Ça c’est dans ma ruelle, mais la
semaine dernière en revenant de la boucherie où j’avais acheté deux poitrines
de poulet marinée (tomates, basilic et j’sais plus quoi). Elle est belle ma
ruelle à l’automne, juste avant que les feuilles ne tombent. Elle prend un je
ne sais quoi de nostalgique dans ses couleurs. C’est romantique aussi. Si
j’étais réalisateur de cinéma, je verrai bien tourner la dernière scène de mon
film là, en plein là, sous cette voûte de couleur jaune qui se décline sous
tous les tons. La caméra serait placée exactement au même endroit où j’ai pris
la photo. L’image serait mieux cadrée, bien sûr, parce que j’aurais une équipe
de professionnels. Faut pas croire que je ne sais pas comment ça marche, même
si je n’ai jamais fait de cinéma. Bon, voici le petit bout de scénario pour
cette scène :
Scénario : Un homme marche seul dans une ruelle tapissée de feuilles mortes. Il
fait dos à la caméra. Il porte une valise à la main, une grosse valise qui
laisse penser que tous ses effets sont dedans. (Note pour le directeur du
casting : Trouver un très bon acteur capable de faire ressentir un départ
vers un ailleurs définitif juste en marchant et en le filmant de dos... Mmmhh…
on a ça dans le bottin des artistes ?) On sent dans son attitude générale
qu’il y est contraint, forcé, qu’il préférerait rester. On voit alors une femme
passer devant le champ de la caméra et courir vers l’homme. Elle le rejoint
alors qu’il vient d’atteindre la canopée de feuillues. Elle se place devant lui
et l’empêche de faire un pas de plus. Elle pleure. Se jette dans ses bras. Il
laisse tomber sa valise et l’enlace. La caméra recul, recul, recul jusqu’à ce
qu’ils ne deviennent plus qu’un point flou. Fin !
Me reste plus qu’à écrire le reste du
scénario.
Cette ruelle me ramène souvent à celle
de ma petite enfance sur la rue Berri. Mais comme j’écrivais l’autre jour, elle
a ceci de différent que les enfants ne l’accaparent pas comme nous le faisions
à l’époque. On dirait un espace désertée, comme un terrain de jeu abandonné
parce que devenu désuet. Les enfants restent dans leur petite cours arrière et
ne s’aventurent dans la ruelle que si les parents y sont pour faire la garde.
Étrange évolution sociale dont la base
est une sorte de paranoïa parentale qui ampute dès le plus jeune âge la
découverte de l’autre, la mixité, l’échange, l’intégration. Quand cela se fait,
c’est toujours sous haute surveillance parentale, comme s’il existait un danger
sous-jacent dans l’action naturelle d’aller vers l’autre.
À mon époque, la ruelle était un lieu
où les parents abandonnaient volontiers leurs enfants et celle-ci, la ruelle,
devenait du même coup leur premier laboratoire social. Mes premiers pas dans cette
société, je les ai faits dans la ruelle, avec les autres enfants et sans
surveillance des parents. Ou à peine. Nos parents n’étaient pas pour autant des
inconscients. Ils étaient simplement moins paranos que ceux d’aujourd’hui.
Décidément, je n’aime pas les jeunes
parents d’aujourd’hui. Non, attends, je reprends ma phrase : décidément,
je n’aime pas la manière dont les jeunes parents d’aujourd’hui élèvent leurs
enfants. Cette peur-panique quasi permanente qu’il se passera quelque chose de
grave dès lors qu’ils auront leurs yeux ailleurs que sur leur progéniture, ça
ne peut donner qu’une génération de peureux.
Mais je peux me tromper. Je me trompe
souvent. N’empêche, je ressens souvent dans le regard de ces parents paranos
une méfiance quand je passe par la ruelle avec mes sacs d’épicerie et qu’ils
sont tous là à scruter à la loupe le moindre déplacement de leurs marmaille
d’enfants du Plateau Mont-Royal dont, forcément, 50% au moins possède la
nationalité Française. Je suis un voisin potentiellement suspect parce que pas
d’enfants en bas âge. Du coup, on hésite à me parler. Si, si ! Je vous le
dis, c’est comme ça. Je ne fais pas partie de la petite société parentale de la
ruelle. Et quand un ballon du hasard tombe dans ma cours, il n’y a rien qui m’insulte
le plus que d’entendre une voix de maman paniquée qui crie à son petit fifon
« Ne va pas là Logan ! (Ou Dylan, ou Matisse, ou Victor) », comme
si j’allais assurément bouffer tout cru son jeune surprotégé au prénom de snob.
Si, par une sorte de cocasserie
quantique, il était possible de voyager dans le temps et que demain matin, Logan,
ou Dylan, ou Matisse, ou Victor se retrouvait dans ma ruelle à moi dans le bon
vieux temps de mon époque, assurément qu’avec mes potes de la ruelle, on lui
fendrait le crâne à grands coups de Sherwood PMP pour lui apprendre ce que ça
coûte que de porter un prénom de fif.
L’apprentissage social, c’est aussi ça.
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