jeudi 27 novembre 2008

La prof de science po.

L'endroit est un café sympa sur Beaubien. Le soir des matchs, ils descendent l'écran de toile blanche accroché au mur et projette la partie pour le plus grand plaisir des clients. C'est la place que je préfère pour regarder les parties parce que je soupçonne toutes les serveuses (pour la plupart toutes jolies, ce qui ne gâche rien, et surtout pas mon expresso allongé) de voter plutôt à gauche. En ces temps de troubles où la droite semble s'être donnée le mot pour nous gâcher les 30 prochaines années, ça fait du bien.
Ce soir, nous étions 8 amis à s'y être donnés rendez-vous. C'était sympa, d'autant plus que nous avons battu (et j'assume le "Nous") les puissants Red Wings de Détroit (Des méchants) dans ce qui fut une très belle partie de hockey. Je sais que cela ne règlera pas l'épineux problème des trous noirs qui se promènent dans le cosmos en absorbant des galaxies complètes, mais après une journée grise de novembre passée sur terre, ça fait toujours du bien.

J'aime bien cet endroit parce qu'il est hors normes. D'abord, c'est à la fois un café et une buanderie et c'est toujours surréaliste de voir des gens passer avec leur grosse poche de linge sale entre les tables pendant une attaque à cinq où Kovalev tente de se créer une ouverture. Ensuite, et pendant que tu regardes les parties, tu peux voir ici et là des étudiants qui travaillent sur leurs travaux avec laptop ouvert et bol de café au lait. Et puis comme ce soir, il y a aussi de profs qui viennent corriger les travaux des élèves. (Mais j'ai soudainement la terrible impression de me répéter... que j'ai déjà écris quelque chose sur ce café... je me trompe?) C'est un café qui ne se compare à aucun autre. Je ne dirai pas le nom de ce Café pour pas que les trois lecteurs de ce blogue viennent subitement envahir la place ou ne propage le mot. Ne comptez donc pas sur moi pour dévoiler ici le nom du Mousse Café qui est situé juste à l'est de la rue Iberville sur Beaubien. Même sous la torture, je ne dirai rien.

Je parlais des profs qui viennent parfois corriger les travaux d'élèves. Il y en avait une ce soir qui était juste à la table d'à côté de la mienne et qui a passé toute la soirée à corriger une montagne de compositions tout en regardant le match.
- Noooon?
- Si! Si!
La trentaine, cheveux noirs, de très jolis yeux, joli sourire. Du coin de l'oeil, j'ai vu qu'elle avait siroté dans la soirée un gros bol de café au lait, puis un Perrier puis plus tard, elle s'est tapé une pointe de gâteau qui me semblait être au caramel. Ou quelque chose comme ça. Je ne lui ai pas demandé. Mais j'ai vu à un moment donné qu'elle avait déposé dans son assiette sale le cadavre d'un stylo rouge qui venait de rendre l'âme après je ne sais combien de pages de correction. Le crayon, amorphe, reposait comme un poisson échoué à côté de sa fourchette et baignait dans le restant de coulis de caramel.
Pendant que mes amis parlaient entre eux, et profitant d'un moment stratégique, je me suis risqué à lui parler. Nous avons échangé quelques mots. Elle est prof en science po à l'université et ne déteste pas regarder les parties de hockey pendant qu'elle corrige les devoirs de ses étudiants. Et toute seule à sa table en plus!
Je résume pour ceux qui dorment au gaz ou qui ne croient pas aux miracles:
Une belle femme seule à une table de café, tout près d'un écran géant (collée dessus en fait) sur lequel on passe la partie de hockey parce qu'en même temps, elle ne veut rien rater du match. Et qui enseigne la science po!!!!

Je reprends encore parce que je sens qu'on ne comprend pas toute la symbolique de la chose!!!
UNE BELLE FEMME SEULE À SA TABLE, QUI ENSEIGNE SCIENCE PO ET QUI TRIPPE SUR LE HOCKEY!!!!
Il y a un mot pour ça en philosophie: La femme parfaite!

Comme j'ai 45 ans et que j'ai baigné dans la littérature féministe, je m'interdit de déranger une femme qui est seule à une table de café. De la même manière que je n'ai jamais abordé une femme seule dans un bar. J'ai peut-être raté des occasions en or, mais j'ai au moins la satisfaction d'avoir toujours considéré toutes les femmes vues seules à une table quelconque au même titre qu'un homme à une table quelconque. C'est à dire que j'ai toujours été capable de configurer mon cerveau pour me dire d'abord et avant tout que si elle seule à sa table, c'est parce qu'elle veut avoir la paix. Comme je disais, j'ai sans doute rater beaucoup de chances mais au moins, je n'ai jamais fait chier de ma vie celles qui étaient là vraiment parce qu'elles avaient envie d'être seule.
Mais comment montrer à la belle femme qui enseigne la science politique et qui aime le hockey qu'elle ne nous laisse pas indifférent? Bonne question.
J'ai résolu celle-ci en m'acquittant discrètement de sa facture et en lui payant tout ce qu'elle avait consommé dans la soirée sans le lui dire.
Pire que ça, j'ai quitté l'endroit avant elle, de sorte qu'elle n'allait apprendre que j'avais tout payé qu'une fois ma disparition complétée.
N'est-ce pas chevaleresque?
J'aime ces moments qui me font Cyrano.

LE BRET, faisant le geste de lancer un sac
Comment ! le sac d'écus ?...
CYRANO Pension paternelle, en un jour, tu vécus !
LE BRET
Pour vivre tout un mois, alors ?...
CYRANO Rien ne me reste.
LE BRET Jeter ce sac, quelle sottise !
CYRANO Mais quel geste !...

Moi, si j'étais une femme, je tomberais immédiatement amoureuse d'un mec comme ça.
Quand j'ai été payer pour la prof, les serveuses se sont foutues de ma gueule sans trop de subtilité malgré le fait que depuis que je vais là, je leur ai versé l'équivalent de 300 loyers. J'ai même entendu quand elles chuchotaient entre elles des commentaires que je devinais impertinents. Mais ce n'est pas de leur faute. Les moins de 25 ans croient toujours que les gens qui ont plus de 40 ans sont des morts vivants.

Je sais qu'elle vient souvent dans ce café et je sais que tôt ou tard, nous allons nous recroiser. Elle voudra me remercier, ou en tout cas elle se sentira obligée d'engager une véritable conversation. Moi, je vais jouer les indifférents parce que c'est comme ça qu'il faut faire et que c'est comme ça que c'est écrit dans les manuels du parfait séducteur. Je vais me montrer au-dessus de tout ça, un brin nonchalant et à la fin, elle n'en pourra plus de mon indifférence et très certainement, elle me demandera en mariage.
J'en ai parlé à mes parents et ils sont d'accords. Cependant, je ne lui dirai rien, gardant ainsi le suspens jusqu'à la fin.

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