Le dépanneur du coin, celui où je vais acheter mes clopes et ma bière, est tenu par un sympathique asiatique qui sourit toujours mais sans trop savoir pourquoi. Il ne connaît du français que quatre mots:
Bonjour, qu'il prononce "Bonnejouuu...."
Voilà, qu'il prononce "Voilàààààà...."
Merci, qu'il prononce "Metsiiii...."
Au Revoir, qu'il prononce "Au Rgevoiiiii......"
La langue française contient 35 000 mots et lui il réussit à se démerder avec ces quatre là, comblant les 34, 996 autres par des rires.
Ce qui donne toujours des dialogues un peu surréalistes.
- Bonjour, ça va bien?
- Bonnejouuuuuu.....
- Pas chaud ce soir.
- Hi! hi! hi!
- Ils annoncent encore de la neige.
- Hi! hi! hi!
- Je vais prendre un paquet de cigarettes.
- (en me refilant le paquet de clopes) Voilàààààààà.....
- (lui refilant l'argent) Tenez.
- Metsiiiii......
- Allez, au revoir.
- Au Rgevoiiiiiiii......
C'est un tout petit commerce encombré de produits et où il est très difficile de se déplacer. Dès qu'il y a plus de trois clients, on a l'impression d'être coincé dans un wagon de métro à l'heure de pointe. Du soir au matin, sept jours par semaine, il est là. Parfois, quand il doit s'occuper d'une livraison, sa fille lui donne un coup de main et il est facile de voir à ses traits éteints du visage qu'elle se fait royalement chier d'être obligée de passer de longues heures de son adolescence scotchée derrière la caisse de ce petit commerce mal éclairé. Pour passer le temps, elle lit des romans photos en noir et blanc qu'elle dépose sur le comptoir, à côté du présentoir à cigarillos parfumés. Elle reste toujours impassible au mouvement des clients et elle ne s'active que lorsque ceux-ci s'amènent pour payer. Elle délaisse alors quelques secondes son imprimé, pianote machinalement le prix sur les touches du clavier de sa caisse-enregistreuse, prend l'argent du client, lui redonne sa monnaie, emballe dans un sac de plastique blanc le produit et retourne aussitôt à sa lecture sans même prendre la peine de vous jeter un regard. Ce n'est pas de l'impolitesse, c'est juste de l'indifférence bien compréhensible de la part d'une gamine d'environ 16 ans qui aimerait bien passer ses samedis après-midi ailleurs que dans ce commerce un peu triste.
C'est le genre d'endroit qui ressemble d'avantage à une prison qu'à un commerce.
On dit que ce quartier change. Vrai et faux à la fois. Vrai parce qu'on voit bien à la lumière de ces petits commerces branchés qui poussent ici et là qu'une nouvelle clientèle est en train de prendre place. Mais faux en ce sens que ce changement est provoqué par la hausse de l'immobilier des dernières années et que la spéculation y est florissante. Ce qui est entrain de se passer ici est exactement ce qui s'est passé sur le Plateau Mont-Royal dans les années '80 et '90, c'est à dire une gentrification massive, voire sauvage, du quartier qui ne laisse aucune chance aux résidents à faible revenu de se reloger à prix abordable. Peu à peu, immeuble par immeuble, rue par rue, l'on rachète, rénove et reloue à des prix prohibitifs les vieux logements au détriment de ces gens qui y vivent depuis des générations. Ce quartier est l'un des derniers de la ville à avoir une histoire et une identité propre encore vivante et léguée d'une génération à l'autre par ses résidents qui y sont nés et qui y sont morts. Au lieu de la protéger, on l'assassine en encourageant une course à la rénovation à tout-va exempte de toute vision sociale. La conservation architecturale d'un patrimoine n'est pas une mauvaise chose, au contraire, mais au-delà de la revitalisation visuelle d'un quartier, ce qui devrait primer sur le reste est la préservation du tissu social qui a forgé et qui a donné ceci à cela, c'est à dire une âme à ce patrimoine. Avec le résultat scandaleux que chaque rénovation de logement s'accompagne inévitablement d'une éviction de locataire. Je connais ce quartier pour y avoir habité, et pour y avoir eu des amis qui y habitaient depuis toujours. J'y reviens après cinq ans et ce que je vois en ce moment ne ressemble en rien à ce que j'ai vu à l'époque. Je suis à même de constater que j'assiste en ce moment à l'agonie de ce qui est encore un village planté au coeur de la ville. Au rythme où vont les choses, j'estime que dans moins de 20 ans, ce quartier sera de fond en comble un nouveau Plateau Mont-Royal. C'est à dire un verni branché recouvrant de force une architecture singulière où les personnages des romans de Michel Tremblay n'y retrouveraient pas leur place.
Il est tard, je vais me coucher.
Bonjour, qu'il prononce "Bonnejouuu...."
Voilà, qu'il prononce "Voilàààààà...."
Merci, qu'il prononce "Metsiiii...."
Au Revoir, qu'il prononce "Au Rgevoiiiii......"
La langue française contient 35 000 mots et lui il réussit à se démerder avec ces quatre là, comblant les 34, 996 autres par des rires.
Ce qui donne toujours des dialogues un peu surréalistes.
- Bonjour, ça va bien?
- Bonnejouuuuuu.....
- Pas chaud ce soir.
- Hi! hi! hi!
- Ils annoncent encore de la neige.
- Hi! hi! hi!
- Je vais prendre un paquet de cigarettes.
- (en me refilant le paquet de clopes) Voilàààààààà.....
- (lui refilant l'argent) Tenez.
- Metsiiiii......
- Allez, au revoir.
- Au Rgevoiiiiiiii......
C'est un tout petit commerce encombré de produits et où il est très difficile de se déplacer. Dès qu'il y a plus de trois clients, on a l'impression d'être coincé dans un wagon de métro à l'heure de pointe. Du soir au matin, sept jours par semaine, il est là. Parfois, quand il doit s'occuper d'une livraison, sa fille lui donne un coup de main et il est facile de voir à ses traits éteints du visage qu'elle se fait royalement chier d'être obligée de passer de longues heures de son adolescence scotchée derrière la caisse de ce petit commerce mal éclairé. Pour passer le temps, elle lit des romans photos en noir et blanc qu'elle dépose sur le comptoir, à côté du présentoir à cigarillos parfumés. Elle reste toujours impassible au mouvement des clients et elle ne s'active que lorsque ceux-ci s'amènent pour payer. Elle délaisse alors quelques secondes son imprimé, pianote machinalement le prix sur les touches du clavier de sa caisse-enregistreuse, prend l'argent du client, lui redonne sa monnaie, emballe dans un sac de plastique blanc le produit et retourne aussitôt à sa lecture sans même prendre la peine de vous jeter un regard. Ce n'est pas de l'impolitesse, c'est juste de l'indifférence bien compréhensible de la part d'une gamine d'environ 16 ans qui aimerait bien passer ses samedis après-midi ailleurs que dans ce commerce un peu triste.
C'est le genre d'endroit qui ressemble d'avantage à une prison qu'à un commerce.
On dit que ce quartier change. Vrai et faux à la fois. Vrai parce qu'on voit bien à la lumière de ces petits commerces branchés qui poussent ici et là qu'une nouvelle clientèle est en train de prendre place. Mais faux en ce sens que ce changement est provoqué par la hausse de l'immobilier des dernières années et que la spéculation y est florissante. Ce qui est entrain de se passer ici est exactement ce qui s'est passé sur le Plateau Mont-Royal dans les années '80 et '90, c'est à dire une gentrification massive, voire sauvage, du quartier qui ne laisse aucune chance aux résidents à faible revenu de se reloger à prix abordable. Peu à peu, immeuble par immeuble, rue par rue, l'on rachète, rénove et reloue à des prix prohibitifs les vieux logements au détriment de ces gens qui y vivent depuis des générations. Ce quartier est l'un des derniers de la ville à avoir une histoire et une identité propre encore vivante et léguée d'une génération à l'autre par ses résidents qui y sont nés et qui y sont morts. Au lieu de la protéger, on l'assassine en encourageant une course à la rénovation à tout-va exempte de toute vision sociale. La conservation architecturale d'un patrimoine n'est pas une mauvaise chose, au contraire, mais au-delà de la revitalisation visuelle d'un quartier, ce qui devrait primer sur le reste est la préservation du tissu social qui a forgé et qui a donné ceci à cela, c'est à dire une âme à ce patrimoine. Avec le résultat scandaleux que chaque rénovation de logement s'accompagne inévitablement d'une éviction de locataire. Je connais ce quartier pour y avoir habité, et pour y avoir eu des amis qui y habitaient depuis toujours. J'y reviens après cinq ans et ce que je vois en ce moment ne ressemble en rien à ce que j'ai vu à l'époque. Je suis à même de constater que j'assiste en ce moment à l'agonie de ce qui est encore un village planté au coeur de la ville. Au rythme où vont les choses, j'estime que dans moins de 20 ans, ce quartier sera de fond en comble un nouveau Plateau Mont-Royal. C'est à dire un verni branché recouvrant de force une architecture singulière où les personnages des romans de Michel Tremblay n'y retrouveraient pas leur place.
Il est tard, je vais me coucher.
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