Il détestait les
océans qui ne semblaient exister que pour séparer le Réjean d’elle. Qui a
inventé les océans, se disait il pendant qu’elle s’éloignait dans la file qui
la mènerait aux douanes, de l’autre côté de sa vie ? Son cœur se serrait
de la voir s’en aller. Elle ne cessait de se retourner pour lui envoyer la
main, pour lui envoyer des bises et des sourires teintés de tristesses qui lui
faisaient autant de bien que de mal. Il la suivait des yeux maintenant qu’il ne
pouvait plus la suivre à l’épiderme ou au parfum. Il avait encore l’odeur de
ses cheveux sur sa joue. Cela allait s’effacer dans les prochaines secondes. Et
ça lui faisait mal. Qui a inventé les océans, se répétait-il ? (À partir
de maintenant, laissons-le s’exprimer) Qu’on me le présente que je lui pète la
gueule à grands coups de talon dans les dents. L’enculé ! Qui a inventé
les kilomètres, les distances, les absences, les éloignements forcées et les
rires qui s’éteignent ? Qui a inventé les départs déchirants dans les
aéroports ? Qui a inventé les pays, les frontières, les décalages horaires ?
Qui a inventé l’heure belle mais en même temps tellement horrible qui précède
l’embarquement ? Qui a inventé le déchirement que provoquent ces deux
corps qui doivent se séparer après un dernier enlacement ? Qui a
inventé les derniers regards qui se cherchent et s’éloignent et se perdent dans
la filée des gens qui ont l’outrecuidance de voyager sur le même vol
qu’elle ? Et t’es qui toi, le gros tata plein d’marde qui marche derrière
elle et qui se pompe de devoir arrêter de marcher parce qu’elle s’arrête
d’avancer mille fois pour m’envoyer la main et des bisous pour une millième
fois depuis les trente dernière secondes ? Tu veux que je traverse la
douane pour te péter la gueule ? C’est kiki t’as inventé ? Le même
enculé qui a inventé les océans ? C’est ça ? Race d’enfoiré de gros
porc. Respecte mes derniers bisous ou je te pète les dents à grands coups de
barre à clous. Tu ne vois pas que je suis amoureux ? Enculé ! Ben oui
mec, je suis amoureux. Un vrai amour comme dans les films. Avec des fins déchirantes
et des départs sous fond de moteurs d’avion qui s’impatientent de s’en aller. Play it again Sam, comme disait Bogart
dans Casablanca.
(Reprenons maintenant
notre narration) Puis, comme dans les films justement, elle quitta la filée de
passagers pour revenir vers lui à contre courant des idiots et des imbéciles
qui ne comprenaient rien au drame déchirant qui se jouait pourtant devant eux.
Elle venait de réaliser qu’elle avait encore le double des clés qu’il avait
fait pour elle. Il voulait qu’elle les garde, mais elle insista pour les lui
redonner. Futile soucis de dernière minute. Était-ce une excuse pour le serrer
une dernière fois dans ses bras ? Peut-être que oui, peut-être que non.
Mais il préféra opter pour le oui et il en profita lui aussi en l’embrassant
mille fois. Il lui semblait que ses lèvres n’existaient plus que pour sa peau
de toulousaine. C’était de l’extra qu’elle lui offrait et il prenait tout ce
qu’elle lui donnait.
Trente ans plus tard,
lors de nos recherches préparatoires qui ont servit à la rédaction de cet
ouvrage (toujours en chantier, mais que nous espérons publier cette année), une
source anonyme nous a remis un précieux document écrit de sa main à lui. Nous
pensons qu’il s’agit d’un début de lettre jamais terminée. Un brouillon tout au
plus. Une amorce de quelque chose. À l’entête dudit document, il y a cette
précision « Écrit au chalet dans la nuit du 18 au 19 août 2015 ».
Nous avons vérifié et cette date correspond avec celle du vol qu’elle avait
prit en partance de Montréal après son court séjour dans cette ville. Nous
recopions ici le court texte. Ça va comme suit :
Je suis de retour au chalet. Je ne pouvais
pas rester en ville. Tout parle encore de toi ici. En arrivant, la première
chose que j’ai faite fut de respirer ton oreiller. Il est minuit 28 et ton
avion doit avoir terminé de survoler la pointe sud du Groenland. Tu retournes
chez toi. Tu es déjà loin. Et je me sens tellement vide. Tellement mort.
La
réalité est parfois plus incroyable que la fiction. Ils s’étaient connus en
avril 2007 alors qu’elle était au Québec pour un stage dans un poste de radio.
Elle était repartie fin mai. En tout, à peine un mois. Et de ce mois, à peine
une dizaine de jours ensemble. Le temps de se connaître et de nouer leur
complicité. Ils gardèrent contact par courriers et courriels, par skype et par
autres machins virtuels de cette époque. Pour un tas de raison qui seraient
fastidieux d’énumérer ici, ils ne se revirent qu’en 2013 pendant 9 jours. Puis
en 2015 pendant 12 jours. Si la vie nous en donne la chance, nous vous
raconterons leur histoire. Elle en vaut la peine.
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