lundi 13 juin 2011

Eylau

Voici ce qui est écrit sur la page du Musée du Louvre au sujet de cet oeuvre:

Napoléon sur le champ de bataille d'Eylau, le 9 février 1807

Antoine-Jean Gros a célébré les vertus de compassion de Napoléon Ier visitant le champ de bataille d'Eylau le lendemain de ce qui avait été un carnage, en février 1807. Le peintre s'est plié aux indications données par le pouvoir. Cependant, il a fait le choix d'un réalisme jamais atteint dans aucune autre peinture d'histoire napoléonienne. Des cadavres énormes au premier plan arrêtent le regard du spectateur. Gros rompait ainsi avec l'art néoclassique de son maître David.
Notice

La compassion de l'Empereur


Sur ce tableau, on voit l'empereur Napoléon Ier qui visite le champ de bataille d'Eylau, en Prusse orientale, le 9 février 1807, au lendemain de la victoire sanglante des Français sur les Russes et les Prussiens. L'Empereur, sur un cheval clair, entouré de médecins et de maréchaux, le regard plein de compassion, étend le bras comme pour bénir les blessés. Un soldat lituanien, appuyé contre le chirurgien Percy, s'est dressé et lui dit : "César, tu veux que je vive. Eh bien, qu'on me guérisse, je te servirai fidèlement comme j'ai servi Alexandre." Un autre soldat ennemi blessé embrasse la jambe de l'Empereur. À côté de Napoléon, le maréchal Murat, sur un cheval noir caracolant, semble une personnification de la guerre. Au premier plan de la toile des corps de soldats sont entassés, recouverts de neige, et un blessé devenu fou se débat. L'horreur de la scène est renforcée par le paysage enneigé, baigné d'une lumière blême, qui occupe le fond de la toile.

La guerre rendue impopulaire


Gros a peint ce tableau durant l'hiver 1807-1808, après en avoir obtenu la commande officielle à la suite d'un concours qu'il avait remporté. Le directeur du musée Napoléon, Vivant Denon, avait indiqué la plupart des aspects de la composition, le moment à peindre, le nombre de figurants, les cadavres au premier plan, les grandes dimensions de la toile. Le réalisme des figures du premier plan dépassait sans doute ses recommandations. Gros exposa son tableau au Salon de 1808. Les espions de la police présents au Salon suspectèrent ce tableau de rendre la guerre impopulaire. Toutefois, Napoléon apprécia l'oeuvre et lors de la distribution des récompenses aux artistes, il remit sa propre croix de la Légion d'honneur au peintre.

Un réalisme inégalé dans la peinture d'histoire napoléonienne


La composition de cette toile rappelle celle d'une création antérieure de Gros, Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (1804, musée du Louvre, Inv. 5064). Mais le réalisme est ici d'une plus grande brutalité. Il n'a jamais été égalé dans aucune autre peinture d'histoire napoléonienne. Le premier plan de cadavres a pris d'avantage d'importance que dans lesPestiférés et arrête notre regard. Le sentiment d'effroi et de sublime qui saisit le spectateur est dû aux dimensions énormes données aux morts par Gros. Les visages au bas du tableau font deux fois la taille normale. Certains personnages sont coupés par les bords du cadre, comme si la toile était le fragment d'une scène réelle. Gros a peint son tableau d'un pinceau large. Comme dans les Pestiférés, l'élève de David rompait avec l'enseignement de son maître néoclassique. Cette toile annonçait les oeuvres des peintres romantiques, Théodore Géricault et Eugène Delacroix.

Notes de Varice & Versa tirées du livre «Napoléon, mon aïeul, cet inconnu» par Charles Napoléon:


«« Le 8 février 1807 à Eylau, après deux jours de combats, il voit l’affreux spectacle: douze mille morts russes, quatorze mille blessés qui mourront faute de soins; du côté français, vingt mille morts ou blessés.

Après cette sanglante victoire qui ne règle rien, vers dx-sept heures Napoléon parcourt selon son habitude les lieux de combats. Il passe devant le jeune fantassin Billon qui se tient debout sur un banc de pierre, à hauteur du visage de Napoléon à cheval. Billon observe son héros : « L’Empereur faisait tout ses efforts pour éviter que son cheval foulât aux pieds tant de restes humains, note-t-il. Ne pouvant plus y parvenir, il abandonna les guides et c’est alors que je le vis pleurer.»

À trois heures du matin - sans doute a-t-il du mal à dormir -, Napoléon écrit à Joséphine : « J’ai perdu bien du monde; la perte de l’ennemi, qui est considérable, ne me console pas.» Il ne cache pas davantage ses sentiments dans le Bulletin officiel : « Un père qui perd ses enfants ne goûte aucun charme à la victoire. Quand le coeur parle, la gloire même n’a plus d’illusions.» À Fouché, l’aveu est plus brutal : « Cela a été une véritable boucherie.»»


Lettre de Napoléon à Joséphine, une semaine après la bataille:

Eylau, le 14 février

Mon amie, je suis toujours à Eylau. Ce pays est couvert de morts et de blessés. Ce n'est pas la plus belle partie de la guerre ; l'on souffre, et l'âme est oppressée de voir tant de victimes. Je me porte bien. J'ai fait ce que je voulais, et j'ai repoussé l'ennemi, en faisant échouer ses projets.
Tu dois être inquiète, et cette pensée m'afflige. Toutefois, tranquillise-toi, mon amie, et sois gaie.
Tout à toi.

Autres notes personnelles:


Le peintre, qui était ami de Joséphine, a pu grâce à aux bons soins de cette dernière se servir du véritable manteau de Napoléon pour en peindre tous les détails. J’ai lu ça quelque part, je ne me souviens plus où. Jean Tulard? Louis Madelin? Frédéric Masson? André Castelot? Il y en a tellement dans ma bibliothèque que je ne pourrais en citer un sans être certain que le mot vient peut-être d’un autre.


Détail d’une extrême importance dans cette peinture de Antoine-Jean Gros. Napoléon n’est pas fraîchement rasé. Ce fait est historiquement officialisé par quelques témoins qui l’ont vu parcourir le champ de bataille après le combat. Lui qui prenait un soin maniaque à se raser chaque matin, même pendant la terrible retraite de Russie, c’est dire à quel point cette bataille l’aura marqué. Billon l’a vu pleurer sur le champ de bataille mais un autre témoin l’a vu en faire autant sous sa tente. Son secrétaire sans doute... ah fuck, je déteste citer des choses au hasard sans pouvoir les certifier par des annotations concrètes. Ça m’apprendra à lire des bouquins sans prendre des notes.

Toujours est-il que cette bataille marque un passage important dans l’histoire des guerres du Premier Empire et de toutes celles qui viendront par la suite jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Eylau marque en effet le début des grandes boucheries que l’on reverra dans toutes leurs horreurs lors du conflit 14-18. Le gros des forces expérimentées de l’armée de Napo est en Espagne et la constante conscription amène de plus en plus de jeunes soldats mal formés sur le terrains des opérations. Cette lacune empêche les généraux français de diriger convenablement leurs effectifs. Les manoeuvres s’en trouvent moins sophistiqués et le déploiement des forces moins efficaces. On comble les lacunes de l’inexpérience par un surplus d’effectifs et au lieu de se déployer en bataille sous le feu de la mitraille, on se met plutôt en colonne et on fonce au canon.


Voici le témoignage du général Marbot sur la bataille de Eylau. Captivant!


“(...) Telle était la jument que je montais à Eylau, au moment où les débris du corps d’armée du maréchal Augereau, écrasés par une grêle de mitraille et de boulets, cherchaient à se réunir auprès du grand cimetière. Vous devez vous souvenir que le 14ème de ligne était resté seul sur un monticule qu’il ne devait quitter que par ordre de l’Empereur. La neige ayant cessé momentanément, on aperçut cet intrépide de régiment qui, entouré par l’ennemi, agitait son aigle en l’air pour prouver qu’il tenait toujours et demandait du secours. L’Empereur, touché du magnanime dévouement de ces braves gens, résolut d’essayer de les sauver, en ordonnant au maréchal Augereau d’envoyer vers eux un officier chargé de leur dire de quitter le monticule, de former un petit carré et de se diriger vers nous, tandis qu’une brigade de cavalerie marcherait à leur rencontre pour seconder leurs efforts.

C’était avant la grande charge faite par Murat ; il était presque impossible d’exécuter la volonté de l’Empereur, parce qu’une nuée de Cosaques nous séparant du 14’ de ligne, il devenait évident que l’officier qu’on allait envoyer vers ce malheureux régiment serait tué ou pris avant d’arriver jusqu’à lui. Cependant l’ordre étant positif; le maréchal dut s’y conformer.

Il était d’usage, dans l’armée impériale, que les aides de camp se plaçassent en file à quelques pas de leur général, et que celui qui se trouvait en tête marchât le premier, puis vint se placer à la queue lorsqu’il avait rempli sa mission, afin que, chacun portant un ordre à son tour, les dangers fussent également partagés. Un brave capitaine du génie, nommé Froissard, qui, bien que n’étant pas un aide de camp, était attaché au maréchal, se trouvant plus près de lui, fut chargé de porter l’ordre au 14ème. M. Froissard partit au galop: nous le perdîmes de vue au milieu des Cosaques, et jamais nous ne le revîmes ni sûmes ce qu’il était devenu. Le maréchal voyant que le 14ème de ligne ne bougeait pas, envoya un officier nommé David: il eut le même sort que Froissard, nous n’entendîmes plus parler de lui!... Il est probable que tous les deux, ayant été tués et dépouillés, ne purent être reconnus au milieu des nombreux cadavres dont le 501 était couvert Pour la troisième fois le maréchal appelle: «L’officier à marcherl !». - C’était mon tour !...

En voyant approcher le fils de son ancien ami, et j’ose le dire, son aide de camp de prédilection, la figure du bon maréchal fut émue, ses yeux se remplirent de larmes, car il ne pouvait se dissimuler qu’il m’envoyait à une mort presque certaine; mais il fallait obéir à l’Empereur; j’étais soldat, on ne pouvait faire marcher un de mes camarades à ma place, et je ne l’eusse pas souffert: c’eût été me déshonorer. Je m’élançai donc ! Mais, tout en faisant le sacrifice de ma vie, je crus devoir prendre les précautions nécessaires pour la sauver. J’avais remarqué que les deux officiers partis avant moi avaient mis le sabre à la main, ce qui me portait à croire qu’ils avaient le projet de se défendre contre les Cosaques qui les attaqueraient pendant le trajet, défense irréfléchie selon moi, puisqu’elle les avait forcés à s’arrêter pour combattre une multitude d’ennemis qui avaient fini par les accabler. Je m’y pris donc autrement, et laissant mon sabre au fourreau, je me considérai comme un cavalier qui, voulant gagner un prix de course, se dirige le plus rapidement possible et par la ligne la plus courte vers le but indiqué, sans se préoccuper de ce qu’il y a, ni à droite ni à gauche, sur son chemin. Or, mon but étant le monticule occupé par le 14’ de ligne, je résolus de m’y rendre sans faire attention aux Cosaques, que j’annulai par la pensée.

Ce système me réussit parfaitement ; Lisette, plus légère qu’une hirondelle, et volant plus qu’elle ne courait, dévorait l’espace, franchissant les monceaux de cadavres d’hommes et de chevaux, les fossés, les affûts brisés, ainsi que les feux mal éteints des bivouacs. Des milliers de Cosaques éparpillés couvraient la plaine. Les premiers qui m’aperçurent comme des chasseurs dans une traque, lorsque, voyant un lièvre, ils s’annoncent mutuellement sa présence par les cris: «A vous ! à vous !» Mais aucun de ces Cosaques n’essaya de m’arrêter, d’abord à cause de l’extrême rapidité de ma course, et probablement aussi parce qu’étant en très grand nombre, chacun d’eux pensait que je ne pourrais éviter ses camarades placés plus loin. Si bien que j’échappai à tous et parvins au 14ème de ligne, sans que moi ni mon excellente jument eussions reçu la moindre égratignure !

Je trouvai le 14’ formé en carré sur le haut du monticule; mais comme les pentes de terrain étaient fort douces, la cavalerie ennemie avait pu exécuter plusieurs charges contre le régiment français qui, les ayant vigoureusement repoussées, était entouré par un cercle de cadavres de chevaux et de dragons russes, formant une espèce de rempart qui rendait, désormais, la position presque inaccessible à la cavalerie, car, malgré l’aide de nos fantassins, j’eus beaucoup de peine à passer par-dessus ce sanglant et affreux retranchement. J’étais enfin dans le carré ! - Depuis la mort du colonel Savary, tué au passage de l’Ukra, le 14ème était commandé par un chef de bataillon. Lorsque, au milieu d’une grêle de boulets, je transmis à ce militaire l’ordre de quitter sa position pour tâcher de rejoindre le corps d’armée, il me fit observer que l’artillerie ennemie, tirant depuis une heure sur le 14ème, lui avait fait éprouver de telles pertes que la poignée de soldats qui lui restait serait infailliblement exterminée si elle descendait en plaine; qu’il n’aurait d’ailleurs pas le temps de préparer l’exécution de ce mouvement puisqu’une colonne d’infanterie russe, marchant sur lui, n’était plus qu’à cent pas de nous.

«Je ne vois aucun moyen de sauver le régiment, dit le chef de bataillon; retournez vers l’Empereur, faites-lui les adieux du 14’ de ligne qui a fidèlement exécuté ses ordres, et portez-lui l’aigle qu’il nous avait donnée et que nous ne pouvions plus défendre; il serait trop pénible, en mourant, de la voir tomber aux mains des ennemis !

Le commandant me remit alors son aigle, que les soldats, glorieux débris de cet intrépide régiment, saluèrent pour la dernière fois des cris de: Vive l’Empereur !... eux qui allaient mourir pour lui ! C’était le Cœsar, morituri te saluant! de Tacite; mais ce cri était poussé par des héros !

Les aigles d’infanterie étaient fort lourdes, et leur poids se trouvait augmenté d’une grande et forte hampe en bois de chêne, au sommet de laquelle on la fixait. La longueur de cette hampe m’embarrassait beaucoup, et comme ce bâton, dépourvu de son aigle, ne pouvait constituer un trophée pour les ennemis, je résolus, avec l’assentiment du commandant, de la briser pour n’emporter que l’aigle; mais au moment où, du haut de ma selle, je penchais le corps en avant pour avoir plus de force pour arriver à séparer l’aigle de la hampe, un des nombreux boulets que nous lançaient les Russes traversa la corne de derrière de mon chapeau, à quelques lignes de ma tête!... La commotion fut d’autant plus terrible que mon chapeau, étant retenu par une forte courroie de cuir fixée sous le menton, offrait plus de résistance au coup. Je fus comme anéanti, mais ne tombai pas de cheval. Le sang me coulait par le nez, les oreilles et même par les yeux; néanmoins j’entendais encore, je voyais. Je comprenais et conservais toutes mes facultés intellectuelles, bien que mes membres fussent paralysés au point qu’il m’était impossible de remuer un seul doigt !...”


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