vendredi 22 mars 2013

Le gros méchant loup


Il devait être 17h quand j’ai décidé de m’arrêter à cette nouvelle succursale qui est en fait le jumelage de deux précédentes. Hasard ou coïncidence, c’est l’ouverture officielle et il y a là tout le gratin patronal réuni au grand complet. Moi je n’y suis que comme client et pas du tout comme élément syndical. N’empêche, de voir toutes cette agitation, ces ballons soufflés à l’hélium, ces dégustations, ces petits fourres, ces belles robes de directrices, ces belles cravates de directeurs, ça me donne le goût de rester et de me mêler à la fête. Question de mettre un peu de stress juste en déambulant entre les allées et à piocher dans les amuses-gueules. Je reconnais un collègue et je vais papoter un peu avec lui. Arrive la directrice de la succursale, toute nerveuse à cause du gratin et qui se demande bien c’est qui cette grande asperge blonde et mal rasée qui parle avec un de ses employés et qui l’empêche du même coup de faire son boulot. À la manière qu’elle a de me dévisager, je sais que mon visage lui dit quelque chose, mais elle n’ose pas trop se compromettre. En me présentant, je vois justement les traits de son visage qui dessinent une curieuse expression. De toute évidence mon nom provoque en elle un sentiment qui hésiterait entre une nervosité soudaine et un coup de masse sur la tête. Du genre «Ah non! Pas lui là, maintenant, pendant que ma succursale est remplie de patrons mur à mur!» En voilà une autre qui a entendu parler de moi et qui me croit sociopathe, mangeur de viande humaine et accessoirement syndicaliste. Je ne dis pas que c’est désagréable comme impression, mais vient un moment où ça commence un peu à virer au ridicule.  Je veux dire que la fille, elle ne me connaît même pas! Je n’ai jamais travaillé avec et je n’ai jamais eu à intervenir dans ses succursales. Elle ne me connaît que de nom. 
Je répète : que de nom! 
Juste pour en rajouter une couche, après m’être présenté et voyant sa réaction, je lui lance avec le sourire «Oui, c’est moi le gros méchant loup» Pour être gentille et pour bien me mettre à l’aise, elle dit «Ah, mais tu sais, ce n’est pas ce que ta directrice dit de toi» autrement dit, à part pour ma directrice, tous les autres directeurs disent que je suis vraiment le gros méchant loup. 
Pour le tact et le doigté, on repassera. 
Elle nous laisse et s’en va vers d’autres aventures quand au même moment, elle voit arriver vers elle une autre entité très inquiétante du syndicat : mon pote Dom-Dom, poings de béton et coeur tendre. Gros sourire, genre «bonjour la directrice, je m’en viens faire mon tour pour voir s’il n’y aurait pas des griefs à déposer pendant ta petite fête d’ouverture officielle» Ça rend toujours les directeurs très nerveux ce genre de visite syndicale dans un moment comme ça. N’empêche, je suis très content de le voir mon pote Dom-Dom. Ça faisait un bail qu’on ne s’était pas vus. À nous deux, et malgré la foule de directeurs dans les allées, on a qu’à se promener tranquillement pour voir le plancher se dégager devant nous. 
C’est chouette. 
Personne ne nous donne la main, on nous évite, on fait comme si on ne nous avait pas vus. Dom-Dom jubile. Il adore l’effet qu’on provoque. Outre les salariés très contents de nous voir, les seuls qui viennent nous saluer ce sont les directeurs de nos propres divisions, ceux qui ont à travailler avec nous. 
On reste là combien de temps? Deux heures. Deux longues heures à voir des têtes de directeurs se tourner subrepticement vers nous pour voir si on est encore là. En plus, c’est une succursale qui n’est même pas dans ma région. Le Che n’est pas avec nous, mais s’il était là, il me dirait «c’est ça le respect mon chum! Ça veut dire que t’as fait ta job comme il faut» 
C’est chouette. 
C’est moi le gros méchant loup. Je mange de la viande de directeur au petit matin. Et avec Dom-Dom avec moi, j’ai l’impression de mesurer 8 pieds de haut.

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