lundi 19 octobre 2009

Les Ripoux made in Québec

Question 1: À la lumière des derniers scandales de corruption au Québec, pourquoi le gouvernement de monsieur Charest se refuse-t-il à instituer une vaste enquête public?

Question 2: Pourquoi l'opposition (tant le PQ que l'ADQ) se montre-t-elle aussi timide dans cette affaire? Il me semble que ces deux partis auraient tout à gagner à harceler sans relâche le parti Libéral en chambre non?

Question 3 : Pourquoi l'ex ministre péquiste Guy Chevrette se montrait-il lui aussi non intéressé par une enquête public?

Les réponses à ces questions se trouvent peut-être dans l'article de Kathleen Lévesque dans l'édition du Devoir du 26 mars dernier. À lire mais pas avant d'aller vous coucher. Vous risqueriez d'en faire des cauchemars.
Méconnu du grand public, Antonio Accurso est un personnage incontournable du grand jeu politico-syndical au Québec. Ses amitiés sont tentaculaires. D'ailleurs, depuis une dizaine de jours, les liens étroits de ce grand patron du milieu de la construction avec le président de la FTQ et défenseur de milliers de travailleurs, Michel Arsenault, en ont fait sourciller plus d'un. Regard sur un homme d'affaires discret.
«Tony Accurso. Je suis présentement pas disponible. Au son du timbre, s'il vous plaît, laissez votre message», peut-on entendre sur la boîte vocale du téléphone cellulaire. Des messages répétés mais aucun rappel. L'homme est occupé. Il faut dire que la «business» de Tony Accurso est florissante. Et diversifiée. M. Accurso dirige, préside, contrôle directement ou par ses sociétés des dizaines d'entreprises. Compagnies à numéros, firmes de construction, de gestion des déchets, de travaux publics, de trottoirs, de tuyaux de béton, d'électricité industrielle, de plomberie, de location d'équipement et d'outillage de construction, de montage d'acier, des bars, des restaurants, des salles de cinéma, des centres commerciaux et le plus gros hippoclub du Québec, situé à Laval, avec appareils de loterie vidéo et paris sur courses de chevaux. Ses entreprises les plus souvent nommées sont Simard-Beaudry, Constructions Louisbourg, Gastier, Hyprescon, Constructions Marton, les Ciments Lavallée, Cemco, Écolosols, les Galeries de Laval, Place Québec, le complexe Tops à Laval. Mais tenter de faire l'organigramme exhaustif des activités professionnelles de cet homme d'affaires est un véritable casse-tête. Chose certaine, comme l'a récemment démontré Radio-Canada, il travaille main dans la main avec le Fonds de solidarité de la FTQ qui a investi au fil des ans 114 millions de dollars dans ses entreprises, sans compter les garanties de prêts. Le Fonds de solidarité est un partenaire de premier plan et le président Michel Arsenault a applaudi publiquement le rendement annuel (12,8 %) que lui procure cette association. Le fondateur du Fonds, Louis Laberge, était un ami de l'homme d'affaires qui a dit de lui qu'il était «un père pour moi». Après le départ de Laberge, les présidents du Fonds et de la FTQ se sont succédé et l'amitié est demeurée. Réseaux politiques Les fréquentations de M. Accurso dépassent toutefois l'arène syndicale. Cet homme d'affaires prospère soigne ses relations auprès de tous les gros donneurs d'ouvrage, c'est-à-dire le monde municipal et les gouvernements, peu importe leur allégeance politique. Il est dans l'orbite des partis politiques sans y jouer un rôle officiel. L'ancien ministre péquiste Guy Chevrette connaît M. Accurso, qui est un ami de Marcel Melançon, un ancien collecteur de fonds pour le Parti québécois et qui a présidé l'entreprise Constructions Marton («Mar» pour Marcel et «Ton» pour Tony). Souvent responsable des campagnes annuelles de financement de son parti, M. Chevrette a maintes fois croisé M. Accurso dans les cocktails de financement et a soupé quelques fois avec lui, sans discuter, assure-t-il, des projets de l'entrepreneur. «Il donne à tous les partis politiques. Comme ministre, je rencontrais tout le monde. On dit bonjour, bonjour, mais ce n'est pas toi qui récolte l'argent, qui voit le chèque», a expliqué M. Chevrette au Devoir. En 2002, lorsque l'Action démocratique du Québec effectuait une montée en flèche dans les intentions de vote, l'entourage de M. Accurso s'en était rapproché, notamment en participant au tournoi de golf annuel de l'ADQ. Dans les coulisses du Parti libéral du Québec, le magnat de la construction n'est jamais bien loin non plus. «Il fait beaucoup de représentations mais de façon discrète. Il est très bon dans les relations publiques», explique-t-on dans les rangs libéraux, sous le couvert de l'anonymat. En 2000, M. Accurso a racheté la société en faillite Beaver Asphalte fondée par Tommy D'Errico, longtemps trésorier du Parti libéral du Québec. Au fil des ans, Tony Accurso a souvent été décrit dans les médias comme un «militant» politique de Laval ou comme un proche du maire Gilles Vaillancourt. Mais son nom n'apparaît pas sur la liste des donateurs à la caisse électorale. Au cabinet de M. Vaillancourt, on se contente de dire avec ironie que «beaucoup de monde s'identifie comme un proche du maire Vaillancourt». La situation est semblable à Montréal. L'ancien président du comité exécutif, Frank Zampino, et Tony Accurso sont si proches que M. Zampino aurait, tout comme Michel Arsenault de la FTQ, profité du luxe du yacht de M. Accurso, rapportait ces derniers jours La Presse. Frank Zampino est aujourd'hui le numéro deux de la firme d'ingénierie Dessau, partenaire d'affaires de M. Accurso. Aussi, lorsque le directeur général de Montréal, Robert Abdallah, a quitté ses fonctions en juin 2006, Tony Accurso l'a embauché à la suite des efforts ratés de Frank Zampino pour que son ami Abdallah prenne les rênes du Port de Montréal. En tant que gestionnaire, M. Abdallah dirige les opérations de Gastier et de ses filiales (Gastier projets, Gastier international, Les gestions Gastier, Gastier M.P.). Profusion de contrats Tony Accurso fait partie du cercle restreint des grands entrepreneurs retenus par Montréal année après année pour effectuer les travaux d'infrastructures. L'entreprise Simard-Beaudry de M. Accurso, dans laquelle a investi le Fonds de solidarité, a obtenu avec Dessau (dans un consortium nommé Génieau) le plus important contrat jamais consenti par la Ville de Montréal. Il s'agit d'un contrat de 355 millions pour l'installation et l'entretien sur une période de 15 ans de 30 000 compteurs d'eau dans les immeubles industriels, commerciaux et institutionnels de toute l'île de Montréal. Le consortium Génieau aura également un mandat de 25 ans pour mesurer la consommation d'eau. L'appel d'offres pour ce lucratif contrat a été orchestré par la firme d'ingénieurs BPR. Une fois le contrat accordé à Génieau, Yves Provost, le haut fonctionnaire de Montréal responsable du dossier de l'eau qui avait travaillé main dans la main avec BPR, a pris sa retraite avant d'être embauché par BPR. Un autre contrat est lié à celui des compteurs d'eau à Montréal, soit celui du plan d'intervention pour remplacer les futures conduites d'eau vétustes. Or, M. Provost avait expliqué en entrevue au Devoir, en décembre 2007, que l'une des entreprises de Tony Accurso, Hyprescon, dans laquelle a aussi investi le Fonds de solidarité, gagnait presque à tout coup les appels d'offres pour l'installation de conduites souterraines de grandes dimensions. Seule Hyprescon peut répondre aux spécificités techniques exigées par Montréal concernant ces tuyaux puisque cette entreprise est le seul fournisseur de tuyaux d'acier recouverts de béton précontraint. «C'est vrai que le marché est faible. Il y a un autre fournisseur au Texas et un aux Émirats arabes unis, mais les tuyaux de béton ne supportent pas l'aspect financier du transport sur des longues distances. Ici, il y a un seul fournisseur, c'est Hyprescon», disait-il. Tony Accurso brasse également des affaires à Laval. L'année dernière, l'homme d'affaires a tenté d'obtenir la permission d'agrandir en zone agricole sa carrière située dans Chomedey. La Ville avait adopté en première lecture un changement de zonage appuyant le projet de M. Accurso, mais la Commission de protection du territoire agricole a jugé le dossier irrecevable. Aussi, M. Accurso est propriétaire, en partenariat notamment avec le Fonds de solidarité, d'un terrain voisin de la station de métro Montmorency, à Laval. L'administration Vaillancourt souhaite y voir se développer des projets «de type centre-ville». L'immobilier est l'une des nombreuses cordes à l'arc Accurso. Au gouvernement du Québec, les entreprises Accurso sont également parmi les grands contracteurs retenus régulièrement pour effectuer des travaux majeurs de pavage de route, de construction d'échangeurs ou d'immeubles institutionnels, par exemple. On retrouve l'entrepreneur dans les grands centres urbains, mais également en région. En 2002, il a participé au projet de 23,9 millions de l'hôtel-Dieu de Roberval. L'année suivante, Constructions Marton participait à la réalisation pour 13 millions du Centre de développement des biotechnologies de Sherbrooke. En 2005, la même entreprise collaborait au campus de l'Institut national de recherche scientifique de Laval (27 millions). Tony Accurso est doué pour flairer les bonnes affaires. Le gouvernement libéral a ouvert la porte des partenariats public-privé et M. Accurso s'y est engouffré. Dans le projet de 1,6 milliard du Centre universitaire de santé McGill, Simard-Beaudry fait partie d'un des consortiums d'entreprises soumissionnaires. Tout semble sourire à M. Accurso, sauf en quelques occasions. Ce fut le cas lorsqu'en 2000, l'inspecteur-chef responsable des enquêtes criminelles à la police de Laval, Ronald Montpetit, a quitté ses fonctions après avoir mené illégalement des vérifications sur le casier judiciaire de personnes ayant postulé un emploi au complexe Tops appartenant à Tony Accurso. Le policier Montpetit avait consulté les banques de données du Centre de renseignements policiers du Québec pour fournir des informations confidentielles à la demande du resto-bar. Par ailleurs, en 1987, le beau-frère de M. Accurso, Mario Taddeo, qui avait présidé quelques années auparavant l'une des entreprises du groupe, est tombé sous les balles d'un tueur à gages. Dans les journaux de l'époque, on rapporte que M. Taddeo était un proche du PLQ et un organisateur à Laval pour le Parti conservateur du Canada. Le meurtre n'a jamais été élucidé.
Kathleen Lévesque
Le Devoir
Édition du jeudi 26 mars 2009

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