre sans amour!
- Mais j’aime! J’aime un tas de filles. Par paquet de 12 même! Mais de loin, c’est beaucoup moins dangereux.
- Ce n’est pas la même chose.
- Non, c’est sûr, mais ça évite les chicanes pour la vaisselle sale ou pour le souper incontournable chez la belle mère.
Les petits cubes de poulet s’accumulaient sur la planche à découper et plus mon amie me relançait, plus elle les découpait finement.
- Mais avec ton ex, ça été bien pendant six ans non?
- Merveilleusement bien.
- Alors? Pourquoi t’empêcher de connaître ça à nouveau?
- Parce que forcément, que ce soit M... ou une autre, à la fin, elles me plantent toujours là et ça fait mal. La douleur ressentie est plus forte que les années de bonheur passées ensemble. Plus jamais ça!
- Mais tu te prives de quelque chose de très beau!
- Oui, mais du même coup, je m’évite aussi une séparation inévitable qui sera d’autant plus douloureuse. Y a rien pour rien dans la vie.
- Mais toutes les histoires d’amour ne finissent pas toujours mal, enfin!
- Les statistiques tendent à prouver le contraire, hélas.
- Mais ce n’est pas une raison pour refuser le bonheur!
- Je ne refuse pas le bonheur, je refuse simplement de le jouer au poker avec une main vide. Je le préserve mon bonheur. Enfin, ce qui en reste. Du même coup, je m’évite une dépression sévère qui durera des années. Les filles, quand vous nous laissez, vous nous tuez un peu plus à chaque départ. Je suis mort je ne sais plus combien de fois depuis mes 18 ans et sincèrement, je n’ai plus l’énergie de mourir encore. Faut avoir la vie dure pour mourir plusieurs fois. Alors voilà, j’aime mieux aimer de loin, apprécier les soupers qui se renouvelleront dans l’amitié que les serments d’amour qui finiront comme papier Kleenex pour essuyer le foutre d’un autre.
- Mais... t’es dégueulasse!
- Fuck, c’est ça quand même.
J... ne comprenait pas mon point de vue. Moi, je ne comprenais pas le sien. Elle me parlait de ce type qui lui plaît bien même s’il est un peu louche au niveau des tatous et j’ai essayé de la relancer avec les mêmes arguments, mais à l’inverse. Bien sûr, ça n’a pas marché.
- Pourquoi te dépêcher de revivre une relation de couple alors que ça ne fait même pas un an que t’es seule? D’ailleurs, tu ne le connais pas ce type.
- On parle de toi, pas de moi et ne dévie pas la conversation. Il faudrait te demander pourquoi les filles te laissent tomber. Déjà, ça serait un bon début.
- C’est toujours la même chose. Elles finissent toutes par me dire que je ne suis pas assez romantique, que je ne suis pas tactile, que je ne leur achète pas de fleurs. Ce genre de truc. Elles finissent toujours par se plaindre que je ne leur démontre aucune preuve d’amour alors que fuck, si je suis là depuis six ans, il me semble que c’est une puissante preuve d’amour. Fait le calcule, six années multipliées par une moyenne de 20 parties de hockey ratées par année, ça en fait des preuves d’amour! Mais ce qu’elles veulent, c’est des bouquets de fleurs. Ostie de fleurs de cul! C’est quoi l’idée de mélanger les sentiments amoureux avec un potager? Or j’ai toujours acheté régulièrement du brocoli, des radis, des pieds de céleri et va savoir quoi d’autres qui pousse dans la terre exactement comme des fleurs, mais qui est beaucoup plus utiles. Mais elles disent que c’est complètement con, que ça manque de romantisme; qu’arriver à la maison avec une botte de poireaux n’est pas la même chose qu’arriver avec un bouquet de roses. J’ai beau leur dire que c’est l’intention qui compte, que du poireau ou de la rose, les deux poussent dans le fumier pareil, mais qu’en dernier ressort, et advenant une attaque nucléaire, l’un est beaucoup plus nourrissant que l’autre. Mais va savoir, elles se frustrent et me traitent de goujat. Pourtant, ce sont les mêmes qui me reprocheront plus tard de jeter mon argent par les fenêtres pour des trucs sans importance, comme lorsque j’ai acheté une huitième canne à pêche.
- Elles ont un peu raison.
- Na! Les bouquets fleurs, tu ne dois pas en abuser. Tu en donnes deux fois dans ta vie de couple. Au début pour la draguer, puis quelque part pendant la relation, quand t’as fait une grosse gaffe que tu veux réparer. Genre si ta fourré sa meilleure amie parce que t’étais saoul. Faut savoir doser ce genre de chose. Sinon merde, elles en prennent l’habitude et elles te reprocheront ensuite un autre truc pour exiger une nouvelle preuve d’amour. On ne s’en sort jamais. C’est comme cette idée de se tenir la main en public. Je déteste ça. C’est pas un enfant que je promène merde, c’est ma copine. J’vais pas commencer à lui demander de me tenir la main. Ça fait très possessif machiste et en plus, ça ankylose le bras. Et s’il pleut, t’as les deux mains occupées à cause du parapluie. Or il se trouve que je suis fumeur en plus. Alors je dois faire comment pour survivre? Et d’ailleurs pourquoi la main? Pourquoi on ne se tient pas le menton? Ou le nez? C’est quoi l’idée de tenir la main? D’où ça vient? C’est qui le premier qui a dit «tiens, on va se tenir la main, ça fait romantique!» C’est con fuck! Et se coller en regardant un film! Shit! Chu pas capable. Ça m’empêche de me concentrer et en plus, on finit toujours par étouffer sous le poids de l’autre. On est jamais confortable et on perd la moitié des dialogues à force d’entendre l’autre respirer dans notre oreille. Où c’est que t’as vu toi des salles de cinéma avec des sofas pour t’allonger en couple? Ça n’existe pas parce que justement, un film c’est fait pour être regardé assis sur un fauteuil solo, le dos droit et tous les sens en éveil. Forcément, si la fille commence à te caresser la poche, tu rates tout. Y a un temps pour tout et chaque chose à sa place.
J..., elle trouve que je suis un cas désespéré. Ce qui n’est pas vrai. Je ne suis pas désespéré du tout. C’est juste que je me préserve. Y en a marre d’avoir mal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire