lundi 17 mai 2010

Le service au garage du village de Ste-Émilie-de-l'Énergie.

Hier matin, j’arrive tout décidé au garage du village de Ste-Émilie de l’Énergie pour faire poser mes pneus d’été qui traînent sur le siège arrière de ma voiture depuis un mois. Il devait être environ 10h et je dis ça comme ça parce que l’heure n’a aucune espèce d’importance dans mon histoire. C’est juste pour donner une unité de mesure du temps même si, comme tout le monde le sait, tout ça est parfaitement relatif étant donné que le temps est en réalité une dimension au même titre que l’espace et qu’il est illogique de le calculer en le coupant quotidiennement par tranches de 24. Mieux vaudrait le voir comme une courbure qui finirait par former un immense cercle et qui, si l’on en faisait le tour complet, finirait par revenir à son point de départ. Ce qui nous donnerait la surréaliste vision de nous voir de dos en train de calculer la courbure du temps. C’est du moins ce que Einstein avait prouvé et qui l’a rendu célèbre, même si personne ne comprend véritablement de quoi il parlait. À part bien sûr ces quelques sympathiques cinglés qui passent leur courbure personnelle du temps à calculer des choses qui ne se calculent pas sur les doigts ni sur des bouliers chinois et qui donnent parfois des crises d’angoisses existentielles.

Anyway.

La commis qui était en poste me regarde à peine quand j’entre dans son commerce. Son regard campagnard est fixé sur un détail qui se trouve à l’extérieur même s’il ne s’y passe rien. On dirait qu’elle est en punition et qu’elle aimerait bien se trouver ailleurs. Ce qui est sans doute un peu ça en y pensant. Je lui explique la raison de ma visite.

- Mon mécanicien n’est pas là aujourd’hui, me répond-t-elle d’une voix sans modulation et sans même quitter des yeux l’objet de son intérêt précédemment qualifié par l’auteur de ces lignes comme étant quelque chose de vague, pour ne pas dire flou, mais pas exactement dit dans ces mots. (Pour éviter le piège des répétitions)

- Il sera là demain?

Elle laisse échapper un soupir.

- Non. Il est à la pêche pour toute la semaine.

Je trouvais l’image sympathique et elle me fit penser à ces films de Pagnol. Voilà un village complet privé du seul mécanicien de la région parce que le type a décidé d’aller à la pêche à la ligne me suis-je dit.

- À la truite, lui ai-je ensuite demandé à la blague et pour créer une sympathique complicité entre nous?

Elle me regarde enfin, mais avec cette expression singulière si caractéristique d’une personne qui se retrouvait soudainement devant un extra-terrestre. (Relisez cette dernière phrase et trouvez l’illogisme) Ou d’un Zombie. Ou du Yéti. Ou d’un Krishna. Enfin, elle me fusille du regard comme certains «locaux» de ces régions fusillent du regard ceux qui viennent de Montréal et qu’un mot ou un vêtement trahirait leur filiation d’appartenance citoyenne. Et le pire, c’est qu’elle ne me répond pas, mais n’en cesse pas moins de me scruter de la tête aux pieds. Ces quelques secondes de silence combinées à la persistance de son regard inquisiteur de la cambrousse me désarçonnent. Parce que je suis décontenancé, je tente de me reprendre au lieu de l’ignorer de la même manière qu’elle m’ignore et je rajoute stupidement : «Il est à la pêche à la truite?» C’était pour lui donner une seconde chance et du même coup, pour qu’elle comprenne que c’était une blague, une perche communicative lancée par politesse. Résultat? Même regard, même silence.

Je ne sais pas pourquoi - sans doute parce que c’était le matin et que je n’avais pas encore tous mes esprits - mais au lieu de l’envoyer chier comme elle le méritait et de lui tourner les talons, je persiste et je rajoute : «Votre mécanicien absent pour toute la semaine, il pêche la truite?» Complètement déphasée de son siècle, ignorante des grandes avancées sociales acquises depuis l’invention de la parole, elle me répond avec mépris : «Ben là! Truites, brochets, dorés, je l’sais-tu moé!»


Le garage porte la bannière «ESSO» et se trouve en plein coeur du village de Ste-Émilie de l’Énergie dans la belle région de Lanaudière. Vous ne pouvez pas le manquer, il est situé sur la 131 Nord en direction de St-Michel à l’intersection de la 347. Si vous passez dans le coin, n’y allez pas. Allez plutôt chez Arnois à l’entrée du village où passez votre chemin et rendez-vous au garage situé au prochain village. Le service y sera à coup sûr 100 fois meilleur.

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