samedi 18 juillet 2009

La mondialisation et mon voisin du chalet.

C'était en juin. Je venais d'arriver au chalet. J'avais une excellente bouteille que j'étais en train de faire respirer. Masi Grandarella Appassimento 2004. J'avais des brochettes marinées qui attendaient dans le frigo. À la radio, j'écoutais La Librairie Francophone et j'étais encore sous le coup de l'émotion après avoir entendu cet auteur africain dont j'ai oublié le nom affirmer que la mondialisation, pour les Africains, date de 500 ans. " Pour les occidentaux, c'est tout nouveau et le choc est brutal. Mais pour nous, c'est quelque chose que nous connaissons depuis un demi millénaire."
J'adore ce genre de vérité coup de poing. J'adore quand on me balance sur la gueule une évidence gros comme un continent entier mais qu'en 46 ans, je n'avais pas vu parce que ma putain de vision, et malgré le fait que j'aspire chaque jour à la rendre plus planétaire et plus humaniste, n'en est pas moins une vision de sale petit blanc merdeux qui respire dans un confort écœurant planté dans l'hémisphère nord. Ma mondialisation à moi, je ne l'ai vu que par des pertes d'emplois vers le Mexique ou la Chine. J'avais oublié que les sweat shops de Nike ou de Wal-Mart qui se trouvent au Vietnam ou en Chine ne sont rien de moins que la continuité contemporaine des premières rafles esclavagistes qui décimèrent tout un continent.
La mondialisation, qu'est-ce que c'est sinon que l'exploitation de l'homme par l'homme? On vote des lois pour abolir l'esclavage mais les grandes entreprises ont toujours trouvé le moyen de jouer avec ces mêmes lois pour maintenir une forme d'esclavage plus "humain". Aujourd'hui, on ne fouette plus les gamines du sud qui tissent 12 heures par jour les tissus pour les salopes et les salauds du nord en échange d'un bol de riz, on les congédient. C'est plus humain. Ils iront crever dans la rue plutôt que de crever sur une potence.

J'écoutais cette émission, relaxe, tranquille, pépère et par la fenêtre, je voyais le soleil monter vers la cime des arbres de la forêt. La petite télé noir et blanc qui renvoie une image un peu floue de la réalité était toute prête pour le deuxième match Pittsburgh Détroit. Bref, j'étais crissement bien. J'aime le hockey mais ça, je crois en avoir déjà parlé.
C'est là que mon voisin est arrivé. Il revenait du village, saoul comme une botte, heureux de me voir, voulant partager un morceau de sa triste gaîté avec moi. Moi, j'aurais bien aimé lui parler mondialisation ou même hockey mais lui, il s'en fout de tout ça. Sa mondialisation à lui, elle ne dépasse pas les frontières modestes du petit village de Sainte-Émélie-de-l'Énergie. Ce n'est pas un mauvais bougre. Au contraire, c'est un brave type. Un peu démuni, certes, mais le cœur sur la main. Je suis son unique cercle social et j'assume cette responsabilité.
Il revenait de faire je ne sais quel boulot pour un type du village et ce dernier lui avait payé la bière. Le type en question est connu dans la région sous le nom de "Ti-Joe", un bonhomme de 75 ans qui n'en paraît pas plus de 65. C'est le dealer du coin et semble-t-il que son cannabis est le meilleur qu'on ne puisse trouver. Moi, je ne sais pas puisque je ne touche plus à ça depuis environ un quart de siècle. La dope pour les angoissés de mon espèce, ce n'est pas très recommandé. Quand je fumais, une fois sur deux, j'avais la certitude que Reagan venait d'envoyer ses missiles sur Moscou et sincèrement, ce n'était pas drôle du tout. Même qu'une fois, j'en étais tellement persuadé que j'avais commencé à me faire des provisions pour les prochains hivers nucléaires. J'avais passé la nuit à mettre en sûreté toutes les conserves que j'avais dans la maison. Et puis de l'eau potable... et puis des piles pour la radio... et puis une radio... et puis tout un tas de trucs du genre. Bref, la dope et moi, ça ne marche pas. Je préfère le vin.

Où est-ce que je m'en allais avec tout ça? Il me semble que mon texte déraille. En fait, je voulais faire une sorte de lien avec cette journée et celles de maintenant où mon voisin n'est plus là. Il a déménagé dans une autre piaule un peu plus près du village. Je voulais faire une sorte de boucle avec lui, sa présence puis son absence, sa pauvreté et celle de ces exploités de l'hémisphère sud, faire des parallèles, des comparaisons imagées, des similitudes dans les contrastes mais je me suis perdu en chemin. Et puis construire un texte comme ça, c'est chiant. Ça prend du temps et moi, j'aime bien écrire et ploguer la chose tout de suite. Parfois c'est bon, souvent c'est mauvais mais l'important c'est d'écrire quelque chose.

Ti-Joe, il baise les putes de Sainte-Émélie. Il y en a quelques unes semble-t-il. Des assistés sociales pour la plupart, des cokées de la ville venues on ne sait comment s'installer dans la région. Et puis aussi des amérindiennes alcooliques de la réserve de la Manawane. C'est mon voisin qui me raconte tout ça. Moi, je ne fréquente pas les gens du village. Ou alors par obligation. Quand je vais à l'épicerie par exemple. Je ne les connais pas mais eux, ils me connaissent tous parait-il. C'est comme ça dans les petits bleds perdus du Québec. Tu ne peux pas de gratter le cul sans que ça ne fasse le tour du village.
Ti-Joe et mon voisin du chalet, ils font du troc. Un peu comme l'ONU avec l'Irak du temps de Saddam mais à la différence du fameux "pétrole contre nourriture", eux c'est Viagra contre nourriture. Parce qu'il faut savoir que mon voisin est suivi par un doc et que ce dernier peut lui prescrire à peu près tout ce qu'il veut. C'est l'assistance sociale qui paie. Du coup, il fournit Ti-Joe en pilules bleues et Ti-Joe lui refile de la bière ou de la bouffe, c'est selon les besoins du moment.

Mon voisin, il n'est plus là et ça fait tout drôle. Il est quand même parvenu à tenir sept ans dans un isolement quasi complet, sans boulot, sans voiture, sans téléphone, sans voisin pendant sept mois par année. L'hiver, je ne sais pas comment il faisait pour ne pas se flinguer. J'avais toujours l'impression qu'un bon jour, je l'aurais trouvé pendu au-dessus de sa corde de bois avec la ceinture de son pantalon. Je crois qu'il était trop déprimé pour penser au suicide.

Là, c'est du n'importe quoi comme dirait le poète. Je crois que je vais aller me coucher.

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