La chose est grave et mérite que je m'y arrête quelques instants. En effet, nous ne sommes qu'à mi-décembre et j'ai déjà la tête remplie de truites de printemps qui nagent dedans. J'ai la canne à pêche qui me démange la main et j'ai soif de silence dans mes oreilles; hâte de me retrouver planté en plein milieu d'un lac perdu part dans la forêt. Hâte de me battre contre un brochet agressif et très en colère contre moi. Hâte que mes mains quadragénaires sentent le poisson et le lombric. Hâte que toute cette neige qui ne commence qu'à peine à tomber soit toute fondue sous mes pieds sanctifiés. J'ai hâte à tout ça et l'hiver n'est même pas encore officiellement commencé.
La chose est grave je disais. L'an dernier, le mal de neige ne s'était manifesté qu'à partir de janvier.
Au mois de mai, qui est aussi pour certains le mois de Marie, la truite brune remonte la rivière qui coule à côté du chalet. De la belle grosse truite bien vorace et frétillante de santé. De ce genre de truite dont tu peux être certain qu'elle n'est pas modifiée génétiquement ou encore qu'elle n'est pas engraissée au maïs. À cette époque de l'année, c'est à dire au mois de Marie de la pêche, elle côtoie la truite arc-en-ciel.
La truite arc-en-ciel n'est pas une truite gai malgré le symbole inhérent. L'arc-en-ciel ici n'est que l'impression que renvoie la pigmentation de sa peau dans l'imaginaire du pêcheur saoul. C'est très joli. Un peu plus que les gais de la parade de la fierté, ceux-là même qui en public se trémoussent fiévreusement le pubis jack-strapés en cuir sur des chars allégoriques avec des plumes multicolores plantées dans l'cul pour bien nous faire comprendre le droit à la différence malgré le fait que d'avoir des plumes dans l'cul, ça ne veut pas nécéssairement dire qu'on ne soit pas normal, même si c'est un peu délicat lors d'une entrevue d'embauche très sérieuse pour un poste d'actuaire dans une grande boîte d'avocats de la métropole.
La truite arc-en-ciel, et contrairement aux gais de la parade, n'a pas de cuir au niveau de la croupe puisqu'elle n'a pas de croupe du tout et qu'aucune parade n'est programmée pendant la saison de la pêche pour sensibiliser la population à sa condition de truite dans la société. Par contre, et contrairement à la plupart de mes amis gais, elle est insectivore. Ce qui en fait une espèce sans doute moins prédatrice que la truite brune qui elle, attaque tout ce qui bouge.
Ce printemps, j'attrapais la brune avec une simple cuillère à trépied tandis que l'arc-en-ciel ne mordait que si j'ajoutais des vers de terre à mon leurre. Il y a de ces mystères dans la vie.
Enfin, bref, je ne veux pas me perdre ce soir dans la technocratie scientifique de la pêche à la truite. Je voulais juste exprimer humblement le fait que pendant que la glace et la neige étouffent maintenant la ville depuis trois jours, cette réclusion inhérente (J'adore glisser le mot "inhérent" dans mes textes...) et obligatoire m'amène à m'évader en songes sur les prochains points d'eau que je vais explorer l'été prochain.
Un client m'a parlé dernièrement d'une petit lac un peu caché dans le coin du Lac Toro. Le terme "un peu caché" m'apparaît une peu gros puisqu'il est bien connu que cette région compte autant de pêcheurs qu'il y a d'individus inscrits sur la liste électorale mais bon, et parce que c'est l'hiver et que je m'emmerde joyeusement, je veux bien le croire. Et puis penser à un lac caché pour l'été prochain pendant que je tente de casser la glace qui recouvre ma pauvre petite voiture, ça m'aide à ne pas aller chier sur la tombe de Jacques Cartier pour lui apprendre même dans la mort à ne plus jamais craindre de naviguer un peu plus au sud. (D'un autre côté, je ne crois pas que la pêche à la truite soit aussi bonne en Floride qu'au Québec. Peut-être le savait-il déjà ce petit malin de Cartier et que c'est pour ça qu'il aura garé sa coquille de bois sur les berges d'Hochelaga, cette petite île qui deviendra plus tard Montréal, dis-je pour ceux qui auraient échoués leurs cours d'histoire. Je ne me vois pas vraiment pêcher le crocodile. Par contre, je me vois très bien habiter le Bayou et manger créole en laissant le bon temps rouler, comme ils disent encore en français là-bas. Mais tout ça n'est que du domaine de la fabulation.)
Une petit lac caché donc. Caché mais que bon, j'en connais maintenant l'emplacement grâce à une âpre négociation serrée avec ledit client.
- Le meilleur cabernet-sauvignon à moins de 20$ contre l'emplacement exact du lac. C'est à prendre ou à laisser.
Il a craqué vers la fin et il m'a tout écrit sur un petit bout de papier que j'ai soigneusement rangé dans le premier tiroir de ma commode, là où reposent mes bobettes de toutes catégories.
Bien sûr, je ne dévoilerai rien de ce lac ici, dans ces pages trop publics et que je sais visitées par beaucoup de pêcheurs à la recherche de lacs cachés. Mais je vous tiendrai au courant des succès inhérents à mes pêches sur ce lac.
Tout le monde au monde devrait avoir un petit lac caché dans ses espoirs. Croire en un lac caché, c'est beaucoup mieux que de croire en dieu. Très certainement, cela cause moins de dégâts sur les planète et ça laisse surtout moins de cadavres derrière soi.
Combiens de cadavres pour la religion catholique en 2000 ans d'histoire? Combien de femmes brûlées? D'enfants abusés sexuellement?
- Mais où allez-vous comme ça? Vous parliez de pêche à la truite et vous voilà une fois de plus en train de faire le procès de la religion.
- Désolé. C'est à cause de l'hiver. De la neige. Du froid. De l'enfermement. Cela me donne trop de temps pour penser.
- Vous devriez faire comme tout le monde et vous écraser devant la télévision. Ça aide à ne pas penser. D'ailleurs, ça sert à ça.
En fait, et si c'était ça la vérité sur dieu? Je veux dire, et si dieu n'était justement qu'un simple petit lac caché?
Cela reviendrait donc à dire que le client qui m'a parlé de ce lac en serait en quelque part le pape du petit lac caché? Merde... je n'avais pas pensé à ça. Moi qui déteste les papes, me voilà bien coincé.
Et puis je vois d'ici les nouveaux problèmes. Il y aurait en effet plusieurs adeptes prêchant les vertus de leur propre petit lac caché. Des sous groupes inhérents à chaque croyances se formeraient. Certains ne prôneraient que la pêche à la mouche, d'autres à la traîne et d'autres encore au lancer léger.
Et puis d'autres encore, plus cyniques et plus nihilistes, diraient simplement que puisque ce lac est caché et que personne ne l'a jamais vu, c'est donc qu'il n'y a pas de preuve et que forcément, il n'existe pas. Et puis d'autres encore, plus pratiques, diraient que comme ils ne peuvent juger ni de l'une, ni de l'autre des théories, ils se déclareraient tout de go agnostiques
Je délire. C'est à cause de la neige, à cause de cet enferment qui nous attends pour les 5 prochains mois. Je regarde mon logement et je le trouve soudainement très petit pour supporter à lui tout seul les 20 prochaines semaines de ma vie.
Quelqu'un qui vit ailleurs... un Français par exemple, peut-il comprendre notre état d'esprit en ce moment? Ce que nous sommes sur le point de supporter face à ces longues semaines de froid, de neige, d'encabanement, de cul gelé, de pieds gelés, de mains gelées, de morve qui coule comme un robinet dès que l'on glisse un pied dehors? Peut-il se figurer ce que ça fait sur le moral? Cette première neige pourtant si belle par exemple, peut-il comprendre qu'elle figure en même temps pour nous comme le couvercle du tombeau qui se referme pour six mois sur nos têtes?
C'est beau, c'est chouette, c'est joli et bien sûr, ce n'est pas la misère de Bagdad ou des favelas du Brésil. Faut pas mélanger nos petites misères avec les grandes souffrances de ce monde. On est d'accord. Mais le fait est que bordel de merde, c'est pas toujours agréable d'attendre l'autobus par 30 degrés sous zéro avec un vent de face. Forcément, t'en arrive à rêver à des petits lacs cachés et à ces truites inhérentes qui y vivent.
La chose est grave je disais. L'an dernier, le mal de neige ne s'était manifesté qu'à partir de janvier.
Au mois de mai, qui est aussi pour certains le mois de Marie, la truite brune remonte la rivière qui coule à côté du chalet. De la belle grosse truite bien vorace et frétillante de santé. De ce genre de truite dont tu peux être certain qu'elle n'est pas modifiée génétiquement ou encore qu'elle n'est pas engraissée au maïs. À cette époque de l'année, c'est à dire au mois de Marie de la pêche, elle côtoie la truite arc-en-ciel.
La truite arc-en-ciel n'est pas une truite gai malgré le symbole inhérent. L'arc-en-ciel ici n'est que l'impression que renvoie la pigmentation de sa peau dans l'imaginaire du pêcheur saoul. C'est très joli. Un peu plus que les gais de la parade de la fierté, ceux-là même qui en public se trémoussent fiévreusement le pubis jack-strapés en cuir sur des chars allégoriques avec des plumes multicolores plantées dans l'cul pour bien nous faire comprendre le droit à la différence malgré le fait que d'avoir des plumes dans l'cul, ça ne veut pas nécéssairement dire qu'on ne soit pas normal, même si c'est un peu délicat lors d'une entrevue d'embauche très sérieuse pour un poste d'actuaire dans une grande boîte d'avocats de la métropole.
La truite arc-en-ciel, et contrairement aux gais de la parade, n'a pas de cuir au niveau de la croupe puisqu'elle n'a pas de croupe du tout et qu'aucune parade n'est programmée pendant la saison de la pêche pour sensibiliser la population à sa condition de truite dans la société. Par contre, et contrairement à la plupart de mes amis gais, elle est insectivore. Ce qui en fait une espèce sans doute moins prédatrice que la truite brune qui elle, attaque tout ce qui bouge.
Ce printemps, j'attrapais la brune avec une simple cuillère à trépied tandis que l'arc-en-ciel ne mordait que si j'ajoutais des vers de terre à mon leurre. Il y a de ces mystères dans la vie.
Enfin, bref, je ne veux pas me perdre ce soir dans la technocratie scientifique de la pêche à la truite. Je voulais juste exprimer humblement le fait que pendant que la glace et la neige étouffent maintenant la ville depuis trois jours, cette réclusion inhérente (J'adore glisser le mot "inhérent" dans mes textes...) et obligatoire m'amène à m'évader en songes sur les prochains points d'eau que je vais explorer l'été prochain.
Un client m'a parlé dernièrement d'une petit lac un peu caché dans le coin du Lac Toro. Le terme "un peu caché" m'apparaît une peu gros puisqu'il est bien connu que cette région compte autant de pêcheurs qu'il y a d'individus inscrits sur la liste électorale mais bon, et parce que c'est l'hiver et que je m'emmerde joyeusement, je veux bien le croire. Et puis penser à un lac caché pour l'été prochain pendant que je tente de casser la glace qui recouvre ma pauvre petite voiture, ça m'aide à ne pas aller chier sur la tombe de Jacques Cartier pour lui apprendre même dans la mort à ne plus jamais craindre de naviguer un peu plus au sud. (D'un autre côté, je ne crois pas que la pêche à la truite soit aussi bonne en Floride qu'au Québec. Peut-être le savait-il déjà ce petit malin de Cartier et que c'est pour ça qu'il aura garé sa coquille de bois sur les berges d'Hochelaga, cette petite île qui deviendra plus tard Montréal, dis-je pour ceux qui auraient échoués leurs cours d'histoire. Je ne me vois pas vraiment pêcher le crocodile. Par contre, je me vois très bien habiter le Bayou et manger créole en laissant le bon temps rouler, comme ils disent encore en français là-bas. Mais tout ça n'est que du domaine de la fabulation.)
Une petit lac caché donc. Caché mais que bon, j'en connais maintenant l'emplacement grâce à une âpre négociation serrée avec ledit client.
- Le meilleur cabernet-sauvignon à moins de 20$ contre l'emplacement exact du lac. C'est à prendre ou à laisser.
Il a craqué vers la fin et il m'a tout écrit sur un petit bout de papier que j'ai soigneusement rangé dans le premier tiroir de ma commode, là où reposent mes bobettes de toutes catégories.
Bien sûr, je ne dévoilerai rien de ce lac ici, dans ces pages trop publics et que je sais visitées par beaucoup de pêcheurs à la recherche de lacs cachés. Mais je vous tiendrai au courant des succès inhérents à mes pêches sur ce lac.
Tout le monde au monde devrait avoir un petit lac caché dans ses espoirs. Croire en un lac caché, c'est beaucoup mieux que de croire en dieu. Très certainement, cela cause moins de dégâts sur les planète et ça laisse surtout moins de cadavres derrière soi.
Combiens de cadavres pour la religion catholique en 2000 ans d'histoire? Combien de femmes brûlées? D'enfants abusés sexuellement?
- Mais où allez-vous comme ça? Vous parliez de pêche à la truite et vous voilà une fois de plus en train de faire le procès de la religion.
- Désolé. C'est à cause de l'hiver. De la neige. Du froid. De l'enfermement. Cela me donne trop de temps pour penser.
- Vous devriez faire comme tout le monde et vous écraser devant la télévision. Ça aide à ne pas penser. D'ailleurs, ça sert à ça.
En fait, et si c'était ça la vérité sur dieu? Je veux dire, et si dieu n'était justement qu'un simple petit lac caché?
Cela reviendrait donc à dire que le client qui m'a parlé de ce lac en serait en quelque part le pape du petit lac caché? Merde... je n'avais pas pensé à ça. Moi qui déteste les papes, me voilà bien coincé.
Et puis je vois d'ici les nouveaux problèmes. Il y aurait en effet plusieurs adeptes prêchant les vertus de leur propre petit lac caché. Des sous groupes inhérents à chaque croyances se formeraient. Certains ne prôneraient que la pêche à la mouche, d'autres à la traîne et d'autres encore au lancer léger.
Et puis d'autres encore, plus cyniques et plus nihilistes, diraient simplement que puisque ce lac est caché et que personne ne l'a jamais vu, c'est donc qu'il n'y a pas de preuve et que forcément, il n'existe pas. Et puis d'autres encore, plus pratiques, diraient que comme ils ne peuvent juger ni de l'une, ni de l'autre des théories, ils se déclareraient tout de go agnostiques
Je délire. C'est à cause de la neige, à cause de cet enferment qui nous attends pour les 5 prochains mois. Je regarde mon logement et je le trouve soudainement très petit pour supporter à lui tout seul les 20 prochaines semaines de ma vie.
Quelqu'un qui vit ailleurs... un Français par exemple, peut-il comprendre notre état d'esprit en ce moment? Ce que nous sommes sur le point de supporter face à ces longues semaines de froid, de neige, d'encabanement, de cul gelé, de pieds gelés, de mains gelées, de morve qui coule comme un robinet dès que l'on glisse un pied dehors? Peut-il se figurer ce que ça fait sur le moral? Cette première neige pourtant si belle par exemple, peut-il comprendre qu'elle figure en même temps pour nous comme le couvercle du tombeau qui se referme pour six mois sur nos têtes?
C'est beau, c'est chouette, c'est joli et bien sûr, ce n'est pas la misère de Bagdad ou des favelas du Brésil. Faut pas mélanger nos petites misères avec les grandes souffrances de ce monde. On est d'accord. Mais le fait est que bordel de merde, c'est pas toujours agréable d'attendre l'autobus par 30 degrés sous zéro avec un vent de face. Forcément, t'en arrive à rêver à des petits lacs cachés et à ces truites inhérentes qui y vivent.
2 commentaires:
T'es aussi fou que moi avec la plongée.
L'hiver va être long....*&?%*)&*&&
Génial ce post!
Enregistrer un commentaire