vendredi 8 février 2008

Hochelaga-Maisonneuve blues...

Elle porte toujours un long manteau de fausse fourrure blanche avec quelques taches de noire. Je dis qu'elle est fausse mais sincèrement, je ne sais pas. Ce n'est qu'une supposition puisque je n'ai jamais été assez proche d'elle pour me confirmer cette idée. C'est une supposition venant d'une déduction logique. Et la logique ici me dit que cette fille n'a pas assez de fric pour se payer une vraie fourrure.

Donc, fausse la fourrure.

Blanche avec quelques taches noires parsemées ici et là. Quel animal cette chose est supposée représenter? C'est pas un panda puisqu'il ne s'agit que de petites touches de noires. Ce n'est pas non plus un zèbre parce que ce n'est pas rayé et pas non plus un tigre blanc pour la même raison. Un lama? Un énorme lapin des neiges? Un hamster géant? Ça se fait de vrais manteaux de fausse fourrure en faux hamster? Faudrait demander à un spécialiste mais je n'en connais pas dans mes relations.

Quand je reviens du boulot le soir, elle se tient toujours au coin de la rue Ontario et de Préfontaine, pas trop loin de l'endroit où je gare ma bagnole. Troublante silhouette fantomatique qui découpe l'obscurité comme une ombre blafarde. Quand une voiture passe près d'elle, on la voit s'animer furtivement en ondulant le pan usé de sa pelisse bon marché. Elle sourit aux conducteurs. Chose triste, cela tient d'avantage du rictus commandé que du sourire. Éclat terrifiant de la misère humaine, il y a une part de ténèbres dans cette grimace lancée à la face du monde. Quelque chose comme une blessure sociale qui se farde.

Ça fait deux ou trois fois où quand j'arrive le soir, la seule place disponible qui me reste se trouve précisément tout près de son territoire de chasse. Et ça me fait suer parce qu'à chaque fois, je sais qu'elle s'approchera de moi pensant que je suis un client à l'affût. Et ça ne manque jamais. Elle me regarde droit dans les yeux et me lance son invitation par ce sourire crispé qui se voudrait attirant mais qui me donne chaque fois un terrible malaise. Je lui fait alors un signe des épaules qui veut dire quelque chose comme "désolé". Un peu comme je le fait parfois pour les mendiants ou les squeegees. Son masque retombe aussitôt et son visage reprend son aspect "naturel", cette chose burinée par la misère et l'iniquité social.

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