119 heures par semaine

Il travaille sept jours par semaine dans un resto qui appartient à son frère. Un resto de merde dans le quartier industriel de Montréal Nord. Il fait tout. Bouffe, vaisselle, nettoyage, service aux tables... tout quoi. 

Son horaire? 9h du matin à 2h du matin. 17 heures par jours, sept jours par semaine. Faites le calcul, ça donne 119 heures par semaine sur un total de 168. Autrement dit, il ne fait que ça, travailler.Ne sort pas, ne fréquente personne. Ne connait pas la ville. Encore moins la province et encore moins le pays. 

Bien sûr, c’est un immigrant. 

Mais on dit aussi esclave moderne.

J’sais pas d’où il vient.

Il est blanc. 

Il massacre le français et baragouine l’anglais. 

Il se tape un accent dans toutes les langues du monde. 

Il porte en permanence sur la tête un foulard bleu. 

C’est pour retenir ses cheveux quand il fait la bouffe. 

Mais il est chauve. 

Je ne comprends pas. Un chauve peut-il perdre des cheveux qu’il n’a pas? 

Sa seule sortie c’est quand il vient s’acheter sa petite bouteille de Brandy. 

Chaque soir. 

Tout le temps. 

Toujours. 

Il connaît toutes les collègues filles par leur prénom. 

Il aime bien Julie qui est la régulière. 

Il adore Valérie qui est jolie comme tout. 

Il craque pour Marilyn qui est Italienne et prude. 

Il fond pour Tania qui est craquante comme ce n’est même pas possible, et aussi Italienne, mais vraiment pas gossante avec ça. 

Il y avait Jessica ce soir qu’il ne connaissait pas. Il était déstabilisé. 

Fallait voir ses yeux. 

Une nouvelle! Il était heureux. Sa journée était faite. 

À moi, il me dit toujours «I body!» et ça s’arrête là. 

Je n’ai pas de problème avec ça. Même que je trouve ça parfait.  

Me gosse pas.