Dans un précédent texte, j'avais parlé de A... et de sa soeur top modèle et voilà, je me suis planté. En fait, la soeur top modèle ce n'était pas la blonde pétillante qui aurait fait fondre un chargement de boeufs congelés juste en lui balançant un regard à bout portant.
- Non?
- Si! Si!
Pauvre petit chargement de boeufs congelés. Si ça ne fait pas pitié!
Il n'y a pas d'OGM qui protège la frigorisation * des boeufs congelés quand une superbe femme qu'on croyait top modèle mais qui ne l'est pas passe devant. **
Donc ce n'était pas elle, mais l'autre. La pas blonde, celle qui aurait foutu le bordel pas possible dans une congrégation de jeunes prêtres. Du coup, je suis tout mélangé. Vous aussi forcément. Sauf pour A... qui connaît parfaitement la composition de sa famille de même que le statut social de chaque personne qui la compose.
C'est A... qui m'a tout expliqué ça l'autre jour devant un café, la fois où l'on ne travaillait pas et que je voulais acheter des pastels à l'huile parce que je veux me remettre à en faire. (Du pastel à l'huile, pas du café.)
Elle a trouvé ça drôle. Pas moi parce que j'ai appris du même coup qu'elle avait parlé de mon blogue à sa soeur. Pas la top modèle, mais l'autre. Celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas mais qui pourrait l'être quand même selon mes standards à moi.
Ça me fout tout à l'envers quand des gens qui me connaissent à peine viennent lire mes petites conneries. Surtout quand ils ne me connaissent qu'en surface, vaguement, de loin, de nom avec une sorte d'image approximative du visage. Je veux dire, la fois d'après, quand je les croise, j'ai l'impression d'être un peu tout nu devant eux. Comme s'ils lisaient dans mon esprit. C'est déstabilisant. Surtout quand il s'agit de la soeur à A..., celle que je croyais top modèle mais qui ne l'est pas.
La blonde.
Celle pétillante de son état.
Celle jolie sur son passeport.
Et en vrai aussi. Surtout.
Celle-là, la fondeuse de boeufs.
Congelés de leur état. Je parle des boeufs.
Mais fondus depuis. Ces mêmes boeufs. (Pauvres petits boeufs!)
Merde... je délire.
C'est pas ma faute. C'est la faute au nombril de la soeur de A....
- Non?
- Si! Si!
Car enfin, de mes yeux j'ai vu son nombril danser, libre et fier, le soir où j'ai aussi mangé du fromage au lait cru importé clandestinement de France par la propriétaire de ce même nombril. De loin, pendant que la soeur de A... l'exhibait ostentatoirement sous de chauds rythmes latins alors que j'hésitais entre perdre connaissance ou applaudir en pleurant, on s'est regardé lui et moi. Je parle de son nombril. Il m'a salué discrètement. Il avait l'air au-dessus de tout ça. La dégaine typique du nombril qui est bien dans sa peau.
Un nombril de grande classe.
Un peu plus tard, et profitant que sa propriétaire était occupée à sonder l'opinion des gens présents sur leurs intentions éventuelles à l'idée d'aller terminer la soirée dans un bar, j'ai vu son nombril se détacher discrètement de son poste de travail pour aller se fumer une clope dehors. J'en ai profité pour aller le rejoindre et faire plus ample connaissance.
- Salut.
- Salut.
- Et votre nom encore c'est comment?
- Varice & Versa. Et vous?
- Hubert DeCastille. Je suis le nombril de la soeur de A... Pas la top modèle, mais l'autre. Celle que l'on croit top modèle justement mais qui ne l'est pas. La blonde. Celle pétillante. Pleine de vie. Vous voyez de qui je parle?
- Oui, très bien. Et vous faites quoi dans la vie?
- Je danse, libre et fier, les soirs de fromages au lait cru. Je suis lascif et j'aime mon boulot. Et vous?
- Je vends des bouteilles de vin. C'est chiant. Répétitif. J'en ai un peu marre. Surtout quand je dois travailler avec la grosse conne.
- Je comprends.
Une légère brise venue du nord nous rappelait au nombril et à moi que le mois de mars n'était pas encore tout à fait terminé, qu'il ne fallait pas encore le compter pour mort. Ce n'était pas pour autant une soirée glaciale mais en voyant Hubert DeCastille se recroqueviller dans son parka Kanuk en tirant de longues bouffées de sa cigarette, je voyais bien qu'il avait perdu l'habitude de ces soirées de fin d'hiver montréalais; résultat de ses longs séjours à Paris. Il y avait de la fragilité dans son regard de nombril.
- Dites-moi, et sans indiscrétion, on embauche dans votre domaine?
- Pas vraiment. C'est une position très demandée vous savez et une fois qu'on décroche le boulot, on le garde. Pas vraiment de mouvement de personnel, sauf quand la propriétaire danse sur des rythmes latins. Alors là, oui, il y a du mouvement que j'assume personnellement mais pas en tant que mouvement de personnel. Vous me suivez?
- Pas tout à fait mais ça ne fait rien. Je vois déjà que ce texte s'en va nulle part alors aussi bien délirer au max.
- Je sais, c'est à cause de moi n'est-ce pas?
- Si un peu. Vous m'avez bien déstabilisé en dansant. C'était très beau. Très prenant.
- Vraiment?
- Puisque je vous le dit.
- Mais ça vous a déstabilisé dites-vous.
- Oui mais que voulez-vous, ce n'est pas de votre faute. En tant que nombril, vous faites votre boulot. On ne peut rien vous reprocher. Mais sincèrement, vous êtes certain que pour le job...
- Nenni! Pas une chance si vous voulez tout savoir. Plus de possibilité d'embauche pour les 60 prochaines années. C'est un milieu très contingenté. Je parle du milieu de l'emploi, pas du milieu du ventre où se trouve mon boulot. Enfin, ça aussi c'est contingenté mais bon, ne me faites pas dire des choses que je ne voudrais pas.
Je le sentais sur ses gardes comme un chien qui ne veux pas laisser son os. Il aimait son boulot, c'était évident. Mais en même temps je sentais une crainte indéfinissable en lui. Me voyait-il comme un compétiteur potentiel? Il n'avait pas tout à fait tort par le simple fait que l'idée de lui éclater la tête avec une clé à molette m'avait traversé l'esprit. Le coup était réalisable et j'avais justement sur moi une clé à molette que j'avais glissé je ne sais pourquoi dans ma poche avant de quitter la maison pour me rendre à cette soirée. Pendant qu'il parlait, j'échafaudais un plan génial dans lequel je me voyais très bien l'assommer d'un coup sec, faire disparaître son corps de nombril quelque part dans la ruelle, me déguiser en nombril moi-même et rentrer le plus naturellement du monde dans la maison pour aller prendre sa place sur le ventre de la soeur de A..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas. La blonde. Celle pétillante. J'avais bien observé ce nombril pendant toute la soirée et j'avais capté en quelques coups d'oeil aiguisés toutes les nuances de son affolante personnalité. Les reproduire de manière à confondre la soeur de A..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas, la blonde, celle pétillante, me semblait tout à fait possible. D'autant plus que je pouvais compter sur ma propre expérience personnelle en tant qu'admirateur passionné de nombrils féminin pour combler quelques lacunes comportementales. À ces pensées, mon coeur se mit à s'emballer.
- Dommage. Ça semble très agréable comme emploi.
- À qui le dites-vous! Je vois du pays, on me contemple sur la rue les jours où ma patronne porte ces affriolants petits t-shirts, j'ai la voiture fournie, l'essence payée, compte de dépense illimité, logé, nourrie et le plus chouette, c'est que je la suis partout. J'ai pas à me plaindre. Surtout la nuit, quand elle dort et que je me laisse bercer par le rythme de sa respiration qui fait comme une impression de vagues. Vous voyez ce que je veux dire?
"Tout à fait" lui répondis-je tout en serrant d'une poigne ferme ma clé à molette. Cette description détaillée des bénéfices marginaux de son emploi de même que les images de respirations ondulatoires ressenties sur la peau d'un ventre comme voilà-t-y pas celui de la soeur de A..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas, la blonde, celle pétillante, provoquèrent en moi une féroce envie de précipiter mon terrible plan. Mais je devais garder mon sang froid et attendre le bon moment. Bouger trop vite pouvait être néfaste.
- Et vous faisiez quoi avant? lui demandais-je pour ramener une impression de complicité entre nous.
- Je vendais des assurances. L'enfer mon brave. L'enfer.
- Mais justement, comment un ancien vendeur d'assurances devient-il le nombril d'une superbe femme que l'on croit top modèle mais qui ne l'est pas?
- Ah ça! Il faut dire que j'ai eu de la chance. J'avais un client qui était quartier de boeuf congelé de son métier et qui un jour, s'est vu fondre à cause d'un simple regard lancé à bout portant. Vous savez, ce genre de regard de femme que l'on croit top modèle mais qui ne l'est pas? Ça tue. Il en est mort justement. Fondu comme un cornet de glace en pleine canicule. Mais juste avant de crever, il avait acheté une police d'assurance contre le regard des belles femmes. C'était juste avant qu'il ne croise la soeur de A... qui se promenait sans nombril.
- Sans nombril?
- Sans nombril.
- Mais vous voulez dire qu'avant vous, elle n'avait pas de nombril, c'est ça?
- Tout à fait. À cause de je ne sais quelle loi d'immigration mais ne m'en demandez pas plus, je n'y connais rien en juridiction nombrilienne. ...euh.. ça se dit ce mot: "Nombrilienne?"
- Non mais ce n'est pas grave. C'est mon blogue alors vous pouvez dire ce que vous voulez.
Je voulais le mettre en confiance, éteindre ce doute que je percevais dans sa pupille de nombril, quitte à le laisser dire n'importe quoi dans mon blogue. C'était risqué parce que je sais qu'il y a tout un tas de gens que je connais qui viennent ici, lire mes petites conneries personnelles. Lui laisser la direction complète d'une page pouvait d'autant plus bousiller à jamais ma réputation et je jouais gros. Très gros! Mais devenir le nombril de la soeur de A ..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas, la blonde, celle pétillante, était une occasion qui en valait le coup. Je me mettais à rêver que, moi aussi, je pouvais très bien m'auto onduler ostentatoirement sous de chauds rythmes latins et bercé langoureusement par de voluptueux déhanchements balancés à bout portant sous les regards envieux de toute la planète mâle. Devenir le centre d'attention de toutes les intentions, le cercle social le plus prisé en ville, le ventre de Paris, la cible de la cible, devenir en quelque sorte rien de moins que le Nombril du monde. La gloire éternelle en somme. Face à cette jubilatoire perspective d'emploi, lui laisser quelques lignes de mon blogue me semblait un risque parfaitement calculé.
- Merci. Alors donc, voilà, quand j'ai appris la chose j'ai pas hésité. Je me suis présenté à son bureau et je lui ai montré mon plan d'affaire avec un portefolio très détaillé. Photos couleurs, tout le tralala. Un beau document dont j'ai payé très cher. Mais ça valait le coup puisqu'elle a tout de suite vu que j'étais sérieux. Elle m'a embauché à l'essai pendant un mois et depuis de temps, je suis un employé régulier. J'ai même la couverture totale pour les assurances santé. Pour le service du dentiste, je n'ai qu'à payer 20%. Et en plus, j'ai ma maison sur son ventre. Le boulot idéal je vous dis.
Cette fois, ça en était trop et je décidais de passer à l'action. Mais au moment précis où j'allais lui éclater la tête et enclencher du même coup mon terrible plan, la porte s'ouvrit et A... vint nous rejoindre sur le balcon arrière.
- Hubert, ma soeur te demande.
- Tout de suite?
- Oui, c'est urgent. Ça fait trois morceaux de chauds rythmes latins qui passent et elle voudrait bien danser un petit peu.
Hubert DeCastille écrasa sa cigarette avant de me serrer chaleureusement la main.
- Désolé, mais j'ai du boulot. Ma patronne ne peut pas danser sans moi. On fait une équipe du tonnerre. Mais ce fut un plaisir monsieur.
Après ces derniers mots, le nombriliste personnage entra dans la maison en nous laissant seuls A... et moi sur le balcon. Le mois de mars n'était pas encore tout à fait terminé et il ne fallait surtout pas le compter pour mort. Ce n'était pas pour autant une soirée glaciale et A... ne semblait pas du tout incommodée par cette fraîcheur du soir qu'appuyait une légère brise venue du nord. Elle alluma sa cigarette avant de souffler une large volute de fumée bleue qui s'effaça aussitôt sous la voûte étoilée du ciel montréalais. J'en profita subtilement pour remettre ma clé à molette dans ma poche.
* Ça se dit ça? Je ne crois pas. Mais bon, on s'en fout. C'est mon blogue après tout et je peux écrire ce que je veux... La preuve: Prout! Prout! Ploum! Ploum!
** Notez ici au passage la subtilité éloquente de ma verve quand vient le temps de glisser un message, mine de rien, en sachant justement que la soeur de A..., celle que je croyais top modèle mais qui ne l'est pas, bref, la blonde pétillante au chargement de boeufs congelés soudainement fondus, se tape ce blogue. Je suis incroyable. Vraiment.
- Non?
- Si! Si!
Pauvre petit chargement de boeufs congelés. Si ça ne fait pas pitié!
Il n'y a pas d'OGM qui protège la frigorisation * des boeufs congelés quand une superbe femme qu'on croyait top modèle mais qui ne l'est pas passe devant. **
Donc ce n'était pas elle, mais l'autre. La pas blonde, celle qui aurait foutu le bordel pas possible dans une congrégation de jeunes prêtres. Du coup, je suis tout mélangé. Vous aussi forcément. Sauf pour A... qui connaît parfaitement la composition de sa famille de même que le statut social de chaque personne qui la compose.
C'est A... qui m'a tout expliqué ça l'autre jour devant un café, la fois où l'on ne travaillait pas et que je voulais acheter des pastels à l'huile parce que je veux me remettre à en faire. (Du pastel à l'huile, pas du café.)
Elle a trouvé ça drôle. Pas moi parce que j'ai appris du même coup qu'elle avait parlé de mon blogue à sa soeur. Pas la top modèle, mais l'autre. Celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas mais qui pourrait l'être quand même selon mes standards à moi.
Ça me fout tout à l'envers quand des gens qui me connaissent à peine viennent lire mes petites conneries. Surtout quand ils ne me connaissent qu'en surface, vaguement, de loin, de nom avec une sorte d'image approximative du visage. Je veux dire, la fois d'après, quand je les croise, j'ai l'impression d'être un peu tout nu devant eux. Comme s'ils lisaient dans mon esprit. C'est déstabilisant. Surtout quand il s'agit de la soeur à A..., celle que je croyais top modèle mais qui ne l'est pas.
La blonde.
Celle pétillante de son état.
Celle jolie sur son passeport.
Et en vrai aussi. Surtout.
Celle-là, la fondeuse de boeufs.
Congelés de leur état. Je parle des boeufs.
Mais fondus depuis. Ces mêmes boeufs. (Pauvres petits boeufs!)
Merde... je délire.
C'est pas ma faute. C'est la faute au nombril de la soeur de A....
- Non?
- Si! Si!
Car enfin, de mes yeux j'ai vu son nombril danser, libre et fier, le soir où j'ai aussi mangé du fromage au lait cru importé clandestinement de France par la propriétaire de ce même nombril. De loin, pendant que la soeur de A... l'exhibait ostentatoirement sous de chauds rythmes latins alors que j'hésitais entre perdre connaissance ou applaudir en pleurant, on s'est regardé lui et moi. Je parle de son nombril. Il m'a salué discrètement. Il avait l'air au-dessus de tout ça. La dégaine typique du nombril qui est bien dans sa peau.
Un nombril de grande classe.
Un peu plus tard, et profitant que sa propriétaire était occupée à sonder l'opinion des gens présents sur leurs intentions éventuelles à l'idée d'aller terminer la soirée dans un bar, j'ai vu son nombril se détacher discrètement de son poste de travail pour aller se fumer une clope dehors. J'en ai profité pour aller le rejoindre et faire plus ample connaissance.
- Salut.
- Salut.
- Et votre nom encore c'est comment?
- Varice & Versa. Et vous?
- Hubert DeCastille. Je suis le nombril de la soeur de A... Pas la top modèle, mais l'autre. Celle que l'on croit top modèle justement mais qui ne l'est pas. La blonde. Celle pétillante. Pleine de vie. Vous voyez de qui je parle?
- Oui, très bien. Et vous faites quoi dans la vie?
- Je danse, libre et fier, les soirs de fromages au lait cru. Je suis lascif et j'aime mon boulot. Et vous?
- Je vends des bouteilles de vin. C'est chiant. Répétitif. J'en ai un peu marre. Surtout quand je dois travailler avec la grosse conne.
- Je comprends.
Une légère brise venue du nord nous rappelait au nombril et à moi que le mois de mars n'était pas encore tout à fait terminé, qu'il ne fallait pas encore le compter pour mort. Ce n'était pas pour autant une soirée glaciale mais en voyant Hubert DeCastille se recroqueviller dans son parka Kanuk en tirant de longues bouffées de sa cigarette, je voyais bien qu'il avait perdu l'habitude de ces soirées de fin d'hiver montréalais; résultat de ses longs séjours à Paris. Il y avait de la fragilité dans son regard de nombril.
- Dites-moi, et sans indiscrétion, on embauche dans votre domaine?
- Pas vraiment. C'est une position très demandée vous savez et une fois qu'on décroche le boulot, on le garde. Pas vraiment de mouvement de personnel, sauf quand la propriétaire danse sur des rythmes latins. Alors là, oui, il y a du mouvement que j'assume personnellement mais pas en tant que mouvement de personnel. Vous me suivez?
- Pas tout à fait mais ça ne fait rien. Je vois déjà que ce texte s'en va nulle part alors aussi bien délirer au max.
- Je sais, c'est à cause de moi n'est-ce pas?
- Si un peu. Vous m'avez bien déstabilisé en dansant. C'était très beau. Très prenant.
- Vraiment?
- Puisque je vous le dit.
- Mais ça vous a déstabilisé dites-vous.
- Oui mais que voulez-vous, ce n'est pas de votre faute. En tant que nombril, vous faites votre boulot. On ne peut rien vous reprocher. Mais sincèrement, vous êtes certain que pour le job...
- Nenni! Pas une chance si vous voulez tout savoir. Plus de possibilité d'embauche pour les 60 prochaines années. C'est un milieu très contingenté. Je parle du milieu de l'emploi, pas du milieu du ventre où se trouve mon boulot. Enfin, ça aussi c'est contingenté mais bon, ne me faites pas dire des choses que je ne voudrais pas.
Je le sentais sur ses gardes comme un chien qui ne veux pas laisser son os. Il aimait son boulot, c'était évident. Mais en même temps je sentais une crainte indéfinissable en lui. Me voyait-il comme un compétiteur potentiel? Il n'avait pas tout à fait tort par le simple fait que l'idée de lui éclater la tête avec une clé à molette m'avait traversé l'esprit. Le coup était réalisable et j'avais justement sur moi une clé à molette que j'avais glissé je ne sais pourquoi dans ma poche avant de quitter la maison pour me rendre à cette soirée. Pendant qu'il parlait, j'échafaudais un plan génial dans lequel je me voyais très bien l'assommer d'un coup sec, faire disparaître son corps de nombril quelque part dans la ruelle, me déguiser en nombril moi-même et rentrer le plus naturellement du monde dans la maison pour aller prendre sa place sur le ventre de la soeur de A..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas. La blonde. Celle pétillante. J'avais bien observé ce nombril pendant toute la soirée et j'avais capté en quelques coups d'oeil aiguisés toutes les nuances de son affolante personnalité. Les reproduire de manière à confondre la soeur de A..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas, la blonde, celle pétillante, me semblait tout à fait possible. D'autant plus que je pouvais compter sur ma propre expérience personnelle en tant qu'admirateur passionné de nombrils féminin pour combler quelques lacunes comportementales. À ces pensées, mon coeur se mit à s'emballer.
- Dommage. Ça semble très agréable comme emploi.
- À qui le dites-vous! Je vois du pays, on me contemple sur la rue les jours où ma patronne porte ces affriolants petits t-shirts, j'ai la voiture fournie, l'essence payée, compte de dépense illimité, logé, nourrie et le plus chouette, c'est que je la suis partout. J'ai pas à me plaindre. Surtout la nuit, quand elle dort et que je me laisse bercer par le rythme de sa respiration qui fait comme une impression de vagues. Vous voyez ce que je veux dire?
"Tout à fait" lui répondis-je tout en serrant d'une poigne ferme ma clé à molette. Cette description détaillée des bénéfices marginaux de son emploi de même que les images de respirations ondulatoires ressenties sur la peau d'un ventre comme voilà-t-y pas celui de la soeur de A..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas, la blonde, celle pétillante, provoquèrent en moi une féroce envie de précipiter mon terrible plan. Mais je devais garder mon sang froid et attendre le bon moment. Bouger trop vite pouvait être néfaste.
- Et vous faisiez quoi avant? lui demandais-je pour ramener une impression de complicité entre nous.
- Je vendais des assurances. L'enfer mon brave. L'enfer.
- Mais justement, comment un ancien vendeur d'assurances devient-il le nombril d'une superbe femme que l'on croit top modèle mais qui ne l'est pas?
- Ah ça! Il faut dire que j'ai eu de la chance. J'avais un client qui était quartier de boeuf congelé de son métier et qui un jour, s'est vu fondre à cause d'un simple regard lancé à bout portant. Vous savez, ce genre de regard de femme que l'on croit top modèle mais qui ne l'est pas? Ça tue. Il en est mort justement. Fondu comme un cornet de glace en pleine canicule. Mais juste avant de crever, il avait acheté une police d'assurance contre le regard des belles femmes. C'était juste avant qu'il ne croise la soeur de A... qui se promenait sans nombril.
- Sans nombril?
- Sans nombril.
- Mais vous voulez dire qu'avant vous, elle n'avait pas de nombril, c'est ça?
- Tout à fait. À cause de je ne sais quelle loi d'immigration mais ne m'en demandez pas plus, je n'y connais rien en juridiction nombrilienne. ...euh.. ça se dit ce mot: "Nombrilienne?"
- Non mais ce n'est pas grave. C'est mon blogue alors vous pouvez dire ce que vous voulez.
Je voulais le mettre en confiance, éteindre ce doute que je percevais dans sa pupille de nombril, quitte à le laisser dire n'importe quoi dans mon blogue. C'était risqué parce que je sais qu'il y a tout un tas de gens que je connais qui viennent ici, lire mes petites conneries personnelles. Lui laisser la direction complète d'une page pouvait d'autant plus bousiller à jamais ma réputation et je jouais gros. Très gros! Mais devenir le nombril de la soeur de A ..., celle que je croyais qui était top modèle mais qui ne l'est pas, la blonde, celle pétillante, était une occasion qui en valait le coup. Je me mettais à rêver que, moi aussi, je pouvais très bien m'auto onduler ostentatoirement sous de chauds rythmes latins et bercé langoureusement par de voluptueux déhanchements balancés à bout portant sous les regards envieux de toute la planète mâle. Devenir le centre d'attention de toutes les intentions, le cercle social le plus prisé en ville, le ventre de Paris, la cible de la cible, devenir en quelque sorte rien de moins que le Nombril du monde. La gloire éternelle en somme. Face à cette jubilatoire perspective d'emploi, lui laisser quelques lignes de mon blogue me semblait un risque parfaitement calculé.
- Merci. Alors donc, voilà, quand j'ai appris la chose j'ai pas hésité. Je me suis présenté à son bureau et je lui ai montré mon plan d'affaire avec un portefolio très détaillé. Photos couleurs, tout le tralala. Un beau document dont j'ai payé très cher. Mais ça valait le coup puisqu'elle a tout de suite vu que j'étais sérieux. Elle m'a embauché à l'essai pendant un mois et depuis de temps, je suis un employé régulier. J'ai même la couverture totale pour les assurances santé. Pour le service du dentiste, je n'ai qu'à payer 20%. Et en plus, j'ai ma maison sur son ventre. Le boulot idéal je vous dis.
Cette fois, ça en était trop et je décidais de passer à l'action. Mais au moment précis où j'allais lui éclater la tête et enclencher du même coup mon terrible plan, la porte s'ouvrit et A... vint nous rejoindre sur le balcon arrière.
- Hubert, ma soeur te demande.
- Tout de suite?
- Oui, c'est urgent. Ça fait trois morceaux de chauds rythmes latins qui passent et elle voudrait bien danser un petit peu.
Hubert DeCastille écrasa sa cigarette avant de me serrer chaleureusement la main.
- Désolé, mais j'ai du boulot. Ma patronne ne peut pas danser sans moi. On fait une équipe du tonnerre. Mais ce fut un plaisir monsieur.
Après ces derniers mots, le nombriliste personnage entra dans la maison en nous laissant seuls A... et moi sur le balcon. Le mois de mars n'était pas encore tout à fait terminé et il ne fallait surtout pas le compter pour mort. Ce n'était pas pour autant une soirée glaciale et A... ne semblait pas du tout incommodée par cette fraîcheur du soir qu'appuyait une légère brise venue du nord. Elle alluma sa cigarette avant de souffler une large volute de fumée bleue qui s'effaça aussitôt sous la voûte étoilée du ciel montréalais. J'en profita subtilement pour remettre ma clé à molette dans ma poche.
* Ça se dit ça? Je ne crois pas. Mais bon, on s'en fout. C'est mon blogue après tout et je peux écrire ce que je veux... La preuve: Prout! Prout! Ploum! Ploum!
** Notez ici au passage la subtilité éloquente de ma verve quand vient le temps de glisser un message, mine de rien, en sachant justement que la soeur de A..., celle que je croyais top modèle mais qui ne l'est pas, bref, la blonde pétillante au chargement de boeufs congelés soudainement fondus, se tape ce blogue. Je suis incroyable. Vraiment.
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