mardi 16 février 2010

Donc, elle avait 96 ans.

Elle est morte dans la nuit d’hier. Une vieille dame qui allait avoir 96 ans cette semaine. Nous lui accorderons au moins ce titre.

Donc, elle avait 96 ans.


Bien qu’elle ait été physiquement en forme jusqu’à la fin, elle partait un peu depuis quelques mois.

Le corps, je veux dire les organes et toutes ces choses qui composent l’enveloppe humaine, tout ça allait bien. Je veux dire qu’à 95 ans, elle pouvait encore siffler sa bouteille de porto et marcher droit en se levant de table.

C’est entre les deux oreilles que ça coinçait un peu depuis les derniers mois.

Entre le moment où elle a commencé à oublier certaines choses et jusqu’au jour où elle confondait les personnes proches qui lui rendaient visite, il ne s’est passé que quelques mois.


Elle est morte de quoi?

De quoi tu veux qu’on crève à 96 ans? Elle est morte de vieillesse et puis c’est tout.


Il y aurait beaucoup de choses à dire sur elle. De petites et de grandes choses. Je sais qu’elle faisait toujours ses longueurs de piscine bien après ses 80 ans. Qu’elle portait des souliers chics le soir, mais enfilait des Nike le jour parce qu’elle faisait toutes ses courses à pied. Qu’elle a visité la Russie du temps de l’URSS. Qu’elle aurait pu faire carrière comme pianiste à Paris après ses études de musique au Conservatoire. Qu’elle fut féministe bien avant l’invention du mot. Femme de tête, cultivée, elle a gardé son abonnement au Musée des Beaux Arts de Montréal jusqu’à la fin.


C’était la soeur de mon grand-père et elle avait un prénom de fruit du Maroc. Clémentine.


On passe tous par là m’a dit mon père ce matin en m’annonçant la chose. Je lui ai répondu que c’était effectivement l’une des rares certitudes de cette vie ici-bas. Tous autant que nous sommes, et sans la moindre exception, on franchira un jour cette mystérieuse frontière qui nous mènera vers l’ailleurs absolu.

On a peur de cette chose, la mort, mais on semble oublier que l’avant-vie n’était pas plus rassurante au niveau des réponses concrètes. Je veux dire... on est là, on respire, on boit de bonnes bouteilles de vin mais avant de naître, où étions-nous? On met l’accent sur la mort sans jamais penser qu’on a peut-être passé par plus mystérieux cheminement encore quand est venu le temps de naître.

On vient bien de quelque part bordel de merde, et cette question, dans la philosophie moderne, est injustement subordonnée à celle qui implique «l’après». On en a que pour «l’après» alors qu’on passe notre vie en oubliant qu’il y devait logiquement y avoir un «avant».

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