Demain je vais voir ma psy et je n’ai toujours pas fait mes devoirs. Le mot cette fois à «gérer» était frustration. Si vous ne voyez pas d’inconvénient, je vais l’exercice avec vous.
Frustration: Tableau noir des quatre vents. Conspiration bolchévique saupoudrée à la graisse d’anchois. Faites remuer à feu doux jusqu’à ébullition, reposer cinq minutes et servir. Donne quatre portions. 99% que de bon et 1% de sel. Sel de mer supérieure. Frustration intempestive des quatre vents. Vent d’ouest. Ouest que j’ai mis mon chapeau déjà? Faut parler de frustration, c’est mon devoir de ce soir sinon madame ma psy ne sera pas contente de moi. Je donne l’impression de déconner comme ça, mais je me force pour «ne pas penser à rien», comme elle me l’a demandé. C’est très difficile de ne pas penser à rien quand il faut écrire sur un mot. Forcément, on pense au mot. Sinon merde, à quoi ça sert cet exercice? Si j’écrivais en ne pensant à rien, je ne pourrais pas écrire. Je veux dire, dès que tu laisses filer les mots au bout de tes doigts, c’est que forcément, c’est le cerveau qui envoie des pensées. Hey! C’est logique il me semble. Et en plus, elle voudrait que je fasse ça à la main, sur du papier avec un vrai stylo. Et quoi encore? Une bûche de bois pour me chauffer? Courir après le mammouth pour faire mon épicerie? Très old school si vous voulez vraiment mon avis. Un crayon, je ne sais même plus à quoi ça ressemble. Enfin, si parce que la dernière fois que j’en ai vu un, c’était chez l’antiquaire et il le vendait $100. Un vieux Staedtler HB rongé du côté de la gomme à effacer. On voyait encore les marques de crocs du cancre à qui il avait appartenu. Ce qui me fait penser que j’étais moi aussi le genre d’élève à ronger mes stylos. J’aimais mâchouiller le plastique. C’est la première fois que j’en parle. Je me livre ce soir. Je fais mon coming out. C’est un témoignage très touchant dirait Véronique Cloutier aux Midis de Véro. Est-ce que ça existe encore cette émission? Cette fille là, Véro, vous ne trouvez pas qu’on la voit trop? Moi je trouve en tout cas. Et le pire c’est que je ne regarde même pas le télé. C’est vous dire comment on la voit trop. Frustration, frustration, frustration... qu’est-ce qui me frustre dans la vie? La vieille mémé ou le vieux con juste avant moi au comptoir du dépanneur et qui prend 100 ans pour acheter ses osties de billets de loterie. Ça, ça me fait chier. Autre truc qui me frustre, c’est les gens à l’épicerie qui passent à la caisse où c’est indiqué «moins de 12 articles seulement» avec leur carrosse rempli jusqu’à ras bord. Ça me fait chier que la caissière accepte de les passer. Du coup, je vais à la caisse automatique sans caissière. Je contribue ainsi à leur supprimer des emplois. C’est chiant, mais merde, je ne vais pas me battre pour une conne qui ne se bat même pas pour son propre boulot. Et puis je l’avoue, j’adore payer par carte de crédit à ce type de caisse parce qu’il faut signer son nom sur une tablette électronique et que moi, à chaque fois, et puisqu’il n’y a personne pour contre-vérifier les signatures, je signe n’importe quoi. Albert Einstein, Bobby Orr, Jakson Pollock. Ce soir, en achetant mon parmesan, j’étais Barack Obama. Yes we can de bine et yes we can de petits pois. Lesueur. Quel nom de con, Lesueur. Son ancêtre devait suer de partout, même du coude, c’est certain. Frustration, frustration, frustration... faut pas que je pense. Pense à rien. Pense à rien. Pense à rien. Pense à rien. À rien. À rien. À rien. Rien du tout. Rien du tout. Du tout. Du tout. Tout, c’est quand même beaucoup. Coup pour coup, mais bon, ça ne rime à rien. Bon j’arrête. J’en ai plein le cul. Mais voilà, on dirait que mes mains sont figées sur le clavier, que je ne peux plus arrêter. Je voudrais bien, mais je ne peux pas. L’enfer. Je vais passer toute la nuit à écrire des conneries. Bla-bla-bla, bite poile cul. C’est mon devoir de ce soir. Écrire sans penser à partir d’un mot que je dois oublier. Quel mot déjà? Fuck, j’ai oublié. Faudrait bien que je m’en rappelle pour l’oublier aussitôt sinon ça ne marchera pas. Qu’est-ce qui ne marchera pas? Ch’sais plus, ch’sais pas, je suis entraîné dans un déluge incessant de mots et de phrases. Sortez-moi de là kekun!
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