dimanche 12 janvier 2014

Dude


Redoux de janvier. Dehors, en revenant du boulot, ça sentait bon les soirs de mars quand le printemps commence à prendre le dessus sur l’hiver. Il n’y a aucun autre parfum que j’aime plus que celui-là. (Quoi que je me souviens de celui de cette fille qui… oui bon, passons) Ça me ramène toujours de fortes réminiscences d’un passé plus vraiment proche. Le printemps quand t’es ado, l’odeur du dégèle, les premières soirées un peu plus chaudes, qu’est-ce que c’était chouette. Y a des tas de noms de filles qui te reviennent.

Celle-là surtout. Murielle son nom (fictif, bien sûr. Des fois que…) J’avais 15 ou 16 ans, elle en avait 14 ou 15. Elle avait un an de moins que moi, mais était déjà parfaitement femme avec toutes les courbes et dénivellations placées aux bons endroits. Elle allumait tous les mecs du quartier. Et même ceux des autres quartiers. Et même ceux des autres villes. Devant chez elle, il y avait toujours des tas de voitures sport garées comme chez un concessionnaire. Ça appartenait à sa cour, son troupeau de prétendants qui se battaient pour être assis près d’elle, sur les marches de son balcon où ils venaient lui porter leurs hommages de mec en rut. Et ils étaient nombreux. Tous à peu près gosses de riches, tous avec des voitures plus grosses les unes que les autres, tous entre 16 et 18 ans. Quand je passais par là avec mon 10 vitesses CCM TARGA rouge plus lourd qu’un cheval mort, quand je voyais tous ces mecs plus vieux que moi assis sur ses marches par ordre d’importance (elle se tenait tout en haut et n’acceptait qu’un seul dude à sa droite. Généralement c’était Denis Ballus – nom fictif – fils de Ballus Transport. Tous les autres s’assoyaient sur les marches plus basses, et généralement par ordre d’importance décroissante. Ceux qui restaient debout étaient les nouveaux prétendants. Ceux qui devaient se faire accepter par la belle. Pour y arriver, ils devaient se montrer rigolos. Du moins, c’est ce que j’ai cru déceler dans leurs us et coutumes. Enfin, bref, c’était comme ça que ça fonctionnait du temps où il n’y avait ni d’Internet, ni téléphone dit intelligent et même pas de cartes de débit.) … bref, quand je passais par-là, je savais que je n’avais aucune chance. Tu ne peux pas te battre contre une Trans-Am quand t’as un CCM TARGA rouge qui pèse plus lourd qu’un cheval mort. Et en plus, ils étaient tous plus vieux que moi.

Mais vous savez quoi ? J’ai tout de même été le premier à gagner son petit cœur de vraie femme avec pleins de courbes aux bons endroits et à aller au cinéma avec elle. Je crois que j’ai déjà raconté ça ici… Je me souviens du film… c’était avec Charles Bronson. Le solitaire de Fort Umboldt. Après une rapide recherche sur Wikimachin, je peux donc dire que c’était en 1976. (film tourné en 1975, mais présenté en 1976) Fuck ! J’avais 13 ans ! Et elle, forcément, elle en avait 12. Du coup, non, je ne suis pas sortie avec elle quand j’avais 16 ans. Impossible ! Ça veut donc dire que je confonds, que les mecs sur son balcon, c’était après, bien après. Que les courbes bien placées aussi c’était après. Shit ! C’est fou comment tout se mélange avec les années. Heureusement qu’Internet est là pour nous ramener les vraies dates. Anyway, elle avait déjà à cet âge des prétendants parce que je me souviens qu’au cinéma, sa cour de jeunes mecs nous avait suivis et s’était assise dans la rangée derrière nous. Oui bon, j’arrête là parce que la suite n’est pas drôle. J’avais tout foiré. J’avais voulu l’embrasser, elle ne voulait pas. Ce genre de chose. Un drame sans nom. J’avais tout raté le film pour cause de dérapage sentimental. Un criss de bon film en plus. Ça se passait dans un train. C’est tout ce dont je me souviens. De ça et aussi que c’était le printemps que ça sentait comme ce soir.

J’ai revu Murielle cet été. À l’hôpital. Ça devait bien faire plus 30 ans que je ne l’avais pas revue. Avec ma mère et mon frangin, nous accompagnions mon père et elle accompagnait sa mère. Elle est devenue grosse avec trop de courbes partout, et puis de la peau qui tombe au niveau du cou et des joues. Quand tu la regardes aujourd’hui, t’as de la misère à te souvenir qu’à une certaine époque, les mecs faisaient des km en bagnole pour avoir le privilège de s’assoir sur une des marches de ses escaliers. Je crois qu’elle vit seule parce que son mec s’est poussé un jour pour cause d’habitude et de rêve brisé. Enfin je dis ça, mais c’est peut-être pour autre chose. Ça arrive quand on frise la cinquantaine. 

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