dimanche 8 novembre 2015

Ruelle d'aujourd'hui

Ça c’est dans ma ruelle, mais la semaine dernière en revenant de la boucherie où j’avais acheté deux poitrines de poulet marinée (tomates, basilic et j’sais plus quoi). Elle est belle ma ruelle à l’automne, juste avant que les feuilles ne tombent. Elle prend un je ne sais quoi de nostalgique dans ses couleurs. C’est romantique aussi. Si j’étais réalisateur de cinéma, je verrai bien tourner la dernière scène de mon film là, en plein là, sous cette voûte de couleur jaune qui se décline sous tous les tons. La caméra serait placée exactement au même endroit où j’ai pris la photo. L’image serait mieux cadrée, bien sûr, parce que j’aurais une équipe de professionnels. Faut pas croire que je ne sais pas comment ça marche, même si je n’ai jamais fait de cinéma. Bon, voici le petit bout de scénario pour cette scène :

Scénario : Un homme marche seul dans une ruelle tapissée de feuilles mortes. Il fait dos à la caméra. Il porte une valise à la main, une grosse valise qui laisse penser que tous ses effets sont dedans. (Note pour le directeur du casting : Trouver un très bon acteur capable de faire ressentir un départ vers un ailleurs définitif juste en marchant et en le filmant de dos... Mmmhh… on a ça dans le bottin des artistes ?) On sent dans son attitude générale qu’il y est contraint, forcé, qu’il préférerait rester. On voit alors une femme passer devant le champ de la caméra et courir vers l’homme. Elle le rejoint alors qu’il vient d’atteindre la canopée de feuillues. Elle se place devant lui et l’empêche de faire un pas de plus. Elle pleure. Se jette dans ses bras. Il laisse tomber sa valise et l’enlace. La caméra recul, recul, recul jusqu’à ce qu’ils ne deviennent plus qu’un point flou. Fin !

Me reste plus qu’à écrire le reste du scénario.

Cette ruelle me ramène souvent à celle de ma petite enfance sur la rue Berri. Mais comme j’écrivais l’autre jour, elle a ceci de différent que les enfants ne l’accaparent pas comme nous le faisions à l’époque. On dirait un espace désertée, comme un terrain de jeu abandonné parce que devenu désuet. Les enfants restent dans leur petite cours arrière et ne s’aventurent dans la ruelle que si les parents y sont pour faire la garde.
Étrange évolution sociale dont la base est une sorte de paranoïa parentale qui ampute dès le plus jeune âge la découverte de l’autre, la mixité, l’échange, l’intégration. Quand cela se fait, c’est toujours sous haute surveillance parentale, comme s’il existait un danger sous-jacent dans l’action naturelle d’aller vers l’autre.
À mon époque, la ruelle était un lieu où les parents abandonnaient volontiers leurs enfants et celle-ci, la ruelle, devenait du même coup leur premier laboratoire social. Mes premiers pas dans cette société, je les ai faits dans la ruelle, avec les autres enfants et sans surveillance des parents. Ou à peine. Nos parents n’étaient pas pour autant des inconscients. Ils étaient simplement moins paranos que ceux d’aujourd’hui.
Décidément, je n’aime pas les jeunes parents d’aujourd’hui. Non, attends, je reprends ma phrase : décidément, je n’aime pas la manière dont les jeunes parents d’aujourd’hui élèvent leurs enfants. Cette peur-panique quasi permanente qu’il se passera quelque chose de grave dès lors qu’ils auront leurs yeux ailleurs que sur leur progéniture, ça ne peut donner qu’une génération de peureux. 
Mais je peux me tromper. Je me trompe souvent. N’empêche, je ressens souvent dans le regard de ces parents paranos une méfiance quand je passe par la ruelle avec mes sacs d’épicerie et qu’ils sont tous là à scruter à la loupe le moindre déplacement de leurs marmaille d’enfants du Plateau Mont-Royal dont, forcément, 50% au moins possède la nationalité Française. Je suis un voisin potentiellement suspect parce que pas d’enfants en bas âge. Du coup, on hésite à me parler. Si, si ! Je vous le dis, c’est comme ça. Je ne fais pas partie de la petite société parentale de la ruelle. Et quand un ballon du hasard tombe dans ma cours, il n’y a rien qui m’insulte le plus que d’entendre une voix de maman paniquée qui crie à son petit fifon « Ne va pas là Logan ! (Ou Dylan, ou Matisse, ou Victor) », comme si j’allais assurément bouffer tout cru son jeune surprotégé au prénom de snob.
Si, par une sorte de cocasserie quantique, il était possible de voyager dans le temps et que demain matin, Logan, ou Dylan, ou Matisse, ou Victor se retrouvait dans ma ruelle à moi dans le bon vieux temps de mon époque, assurément qu’avec mes potes de la ruelle, on lui fendrait le crâne à grands coups de Sherwood PMP pour lui apprendre ce que ça coûte que de porter un prénom de fif.
L’apprentissage social, c’est aussi ça.

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