Quand tu travailles 12 heures par jour, t’auras beau avoir toute la
meilleure volonté du monde, ta journée est totalement scrap. C’est tout juste
si t’as le temps de t’arrêter le matin dans ce café pour te donner l’impression
d’avoir fait autre chose que de travailler.
Ta vie sociale ?
Quelle vie sociale ?
Tu reviens le soir à la maison, t’as la tronche dans le cul et tu veux
juste t’écraser dans un coin. On vient de te voler une autre journée de ta vie.
C’est le seul constat que tu peux faire de ce 24 heures qui vient de passer et
qui ne reviendra plus jamais.
C’est comme ça que je me sent, et c’est de plus en plus comme ça que je
conçois cette vie de merde où tout est synchronisé en fonction d’un esclavage
coordonné.
Comment ça j’exagère ?
Eh merde, moi qui voulais écrire sur la pêche ce soir. Quand arrive la mi
janvier, c’est le début de la déprime hivernale et t’as la nostalgie des
truites qui se la ramène dans ta peau séchée par le chauffage électrique et qui
te fait compter les semaines sur le calendrier.
J’ai souvenir d’une truite prise au chalet en juin dernier. C’était une
brune grosse comme ça mec, grosse comme ça. T’avais mon père qui n’en finissait
plus de crever dans sa maison à cause du cancer que je vous ai déjà raconté. Il
était maigre comme ça mec, maigre comme ça. Je pêchais depuis le matin et je
m’obstinais même si ça ne mordait pas. Je voulais la prendre pour lui, pour
qu’il en bouffe encore au moins une avant de crever. Il était sur ses derniers
jours. On le savait, mais on se niait tout ça. Et puis voilà qu’elle mord la
cocotte, qu’elle attaque mon hameçon comme une kamikaze et qu’elle ne le lâche
pas. C’est la prise dont je suis le plus fier. Parce que je la voulais pour
lui, et que je l’ai eue.
C’était au temps de la fin, au moment où il ne mangeait plus que
quelques bleuets par jour et deux ou trois cuillérées de yaourt.
J’ai une truite p’pa ! Une truite de la rivière ! (Entendu
que lorsqu’on parle de « la rivière », ça ne peut être que celle qui
borde son chalet).
Je l’ai cuite moi même juste avec un filet d’huile d’olive. T’aurais dû
voir l’attention que j’y ai mise. Comme il n’avait plus qu’un estomac gros
comme une poche de thé, il n’a prit qu’une portion qui n’était pas plus grosse
que mon petit doigt. Après deux bouchées, je l’ai entendu dire
« ostie ! »
Qu’est-ce t’as p’pa ?
Je ne suis plus capable d’avaler.
De fait, ce fut le dernier truc solide qu’il a été capable d’avaler.
Quelques morceaux de cette truite.
Elle venait de sa rivière au pied de son chalet.
Après ça, on l’a nourrit à la pipette.
Après ça, on écrasait ses comprimés de morphine qu’on lui faisait
boire.
Après ça, il a demandé des injections plutôt que des comprimés.
Après ça, il n’a plus jamais reparlé.
Après ça, il est mort.
Je suis retourné pêcher après qu’il soit parti. Symboliquement, je
l’amenais avec moi en portant l’une de ses nombreuses casquettes de pêche. Ça
faisait parti du deuil. Mais je ne le ferai pas cet été. Faut tourner la page
mec, faut tourner la page.
Hey, j’ai envie de terminer ce post avec cette sublime impression
ressentie la semaine dernière quand la fille au parasol (n’essayez pas de
comprendre, c’est entre elle et moi. Et en passant, elle est lectrice de ce
blogue) a passé au boulot. C’est une charmante petite pote que je connais
depuis au moins… heu… attends voir… laisse moi compter… 4 ans ? Ouais, 4
ans je crois. Avec des épisodes d’apparitions et de disparitions régulières. On
ne sera jamais amoureux parce qu’elle a quelque chose comme mille ans de moins
que moi, mais que bon, on est vraiment potes comme dans les films américains du
mardi après-midi, sauf qu’on ne se mariera pas à la fin de l’histoire vu que je
vais sans l’ombre d’un doute crever environ 25 ans avant elle et que pour
fonder une famille, c’est pas le meilleur plan qui puisse exister. C’est mon
amie fille préférée, je veux dire qu’avec elle, je peux avoir des soupers et
parler d’un tas de trucs sans m’arrêter pour respirer. Comme les filles elles
font entre elles. Pis ce qui est chouette, c’est que je n’arrête pas de lui
dire qu’elle est belle à force d’être magnifique et que ça la fait toujours un
peu rougir. J’adore quand elle est là, pas trop loin de moi, parce que je peux
la regarder comme on regarderait une toile d’un grand maître au musée. C’est
une fille qui se contemple et t’es juste heureux quand elle est là et que tu
peux la regarder. Je suis son vieux pote un peu casse-cul mais drôle, qui lui
dit toujours qu’elle devrait être moins sérieuse et de profiter de ses 20 ans
pour voyager aux quatre coins de la terre et avoir mille amants, même si ça me
ferait quand même chier un peu vu que ça me ferait mille mecs à qui péter la
gueule dans la ruelle.
À qui le tour ?
À moi !
Viens par ici.
Paf !
À qui le tour ?
À moi !
Viens par ici.
Paf !
Je suis son ami de 51 ans. Autrement dit, je suis son ami éléphant alors
que c’est une petite belette. Je suis son ami Balou dans le livre de la jungle.
Le gros con à côté qui fait des blagues en chantant, c’est moi.
Elle m’a quand même serré dans ses bras très fort la semaine dernière.
Elle était contente de retrouver son vieux con gentil. Moi, j’étais crissement
bien là-dedans, entouré de ses bras et le visage collé contre le sien. J’ai eu
le temps de respirer ses cheveux. C’est où qui faut signer les papiers pour
faire sa demande de citoyenneté pour vivre là, entre ses deux épaules et le nez
planté dans sa tignasse ?
La sublime sensation dont je parlais plus haut, c’était ça.
Ses bras autour de moi.
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