Dimanche matin. J’entends la voisine d’en haut marcher dans sa chambre. Elle fait craquer les lattes de bois juste au-dessus de ma tête. Il vient sans doute de se lever, car je la devine aller et venir entre son placard et un coin précis de sa chambre. Sans doute l’endroit où est fixé le miroir. Ça fait «crak-crak-crak» puis ça s’arrête quelques instants. Puis ça repart «crak-crak-crak». Elle habite seule et se fait très discrète. Depuis novembre dernier que j’habite ici, je ne l’ai vue qu’hier sur son balcon. Je revenais de l’épicerie d’où je m’étais acheté quelques légumes pour me donner bonne conscience. J’ai remarqué qu’elle était rousse, mais je ne sais pas si c’est sa vraie couleur de cheveux. En trois secondes, je n’ai pas trouvé la manière de lui demander. Me semblait assez mignonne en tout cas. Une trentaine d’années tout au plus. Elle agrémente son balcon avec des fleurs qu’elle arrose de temps en temps. Parfois, elle est un peu généreuse dans ses quantités et l’eau dégouline jusqu’à sur mon balcon.
Tiens, voilà que les pas se font plus lourds maintenant. Je crois qu’elle vient d’enfiler ses chaussures. Pourquoi faire? Pourquoi pas des pantoufles? Doit-elle sortir un dimanche matin? Un brunch peut-être? Mais avec qui?
L’autre matin, c’était l’hiver dernier, je l’ai distinctement entendue émettre des «aaahh» et des «mmmhh» qui ne laissaient pas grand-chose à l’imagination. Pourtant elle habite seule et je n’entendais pas le lit craquer. Et juste au-dessus de ma tête encore! Coquine va!
Y a des tas de belles filles qui habitent sur ma rue. À deux maisons de la mienne par exemple, il y a cette blonde qui promène toujours son chien après le boulot. Tous les enfants du quartier n’en ont que pour le chien tandis que tous les papas du quartier n’en ont que pour la promeneuse du chien. Une vraie blonde dont le sourire ne fait pas de discrimination entre un gros et un maigre, entre un moche et un beau, entre un jeune et un vieux. Tous ont droit à son éclatant sourire qu’elle répand dans la ruelle comme une semence printanière. (J’sais pas trop ce que ça veut dire, mais ça me paraissait joli) Nous sommes tous égaux devant son sourire et franchement, juste pour ça, le gouvernement devrait lui décerner une pension à vie pour service rendu à la communauté. Être une belle fille qui promène son chien, c’est bien, mais être une belle fille qui promène son chien et qui, en plus, sourit à tout le monde, c’est mieux. Surtout l’automne, quand il commence à faire gris et froid. Combien de suicides a-t-elle empêchés juste en souriant à celui-ci ou à celui-là? Ce sont des choses comme ça qui font toute la différence entre un début de journée moche et un début de journée parfait. Si j’étais premier ministre, je reprendrais l’idée pour en faire un programme social des plus enrichissants. J’embaucherais en effet toutes les belles filles du pays et je leur offrirai un boulot comme ça. Je les éparpillerais aux quatre coins du pays, leur fournirais le chien et leur unique tâche serait de se lever plus tôt que tout le monde pour aller promener le toutou dans les ruelles du pays en souriant aux voisins. Idem en fin d’après-midi lorsque la société revient du travail. Ainsi, matin et soir, mes concitoyens seraient heureux au moins deux fois par jour. Je me demande ce qu’on attend pour mettre en oeuvre des programmes comme ceux-là. Mais que fait donc le gouvernement?
Malheureusement, elle habite avec un type qui semble l’aimer et je crois que c’est réciproque. Par contre, la présence du chien dans sa vie me dit que tout n’est pas parfait. Sinon merde, pourquoi donner autant d’affection à un stupide chien? Doit bien y avoir quelque chose qui cloche dans leur couple. J’ai demandé au chien l’autre matin alors qu’il s’était échappé momentanément de la supervision de sa belle promeneuse. «Dis-moi chien-chien, il doit bien y avoir un truc chez ton papa qui fatigue ta maitresse non? C’est quoi qui ne marche pas entre eux? Y pet au lit, c’est ça?» Le chien, pas con, s’est mis à se gratter le cul sur la pelouse en se traînant avec les pattes de devant, manière de me faire savoir qu’il ne dirait rien. Mais je n’ai pas lâché le morceau pour si peu. «Allez quoi, dis-moi au moins si elle porte de la fine lingerie le vendredi soir? Rouge ou noire sa petite culotte?» N’a pas répondu et m’a tourné le dos comme tous les bâtards de son genre, me laissant seul avec cette angoissante question.
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