samedi 2 août 2008

Feuilles de vigne farcies

Je travaillais dans cette succursale qui se trouve tout au nord de Montréal. Pour ma pause du souper, je me suis trouvé un petit parc qui donnait sur la berge de la Rivière-des-Prairies. Il y avait là quelques tables de pic-nic toutes libres et qui n'attendaient que mon cul, mon livre, et mes feuilles de vigne farcies. J'adore les feuilles de vigne farcies. Ça coûte presque rien, c'est facile à bouffer et ça bourre l'estomac. En plus, je crois que c'est bon pour la santé. Mais je n'en suis pas certain. Il faudrait que je demande à une diététicienne, mais je n'en connais pas. J'ai pas de ce genre de personne dans mon cercle d'amis.
J'ai dans mes amis un journaliste, un scénariste, un réalisateur de film, trois ou quatre poètes, une chanteuse que je n'ai jamais entendu chanter, quelques peintres, une adepte de la plongée que je n'ai jamais vu plonger, un stagiaire à l'OCDE, des infirmières, des photographes, un ex chroniqueur du journal La Presse qui fait une excellente vinaigrette, une masso thérapeute qui est la même qui fait de la plongée, une joueuse de trompette qui est aussi guide touristique et accessoirement animatrice radio, un torréfacteur qui est aussi peintre et même un comptable aussi je crois. Mais pas de diététicienne.

Au fait, comment fait-on pour être ami avec une diététicienne? Et puis qu'est-ce que ça mange une diététicienne? Je vous le demande.

Enfin bref, j'étais sur cette table et je me bouffais mes feuilles de vigne farcies en regardant la rivière. J'étais plongé dans mes pensées et je songeais en effet à cette effrayante constatation des scientifiques à l'effet que la population planétaire des abeilles diminuait sans qu'on ne sache trop pourquoi. Certains pensent que les ondes des cellulaires en seraient la cause, entendu que le début de la chute de la population date précisément de l'arrivée du cellulaire. Ça semble con dit comme ça mais plus d'abeilles, plus de fertilisation et c'est toute la flore de la planète qui écope. On est dans la merde grave. Je pensais à ça en mangeant mes feuilles de vigne farcies et je me disais que ça serait beaucoup mieux si à la place des abeilles, ça serait les mecs qui disparaissent comme ça. À cause des ondes des téléphones cellulaires ou quelque chose comme ça. Sauf moi bien sûr. Et je me suis mis à rêver que la vie serait drôlement plus chouette si j'étais le dernier représentant mâle de la planète. Que pour la survie de l'humanité, je n'aurais d'autres choix que celui de me sacrifier pour la cause. Je serais une espèce protégée; une sorte de Panda mais en plus drôle et en moins bien rasé. Je crois que j'aurais toujours le sourire aux lèvres. C'est certain.

J'en étais à ces prenantes réflexions quand j'ai vu un vieux monsieur tout blanc de cheveux s'amener et prendre place à côté de moi. Il ne m'a même pas demandé la permission! Il était tout joyeux l'enfoiré, tout heureux d'être encore en vie malgré ses 84 ans et sans même se présenter ni rien, il commence à me dire comme ça, gratuitement, que c'est un temps magnifique, que le vent de la rivière est bon pour la santé, que la vie est belle et toute cette sorte de chose qui font généralement des gens heureux. Du coup, j'ai bien été obligé de cesser de penser à toutes ces starlettes de cinéma qui dans mes fantasmes étaient entrain de prendre un numéro pour me rencontrer et je lui ai fait la conversation parce que bon, l'ignorer aurait été parfaitement inconvenant.

Il m'a raconté que chaque jour, il aimait prendre sa marche et parler aux gens qu'il croisait même s'il ne les connaissait pas. Que ça lui donnait l'occasion de faire des rencontres intéressantes, de colorer ses journées, de passer de bons moments. Il ne cessait de dire "Je remercie le Christ de pouvoir marcher comme ça à mon âge." Il ne disait pas Dieu, Jésus, le bon dieu, le p'tit Jésus, ou encore le bonhomme d'en haut comme le disent généralement ceux de sa race de vieux, mais bien le Christ. Je me suis dit que ce mec là, il devait avoir étudié chez les Jésuites ou quelque chose comme ça. En tout cas, ça faisait très officiel comme dénomination divine et ça pimentait l'exercice d'un zest de respect qui avait des relents de soumissions obligées. Un peu comme lorsqu'on dit Monsieur le Juge ou Monsieur l'agent de police. Il y avait en effet un parfum de justice implacable qui nous observe dans cette manière de remercier le Très Haut. (Putain, je commence à parler comme un cato!!)

Comme je venais de terminer mes feuilles de vigne farcies, je lui ai offert des chips mais il a refusé, me disant qu'il venait de bouffer. Il s'est mis à me raconter ses journées tout en remerciant le Christ trois ou quatre fois au passage pour le fait qu'il puisse encore pouvoir marcher comme ça à son âge et je me suis un peu vu obligé de lui demander son âge justement. Les vieux, ils sont toujours comme ça. Quand ils ne te balancent pas leur âge dès la première phrase, ils se démerdent pour trafiquer des conversations qui t'obligeront à leur demander et ensuite, t'es un peu obligé d'ajouter quelque chose comme: " Vraiment? Vous ne les faites pas du tout!"
- Et vous avez quel âge en fait?
- J'ai 84 ans!
- Vraiment? Vous ne les faites pas du tout!

C'était même pas vrai. J'ai répondu ça parce que ce sont les conventions de politesse incontournables quand on s'adresse à un vieux. Il faisait vraiment ses 84 ans et même que je lui en aurais donné un peu plus. Le genre de vioque à chier dans sa couche quand il tousse. Il avait la gueule d'un croûton séché oublié sur le comptoir de cuisine pendant les vacances d'été. Et même que je me suis dit que ce vieux là, il devait être un peu sénile. On n'aborde pas les gens comme ça dans une grande ville comme Montréal quand on a 84 ans, au hasard et en souriant à la vie et en arborant une confiance aveugle en son prochain alors qu'on est faible et sans défense. Le Journal de Montréal est remplie de cas de vieux qui se font tabasser et enculer avec un bâton de hockey pour 20$ et quelques bonbons roses ramollis et collés dans le pot. C'est pas drôle la vie d'un vieux dans le Journal de Montréal.
- Je remercie le Christ de pouvoir marcher comme ça à mon âge.

Puis il s'est levé, m'a serré la main et s'en est allé vers l'autre côté du parc, là où reposait un mec d'une trentaine d'année qui prenait du soleil allongé sur un banc. Pendant qu'il s'y rendait, je l'ai vu sourire et envoyer la main à une petite fille qui jouait dans l'herbe alors que ses parents s'enlaçaient un peu plus loin. La petite fille lui a retourné son sourire et son signe de la main avant de revenir à ses jeux.
Et j'ai pensé comme ça tout bonnement que si dieu existait et que s'il décidait un jour de se montrer aux hommes, il n'agirait pas autrement.
J'ai essayé ensuite de repenser au fait que j'étais le seul mec sur la terre et que Monica Bellucci inonderait ma boîte vocale de messages suppliants mais comment dire? Ça n'avait plus vraiment d'importance.

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