C’est elle qui a finalisé la chose. Rendez-vous fut donné cet après-midi au Mousse-Café. Ça faisait quelque temps que nous parlions de ce café. Quelques semaines au moins. En fait non, plus que ça. Depuis la fin de l’été, quand elle m’avait annoncé qu’elle était enceinte. Sur le coup, ça m’avait fait un petit quelque chose. Pas de la tristesse, pas de la déprime, mais juste une petite mélancolie un peu plus persistante qu’à l’habitude. Et puis dernièrement encore, en voyant des photos de ce ventre que je connais si bien devenu arrondi par la vie qui pousse dedans. Mon ex s’est en effet transformée en jardin pour encore deux mois. Elle mettra au monde une fleur quelque part en mars.
Elle était drôlement belle derrière ce gros ventre. Rayonnante et pleine de soleil dans les yeux. Quand elle a retiré son manteau, ça été comme un réflexe et sans même lui demander, j’ai aussitôt placé ma main sur son potager qui respire par en dedans. Ni surprise ni choquée par cette main impromptue que son corps connaît trop bien, elle l’a dirigée doucement vers l’endroit où sa gamine en devenir frappe du pied. J’ai alors senti un océan microscopique venir caresser ma paume par une vague venue d’un autre monde. Ça m’a chatouillé et ça m’a secoué. J’ai échappé un rire nerveux qui a fait rire mon ex et puis après, va savoir, j’avais les yeux humides. Mais ce n’était pas de la tristesse. Au contraire.
Elle m’a montré des photos de la chambre du bébé. Tout est prêt bien sûr. Le prénom aussi est choisi et elle attend impatiemment qu’il soit officiellement mis en fonction. Elle ne sera pas baptisée, ce qui est une bonne chose étant donné que toutes les religions existantes ne sont que des propagateurs de haine et d’ignorance. Mais ça m’a tout de même agréablement surpris de sa part. Finalement, j’ai été une très bonne influence pour elle. En riant, elle m’a dit «c’est toi qui m’a amené où je suis.»
- Je sais. Avant moi, tu regardais des films de cons et t’écoutais de la musique de merde.
Elle riait tout en étant d’accord. Putain c’est vrai qu’elle écoutait des trucs de cons. Mais bon, à sa défense je dois dire que le fond était déjà là, mais il lui manquait le vieil amant de 18 ans plus vieux qu’elle pour lui refiler des films de Bertrand Tavernier ou des albums de John Coltrane. Le reste, ça s’est fait tout seul je dois dire. Ma plus grande victoire fut un jour d’apprendre qu’elle était allée voir le dernier Almodovar en version originale espagnole pendant une journée de congé. Pour la politique par contre, c’était plus compliqué. À part pour Ingrid Betancourt dont nous suivions avec passion les développements concernant sa libération, le reste, elle s’en crissait pas mal. Néanmoins, elle fut un temps présidente du syndicat que nous avions monté dans cette boîte de merde où nous nous étions rencontrés et je sais que depuis, elle s’est impliquée pendant un certain temps dans son syndicat des enseignants. Mais quand même, elle fait encore partie du CA de l’AQÉSAP, association que je lui avais vivement conseillé d’adhérer à l’époque.
http://aqesap.org/qui-sommes-nous- Sur la photo, elle est facile à reconnaître. C’est celle qui a le gros bide avec un petit poisson qui nage dedans. On ne voit pas le poisson, mais on voit très bien l’aquarium. Oubliez les grosses madame à sa gauche et à sa droite, je ne suis jamais sortie avec ça. Par contre, si j’étais encore avec elle, je me méfierais du mec en bas à droite, celui avec la petite gueule de bum de bonne famille. C’est en plein son genre. En fait, si j’étais encore avec elle, et juste pour ça, je lui conseillerais d’abandonner tout ça, que cette association n’est qu’une perte de temps. Ça marchait dans le temps. Enfin, jusqu’à ce qu’elle me cocufie avec un type mou des épaules et ayant un excès de gras au niveau du cerveau. Quand tu te fais quitter pour un autre, t’espères au moins que le mec soit médecin ou Quart-arrière dans la NFL. Mais quand t’apprends que le mec est une sorte d’entité un peu molle qui hésite entre deux sexes; qui se ferait battre autant par son mari que par sa femme; qu’il a autant de charme qu’un lavabo bouché; qui dégage autant de magnétisme qu’un comptable chauve d’Amqui qui serait bègue et borgne; qui a autant de conversation qu’une côtelette de porc congelée; qu’il a le même regard pénétrant qu’une truite moulac ensemencée et nourrit au blé d’Inde; qui a la même vitalité débordante qu’une éponge de mer; qui aurait comme emblème national un lombric; qui aurait comme animal fétiche la mouche tsétsé; qu’il aurait comme seule activité culturelle celle de tourner autour de l’ampoule de patio en essayant de tasser du coude les papillons de nuit et les maringouins; qui fait encore pipi assis à 30 ans parce que personne ne lui a dit qu’il pouvait faire autrement; qui mélange encore la main droite du pied gauche; qui pue; qui est laid; qui fait caca partout et qui écrit «maman» sur le mur de sa chambre avec ses excréments (au demeurant remplis de Cherios et d’Alphabits extra sucre); qui bave en parlant; qui dit infractus au lieu d’infarctus; qui marche juste quand il est en public, mais qu’une fois rendu chez lui, il se remet à ramper parce que c’est son état normal; qui propage la peste aux rats; qui crève les ballons des enfants et qui leur dit ensuite que le père Noël n’existe pas; qui mange de la bouette parce que c’est sale; qui a toujours de la morve au nez même en juillet et que ça devient de la croute aussi dure que de la pierre; qui se frotte la bite contre les grosses madames haïtiennes dans l’autobus à l’heure de pointe; qui tue des oiseaux, comme ça, gratuitement et parce que c’est beau des oiseaux; qui s’enfonce des brocolis dans le cul qu’il ne peut plus retirer ensuite à cause de la succion et qui passe devant le docteur pour se le faire retirer en lui disant que c’est un accident, qu’il était en train de regarder dans le frigo pour trouver quelque chose à manger, mais que bon, au dernier moment, il a glissé.... enfin, bref, quand t’apprends que t’es cocu par la faute d’un mec comme ça, forcément, ça titille un peu ton orgueil. T’oses même pas te demander ce qui a passé par la tête de ta blonde. Tu veux juste crisser ton camp loin de tout ça avant de succomber à la tentation de terminer ta vie dans le fond de ton garde-robe en position foetale.
- Mais qu’est-ce que t’as pensé!!??
- J’sais pas... j’étais mélangée à cette époque.
- Pas mélangée, dérangée!
Après lui, il y en a eu un autre. Puis enfin celui-là, le semeur de potagers. Un type bien qui joue de la musique que personne n’écoute. Il donne des cours de guitare et si j’ai bien compris, il peine pour arriver. C’est correct. C’est un artiste au moins. Je l’ai déjà rencontré, c’est un bon mec. Mais elle va finir par le laisser. Il ne le sait pas. Je le sais. Avec un enfant, son manque de fric finira par tuer son aura de musicien incompris si attachant.
- Et toi?
- Quoi moi?
- T’as une blonde?
- Non. Je te l’avais dit. Après toi, c’est terminé. I rest my case. J’ai tout donné avec toi et ça n’a pas encore fonctionné. Je ne pourrai jamais donner plus à une autre. Redonner ma confiance, à me retaper une nouvelle belle famille, à planifier un avenir qui n’arrive jamais pour cause de rupture abrupte et douloureuse, non merci. C’est terminé.
Larmes ici dans ses yeux. Ben oui, c’est le temps encore! Elles sont juste en retard de six ans. La dernière fois, c’est moi qui rampais à ses pieds et c’est elle qui tirait fort pour aller rejoindre l’autre mollasson qui jouait en cachette avec son caca. Mollasson qui, faut-il le rappeler, n’existe plus aujourd’hui. Gâchis immonde.
- Tu reviendrais avec moi?
La question lui brûlait-elle les lèvres? Je ne sais pas. Elle fut lancée comme ça, entre deux silences. Elle n’impliquait pas une demande. C’était de la curiosité.
- Non. Je suis passé à autre chose. J’ai adoré ces 6 années, mais j’aurais le sentiment de perdre ma liberté.
- Tu m’en veux?
- C’est ça le problème, je ne t’en ai jamais voulu. Je t’aimais trop. Et puis j’étais trop vieux. Je le savais que ça finirait comme ça. Enfin, j’avais un doute qui me grugeait toujours le cerveau. C’était juste normal. Je n’aurais jamais dû accepter tes caresses cette soirée-là.
- Oh... !! Salaud! C’est toi qui m’a sauté dessus!
- ... Heu... ouais, c’est vrai. Mais je trouvais que c’était une belle image en racontant l’histoire comme ça.
Rires et larmes ici. Elle a dû me trouver bien vieux pendant que je la trouvais bien belle. C’est vrai que j’ai vieilli depuis elle. J’ai pas fait attention à mon aspect en allant la rencontrer. Au mieux, je m’étais juste rasé pour cacher les putains de poils blancs qui ont poussé en fou dans ma barbe depuis six ans. En fait, nous avions l’air de ce nous aurions toujours dû être, moi le mononcle cool et elle la nièce proche. Nous sommes restés là trois heures, trois heures sans fumer une seule cigarette alors que c’est son départ qui m’avait fait recommencer à fumer. J’ai roulé entre mes doigts jaunis un tas de petits sachets de sucre pour compenser. Mais ça n’a pas été si difficile dans le fond parce que par moments, et comme à la belle époque, elle partait dans ses bla-bla-bla que je n’écoutais plus et je me concentrais sur ses yeux ou sur ses seins que je regardais à la dérobée, quand son regard quittait le mien. J’ai dormi 2 190 nuits avec cette femme-là. Je l’ai vu s’habiller et se déshabiller 2 190 fois. Parfois la nuit, je me réveillais pour la regarder être belle en dormant. Le matin, quand elle partait travailler tôt, je lui demandais de me réveiller juste pour la regarder s’habiller. Je suis un tordu de la chose féminine. Pendant que le reste de la caste mâle trip et salive à regarder les filles se déshabiller, moi, mon trip, c’est de les voir à partir du moment où elles quittent le lit pour s’habiller. Il n’y a rien de plus sensuel au monde que de voir une femme se vêtir devant tes yeux. Elle t’offre ainsi sans pudeur sa nudité matinale pour ensuite se parer et se cacher pour les autres. Morceau par morceau, elle se camoufle pour toi. Bien sûr, elle en laisse un peu ici et là pour attiser les mâles du bureau, mais le soir venu, c’est toi qui ramasses à chaque fois le morceau en la retrouvant une fois de plus totalement nue dans tes bras. J’aimais ça. Ensuite, quand elle quittait pour se rendre au boulot, je me rendormais satisfait de ce que j’avais vu. J’ai profité de chaque seconde de sa présence parce que justement, j’étais plus vieux qu’elle et que quelque part, je savais que ça pouvait se terminer en un claquement de doigts. Lui, le sympathique guitariste un peu paumé par la vie et sa passion, il ne peut pas comprendre ça. Il a son âge. Pour lui, c’est juste une normalité. Mais je sais qu’avec le temps et les amants, mon ex commence à comprendre que de tous ces mecs, j’ai été le plus attentionné. Le plus amoureux. Forcément, c’est obligé! Quand on est vieux, on sait où se trouve le bonheur. On fait attention, on donne tout ce qu’on a, même des putains de bouquets de fleurs de merde qu’on sait bien que c’est de la connerie. Mais à la fin, elles nous laissent quand même. Parce que justement, on est vieux. Et puis elles finissent par regretter aussi, quand elles vieillissent à leur tour.
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