C'est drôle, on se connaît depuis 28 ans. Depuis le CÉGEP en fait. Ce qui nous avait vraiment soudé, ce fut ce funeste matin du 9 décembre 1980.
Do you remember M...?
Te souviens-tu de nos regards quand je suis arrivé dans la café du troisième?
De ce silence à la cafétéria de l'école ce matin là?
Te souviens-tu de ce choc dans le wagon de métro quand tu as vu le front page du Journal de Montréal?
Te souviens-tu que, comme moi, tu ne voulais pas le croire?
Te souviens-tu?
Do you remember?
It was (almost) 28 years ago today.
Te souviens-tu des "pourquoi!!" et des "pourquoi!!" et encore des "pourquoi!!" qui s'échappaient de chaque conversation que l'on croisait sur la rue, dans l'autobus, dans les corridors de l'école..
La veille, vers 23h, Lennon tombait sous les balles d'un illuminé. Une partie de ma vie a basculé précisément ce jour là. Une partie de ma naïveté, d'une certaine image que je me faisais de l'humain en général. Un type venait de tuer un dieu pour absolument rien.
Je mettais toujours ma radio pour me réveiller et quand il a sonné ce matin-là, c'est au son des Beatles que je me suis ouvert les yeux. Ça commençait bien la journée. Je suis dans le lit, je traîne un peu avant de me lever, je songe à cette journée qui m'attend, au trajet d'autobus entre Repentigny et Montréal que je vais me taper et puis voilà une deuxième chanson des Beatles qui embarque.
- Tiens, un spécial? Cool.
Je me lève tranquillement et alors que je suis entrain d'enfiler mon pantalon, la voix de l'animateur qui prend le relais après la chanson: "For those who still don't know yet, Jonh Lennon was shot down yesterday..."
Je me revois encore, le pantalon à mi jambe, complètement frappé parce que je viens d'entendre, incrédule et en même temps, pas certain d'avoir la bonne traduction... "shot down?"... puis, ces mots: He died soon after...
Un choc? Parlons plutôt d'un Méga Tsunami. La déclaration d'une troisième guerre mondiale ne m'aurait pas fait plus d'effet. Je cours vers le dépanneur à la recherche d'un journal... je scrute La Presse, Le Devoir... rien. La mort s'était produite après l'heure de tombée des quotidiens. Seul le Journal de Montréal offre quelque chose... la Une montre une photo de Lennon sur toute la page avec ce titre que je n'oublierai jamais: Lennon assassiné! Un court texte, un dépêche plutôt, accompagne la photo tout en bas de la page. Rien d'autre l'intérieur. C'est la première édition de la nuit et l'on devinais que la Une fut tuée à la toute dernière minute et qu'à la hâte, l'on avais bricolé quelque chose pour ne pas rater le scoop.
Au GÉGEP, il règne une ambiance funèbre et tout le monde a une tête d'enterrement. Je me souviens du silence incroyable qui enveloppe les lieux, des visages mornes, des regards échangés entre inconnus mais que ce deuil généralisé nous soudait les uns aux autres. L'incrédulité, l'incompréhension, la frustration mais surtout l'incomparable tristesse étaient palpables dans chaque regard que l'on croisait. Et ce silence bordel... cet incroyable silence.
Je connaissais un peu M... parce que nous venions du même coin, mais nous nous étions véritablement connus au CÉGEP. Ce matin là, et parce que je ne savais pas comment marquer mon deuil, je m'étais épinglé un macaron des Beatles comme d'autres auraient porté un brassard noir sur le bras. C'est à la table de ce café que ce matin-là, notre amitié s'est vraiment soudée. Ça n'a jamais vraiment cessé depuis, malgré quelques petites périodes de silence ici et là. C'est normal, on ne passe pas de 17 ans à 45 ans sans petites phases de turbulences passagères. D'ailleurs, l'amitié, c'est ça. Pouvoir passer au travers du temps malgré vents et marrées, malgré les présences et les absences.
On a ensuite partagé ensemble quelques appartements sur le Plateau, fait suer quelques propriétaires et encore plus de voisins. Je me souviens entre autre d'une voisine sur la rue Rachel, dans cet immense logement qui faisait face au Parc Lafontaine, un 7 pièces qui nous coûtait 300$, cette vieille dame donc, un peu parano et dont on voyait l'ombre chinoise après la tombée de la nuit se découper derrière son store... je me souviens de son phare de bateau qui éclairait la cours arrière et aussi une partie du quartier tellement il était puissant... je me souviens que pour rigoler, nous lui balancions sur sa porte arrière nos conserves de petits pois Lessieur que nos parents insistaient à nous glisser dans ces sacs de provisions qu'ils nous laissaient, mine de rien, chaque fois qu'ils nous visitaient. Je me souviens du fracas que faisaient ces boîtes quand elles percutaient la porte de cette pauvre vieille... je me souviens que l'idée, le truc qui nous faisait vraiment marrer, c'était de la voir paniquer en ombre chinoise derrière son store... qu'est-ce qu'on rigolait!
Et puis cet autre logement, sur la rue Cherrier, ce minuscule 3 pièces et ces milliards de cuites descendues avec les amis, les copains, les étrangers et tout ceux que l'on pouvait ramener à la maison. L'on ne payait rien, même pas l'hydro que l'on s'était fait couper justement. Ils croyaient nous punir ces cons mais qu'est-ce qu'on avait tripé de vivre pendant des mois à la chandelle! De toute manière, nous avions le chauffage central intégrée dans tout l'immeuble et chose rare, un frigo et un poêle qui marchaient au gaz. Il n'y avait que l'eau chaude qui manquait. Mais nous prenions nos douches au CÉGEP et c'était le paradis sur terre, en autant que nous pouvions nous payer des pizzas et de la bière. Ce que nous arrivions toujours à faire. Tout le temps fauchés, mais toujours saouls. Comment diable faisions nous?
Et puis ce grand logement sur la rue Sherbrooke avec ce petit balcon arrière qui risquait de s'écrouler. M... se coiffait de sa couronne en carton de Burger King et s'avançait chaque matin sur le balcon, levait les bras au ciel et en direction du quartier que notre position nous permettait de voir de haut, criait un speech improvisé qui commençait toujours par : Peuple!!!
C'était encore avant la chute du mur de Berlin, des téléphones cellulaires, des cartes de guichets automatiques, des vidéos clips, des ordinateurs domestiques, des lecteurs MP3... c'était au temps où les disques étaient encore en vinyles, où l'on fumait au travail et même dans les épiceries, où René Lévesque était encore premier ministre, où il y avait tout pleins de logements libres sur le Plateau et qui se louaient pour trois fois rien, Springsteen venait de (ou allait) sortir Born in the USA, Michael Jackson était encore noir, Madonna était encore une émule de Cindy Lauper, Guy Lafleur jouait encore pour le CH, Reagan était au pouvoir, Gorbatchev bricolait sa péreistroïka, et S... me faisait cocu à répétition.
Ce soir, je me suis regardé le match de hockey avec M..., presque 28 ans plus tard. Il habite Morin Heights et j'habite encore Montréal. On s'est bouffé une pizza en regardant des joueurs portant le même maillot que celui que nous vénérions 28 ans plus tôt. Y a de ces choses qui ne changent pas. Peut-être que les noms changent, mais assurément, les numéros restent les mêmes. Kovalev avait 10 ans quand nous habitions sur le rue Cherrier et que nous nous éclairions à la chandelle.
J'sais pas trop comment terminer ce texte qui va nul part. Je voulais juste parler de l'amitié, cette chose plus forte que l'amour parce qu'elle n'a pas besoin d'eau pour pousser. Ni de bouquets de fleurs de merde, ni de preuves, ni de serments, ni de compromis. Que de la bière et un peu de hockey.
C'était une belle soirée M...! Thanks vieux frère!
28 ans quand même... c'est quelque chose.
Do you remember M...?
Te souviens-tu de nos regards quand je suis arrivé dans la café du troisième?
De ce silence à la cafétéria de l'école ce matin là?
Te souviens-tu de ce choc dans le wagon de métro quand tu as vu le front page du Journal de Montréal?
Te souviens-tu que, comme moi, tu ne voulais pas le croire?
Te souviens-tu?
Do you remember?
It was (almost) 28 years ago today.
Te souviens-tu des "pourquoi!!" et des "pourquoi!!" et encore des "pourquoi!!" qui s'échappaient de chaque conversation que l'on croisait sur la rue, dans l'autobus, dans les corridors de l'école..
La veille, vers 23h, Lennon tombait sous les balles d'un illuminé. Une partie de ma vie a basculé précisément ce jour là. Une partie de ma naïveté, d'une certaine image que je me faisais de l'humain en général. Un type venait de tuer un dieu pour absolument rien.
Je mettais toujours ma radio pour me réveiller et quand il a sonné ce matin-là, c'est au son des Beatles que je me suis ouvert les yeux. Ça commençait bien la journée. Je suis dans le lit, je traîne un peu avant de me lever, je songe à cette journée qui m'attend, au trajet d'autobus entre Repentigny et Montréal que je vais me taper et puis voilà une deuxième chanson des Beatles qui embarque.
- Tiens, un spécial? Cool.
Je me lève tranquillement et alors que je suis entrain d'enfiler mon pantalon, la voix de l'animateur qui prend le relais après la chanson: "For those who still don't know yet, Jonh Lennon was shot down yesterday..."
Je me revois encore, le pantalon à mi jambe, complètement frappé parce que je viens d'entendre, incrédule et en même temps, pas certain d'avoir la bonne traduction... "shot down?"... puis, ces mots: He died soon after...
Un choc? Parlons plutôt d'un Méga Tsunami. La déclaration d'une troisième guerre mondiale ne m'aurait pas fait plus d'effet. Je cours vers le dépanneur à la recherche d'un journal... je scrute La Presse, Le Devoir... rien. La mort s'était produite après l'heure de tombée des quotidiens. Seul le Journal de Montréal offre quelque chose... la Une montre une photo de Lennon sur toute la page avec ce titre que je n'oublierai jamais: Lennon assassiné! Un court texte, un dépêche plutôt, accompagne la photo tout en bas de la page. Rien d'autre l'intérieur. C'est la première édition de la nuit et l'on devinais que la Une fut tuée à la toute dernière minute et qu'à la hâte, l'on avais bricolé quelque chose pour ne pas rater le scoop.
Au GÉGEP, il règne une ambiance funèbre et tout le monde a une tête d'enterrement. Je me souviens du silence incroyable qui enveloppe les lieux, des visages mornes, des regards échangés entre inconnus mais que ce deuil généralisé nous soudait les uns aux autres. L'incrédulité, l'incompréhension, la frustration mais surtout l'incomparable tristesse étaient palpables dans chaque regard que l'on croisait. Et ce silence bordel... cet incroyable silence.
Je connaissais un peu M... parce que nous venions du même coin, mais nous nous étions véritablement connus au CÉGEP. Ce matin là, et parce que je ne savais pas comment marquer mon deuil, je m'étais épinglé un macaron des Beatles comme d'autres auraient porté un brassard noir sur le bras. C'est à la table de ce café que ce matin-là, notre amitié s'est vraiment soudée. Ça n'a jamais vraiment cessé depuis, malgré quelques petites périodes de silence ici et là. C'est normal, on ne passe pas de 17 ans à 45 ans sans petites phases de turbulences passagères. D'ailleurs, l'amitié, c'est ça. Pouvoir passer au travers du temps malgré vents et marrées, malgré les présences et les absences.
On a ensuite partagé ensemble quelques appartements sur le Plateau, fait suer quelques propriétaires et encore plus de voisins. Je me souviens entre autre d'une voisine sur la rue Rachel, dans cet immense logement qui faisait face au Parc Lafontaine, un 7 pièces qui nous coûtait 300$, cette vieille dame donc, un peu parano et dont on voyait l'ombre chinoise après la tombée de la nuit se découper derrière son store... je me souviens de son phare de bateau qui éclairait la cours arrière et aussi une partie du quartier tellement il était puissant... je me souviens que pour rigoler, nous lui balancions sur sa porte arrière nos conserves de petits pois Lessieur que nos parents insistaient à nous glisser dans ces sacs de provisions qu'ils nous laissaient, mine de rien, chaque fois qu'ils nous visitaient. Je me souviens du fracas que faisaient ces boîtes quand elles percutaient la porte de cette pauvre vieille... je me souviens que l'idée, le truc qui nous faisait vraiment marrer, c'était de la voir paniquer en ombre chinoise derrière son store... qu'est-ce qu'on rigolait!
Et puis cet autre logement, sur la rue Cherrier, ce minuscule 3 pièces et ces milliards de cuites descendues avec les amis, les copains, les étrangers et tout ceux que l'on pouvait ramener à la maison. L'on ne payait rien, même pas l'hydro que l'on s'était fait couper justement. Ils croyaient nous punir ces cons mais qu'est-ce qu'on avait tripé de vivre pendant des mois à la chandelle! De toute manière, nous avions le chauffage central intégrée dans tout l'immeuble et chose rare, un frigo et un poêle qui marchaient au gaz. Il n'y avait que l'eau chaude qui manquait. Mais nous prenions nos douches au CÉGEP et c'était le paradis sur terre, en autant que nous pouvions nous payer des pizzas et de la bière. Ce que nous arrivions toujours à faire. Tout le temps fauchés, mais toujours saouls. Comment diable faisions nous?
Et puis ce grand logement sur la rue Sherbrooke avec ce petit balcon arrière qui risquait de s'écrouler. M... se coiffait de sa couronne en carton de Burger King et s'avançait chaque matin sur le balcon, levait les bras au ciel et en direction du quartier que notre position nous permettait de voir de haut, criait un speech improvisé qui commençait toujours par : Peuple!!!
C'était encore avant la chute du mur de Berlin, des téléphones cellulaires, des cartes de guichets automatiques, des vidéos clips, des ordinateurs domestiques, des lecteurs MP3... c'était au temps où les disques étaient encore en vinyles, où l'on fumait au travail et même dans les épiceries, où René Lévesque était encore premier ministre, où il y avait tout pleins de logements libres sur le Plateau et qui se louaient pour trois fois rien, Springsteen venait de (ou allait) sortir Born in the USA, Michael Jackson était encore noir, Madonna était encore une émule de Cindy Lauper, Guy Lafleur jouait encore pour le CH, Reagan était au pouvoir, Gorbatchev bricolait sa péreistroïka, et S... me faisait cocu à répétition.
Ce soir, je me suis regardé le match de hockey avec M..., presque 28 ans plus tard. Il habite Morin Heights et j'habite encore Montréal. On s'est bouffé une pizza en regardant des joueurs portant le même maillot que celui que nous vénérions 28 ans plus tôt. Y a de ces choses qui ne changent pas. Peut-être que les noms changent, mais assurément, les numéros restent les mêmes. Kovalev avait 10 ans quand nous habitions sur le rue Cherrier et que nous nous éclairions à la chandelle.
J'sais pas trop comment terminer ce texte qui va nul part. Je voulais juste parler de l'amitié, cette chose plus forte que l'amour parce qu'elle n'a pas besoin d'eau pour pousser. Ni de bouquets de fleurs de merde, ni de preuves, ni de serments, ni de compromis. Que de la bière et un peu de hockey.
C'était une belle soirée M...! Thanks vieux frère!
28 ans quand même... c'est quelque chose.
Cette photo!! Lennon en train de signer un autographe à un admirateur quelques heures seulement avant son assassinat. L'admirateur, celui que l'on voit à droite et tout fier que son idole lui dédie son graphe, c'est Mark David Chapman. Celui qui quelques heures plus tard, abattra Lennon de cinq balles tirées à bout portant.
1 commentaire:
Enregistrer un commentaire