lundi 18 août 2014

L'abbé Gravel

J’étais descendu à Joliette parce qu’après près de deux semaines de vacances en solitaire au chalet, j’avais comme une envie d’urbanité. Je flânais dans les rues quand en m’éloignant de l’esplanade du centre-ville, j’ai vu la grande flèche de la cathédrale de Joliette pointer très haut vers le ciel. Tiens ? Et si j’allais la visiter ? Que je me suis dit. Ça fait un bail que je ne suis pas rentré dans une église. Mais en arrivant sur le parvis, j’ai vu beaucoup de gens qui entraient et sortaient. En ce jeudi après-midi, ça me semblait un peu étrange. Puis, en apercevant cette tête de con de politicien qui parlait avec d’autres têtes de con, j’ai réalisé que c’était la journée où l’on exposait la dépouille de l’abbé Raymond Gravel.
Je ne le détestais pas lui. Un peu comme l’abbé Pierre, c’était un humaniste avant d’être un cureton. Un homme de cœur comme ils disent dans les médias. J’aimais sa grande gueule, son ouverture, sa liberté de penser qu’il exprimait même si ça foutait ses patrons en rogne. Et puis sa vie de merde qui l’aura plongé dans la dope, l’alcool et la prostitution avant de s’en sortir et devenir l’homme qu’on a connu. À mes yeux, ça faisait de lui un vrai de vrai qui savait exactement ce que sont la misère et les bas-fond. Il n’avait pas appris ça dans les livres.
Enfin bref, j’aimais l’homme.

Je suis rentré non plus pour visiter la baraque, mais pour aller lui dire salut et un peu merci au nom de tous les fuckés et les marginaux de la planète, vaste famille dont je fais encore un peu parti malgré moi. Ne m’aurait pas jugé sur me compte de banque ou sur mon logement d’étudiant de 51 ans celui-là. On se reconnaît nous, les pas comme les autres.

Je me suis mis dans la file derrière une poignée de personnes. Devant, tout au bout de la file, il y avait le cercueil et l’enveloppe corporelle de l’abbé Gravel, mais sans l’abbé Gravel dedans.
Le véhicule sans le chauffeur.
Sur les bancs, quelques têtes blanches qui priaient. Éparpillés dans toute l’église, des pompiers en uniforme parce qu’il était aussi l’aumônier des pompiers de ch’sais plus trop où. À gauche du cercueil, un dizaine de personnes qui se tenaient tout droit dans leurs vêtements noirs. Les membres de la famille sans doute. Ceux qui terminaient de se recueillir passaient ensuite par là et allaient leur offrir leurs sympathies. Du coup, je me suis pris du syndrome de l’imposteur. Qu’est-ce que je foutais là ? Mais bon, j’étais en vacances quoi. Et j’ai décidé de jouer le jeu jusqu'au bout.

Quand ç’a été mon tour, je me suis planté devant la dépouille où je n’ai ni prier, ni fait le moindre signe de croix parce que ça aurait été hypocrite de ma part. J’ai juste regardé la dépouille. On aurait dit un mannequin de magasin qu’on aurait un peu raté. On l’avait revêtu de sa soutane, les mains jointes serties d’un chapelet. Sensation étrange d’être là, debout devant un mort que je n’avais jamais connu, jamais vu avant.
Voyeurisme ? Même pas. J’avais juste laissé mes pas me guider et j’en étais là.
Puis, jugeant que j’avais passé juste le temps qui faut pour une telle circonstance, je me suis détaché et j’ai été serrer les mais à ces inconnus qui portaient des vêtements sombres. J’ai pris une gueule qui convenait, un peu que comme tous ces gens que je ne connaissais pas et qui sont venus m’offrir leurs sympathies pour mon père. Ils étaient six.
Mes sympathies.
Mes sympathies.
Mes sympathies.
Mes sympathies.
Mes sympathies.
Mes sympathies.


Quand je suis sorti, une caméra de Radio-Canada s’installait sur le parvis. Je me suis allumé une clope et j’ai marché dans les rues du vieux Joliette.

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