vendredi 3 décembre 2010

Vik Muniz et Ingrid


Je reviens du cinéma où j’ai vu ce film : http://www.wastelandmovie.com/ Un documentaire d’une touchante beauté sur la vie. L’artiste Vik Muniz ( http://www.vikmuniz.net ) va passer deux ans à Gramacho, la plus grande décharge municipale de la planète située près de Rio de Janeiro au Brésil pour y réaliser des oeuvres à partir des déchets qui s’y trouvent. Dans cette ville-poubelle, des gens vivent dans les plus sordides conditions qu’on puisse imaginer. Leur travail consiste à récupérer parmi les immondices les matériaux recyclables qu’ils revendront à des entreprises. Ils sont tout en bas dans la grande échelle des classes sociales. Ils occupent un emploi qui leur permet de gagner juste de quoi manger. Ils sont les damnés du système capitaliste. Et pourtant, ils sont fiers et jamais le réalisateur ne sombre dans le misérabilisme gratuit.

Vik Muniz s’y rend dans le but d’apporter son soutien à la petite association de recycleurs dirigé par Tiao, un jeune et courageux rêveur. Son travail consistera à rendre hommage à ces gens en reconstituant leur portrait à partir d’immondices et de vendre sur le marché de l’art les photos tirées de cette création éphémère en leur versant la totalité des recettes. Mais ce faisant, Muniz changera aussi à jamais la vie de ces gens qui deviennent du jour au lendemain immortalisés dans ses oeuvres. Il faut voir leur fierté quand ils sont littéralement mitraillés par les flashs de caméras de la presse lors du vernissage officiel au musée. Les gains obtenus par les ventes dépasseront les 250 000 $.

Un passage m’a particulièrement touché. Quand il est question des livres qu’on trouve dans la décharge. Il y a deux mentalités chez les recycleurs. Ceux qui sautent dessus et qui arrachent les pages pour en récupérer le papier et ceux qui, comme Tiao et Zumbi ( http://www.wastelandmovie.com/catadores.html ) les récupèrent dans le but de constituer une bibliothèque pour la petite commune plantée dans la décharge.

Tiao (de mémoire) - Un jour, j’ai trouvé Le Prince de Machiavel dans les déchets. Il était recouvert de boue. Je l’ai fait sécher pendant quelques jours et je me suis mis ensuite à le lire une fois qu’il fut sec. Ce que Machiavel décrit sur les princes et les royaumes m’a fait penser à Rio. Ici aussi la ville est partagée en plusieurs territoires dirigés par des gangs et ça m’a aidé pour créer cette association.


J’étais avez M... C’est elle qui m’a proposé ce film. Je devais la rejoindre pour 20h au coin de St-Laurent et Villeneuve où elle suit ses cours de yoga extrême. Si si, yoga extrême. C’est du yoga mais extrême. Du genre on prend des positions impossibles pour libérer les tensions dans le dos, dans les jambes, dans les articulations et finalement à peu près partout sur le corps quand on y pense. Elle revient toujours de là cassée en deux et je me demande bien pourquoi elle paie une fortune pour ça. Moi, ça ne me coûte que 10$ par partie de hockey et je sors toujours de là cassé en mille, mais au moins heureux d’avoir marqué quelques buts.

Sont drôles les filles parfois.

Comme nous avions un peu de temps devant nous, nous avons été prendre une bière dans un bar juste en face du cinoche. Manque de pot pour M... il y avait à peu près 3 000 écrans. Et sur ces écrans, il y avait le match de hockey. Malgré ses efforts remarquables pour trouver deux places qui ne donnaient pas sur un écran, ce fut peine perdue. J’ai pu voir Gomez et Pouliot marquer leur but pendant qu’elle me parlait de... de... heu...


- Meeerde! Tu ne m’écoutes pas!

- C’est faux. Je t’écoute, mais je ne te regarde pas. Ce n’est pas la même chose. C’est un peu mon yoga extrême à moi. Ça libère mes tensions au niveau du dos. Je dois me forcer pour ne pas te regarder. Tu crois que c’est facile pour moi d’être obligé de garder mes yeux sur Pouliot ou Gomez alors que t’es tellement belle! Franchement, tu ne sais pas le sacrifice que ça demande.

C’est même pas vrai. J’ai même pas dit ça. Même que cette conversation ne s’est pas déroulée de cette manière. Mais ça m’a inspiré ce petit dialogue. En fait, j’étais drôlement fatigué et je n’ai pas beaucoup parlé. J’écoutais surtout. Mes deux dernières journées au boulot m’ont tapé dans le cerveau. J’avais un peu oublié ce que ça faisait sur le système que de faire 20 heures en deux jours. J’ai dû soulever quelque chose comme 308 765 caisses de vin, préparation du temps des Fêtes oblige. Je n’étais pas vraiment le compagnon idéal ce soir. Mais heureusement, c’est elle qui avait besoin de parler et ça tombait bien. J’avais besoin de ne pas parler. La vie fait bien les choses parfois.


- Tu travailles demain?

- Oui mais pas le matin. J’ai pris off jusqu’à 16h.

- Ah bon? Pourquoi?

- Il y a Ingrid Betancourt qui dédicacera son livre chez Renaud Bray. J’y vais.

Ça l’a un peu surprise. «T’es le genre à faire signer tes bouquins toi?» Pas toujours, que je lui ai répondu. En fait, ça sera la troisième fois. La première, c’était pour Enki Billal. Ensuite, pour Brian Mulroney.


- Brian Mulroney????


Ça l’a un peu surprise. « Jamais, au grand jamais je n’aurais le moindre intérêt à faire la file pendant une heure pour faire signer Brian Mulroney! C’est quoi l’idée??» J’ai dû lui expliquer que ça c’était fait un peu par hasard. J’allais chez Renaud Bray ce jour-là et j’ai vu que l’ancien Premier Ministre du Canada allait dédicacer ses mémoires. Je m’étais dit que ça serait cool de rencontrer un Premier Ministre. Je suis donc entré, j’ai pris un bouquin et je me suis mis dans la file. Ça aurait été Tartanpion ou Truc Muche que je n’aurais pas fait autrement. C’était juste pour passer le temps. Mais j’ai déjà tout expliqué ça dans ce blog il me semble. Ça doit bien faire deux ans de ça.

Ce que je n’ai pas dit à M... et que je ne dirai à personne d’ailleurs, c’est que j’ai passé une partie de la journée à écrire un petit mot à madame Betancourt et que je compte bien lui donner demain. En fait, c’est un dessin de moi en train de lui donner des fleurs et je suis encadré par un texte qui dit que nous étions des milliers d’anonymes à avoir souvent pensé à elle pendant ces six années passées dans la jungle. C’est extrêmement maladroit comme petit mot, mais je n’arrivais pas à trouver le ton juste. En fait, je voulais lui écrire ce que j’aurais aimé lui dire pendant qu’elle était là-bas. Qu’elle sache que des tas de gens comme moi avaient été touchés par son drame et que même si nous ne la connaissions pas personnellement, nous espérions très fort qu’elle soit encore en vie et qu’elle puisse revoir ses enfants un jour. Je n’ai pas été foutu de lui expliquer qu’il m’arrivait souvent de penser à elle surtout quand mon ex me parlait. Elle avait en effet beaucoup de «jasette» et quand elle commençait à me raconter sa journée, elle pouvait y passer toute la soirée. Je restais là, lui donnant du «mmh mmh» par paquets de douze question de lui montrer que j’écoutais et je laissais mon esprit vagabonder. Dans ces moments, je pensais souvent à Ingrid Betancourt en me disant que ça faisait maintenant deux ans, trois ans, quatre ans qu’elle survivait dans cette maudite jungle et que cet enfer devait être épouvantable. J’essayais de m’imaginer son quotidien, ses espoirs, ses désespoirs... plus je lisais sur elle, plus elle m’épatait. Sa force de caractère, ses combats, sa détermination...

Je constate qu’il m’est tout aussi difficile d’exprimer ici ce que je ressens pour elle. En gros, ce que j’aurais aimé lui dire, c’est que nous avons été des milliers qui auraient aimé la réconforter pendant ces durs moments. Comme nous l’aurions fait pour une amie, une cousine ou une soeur. Ce qu’elle est de toute manière. Ce que nous sommes tous l’un pour l’autre de toute façon. Nous sommes tous des frères humains et la souffrance d’un frère nous atteint toujours.

Enfin, quelque chose comme ça. Je n’ai pas les mots ce soir. Comme je ne les avais pas cet après-midi en lui écrivant. À la place, j’ai dessiné. Mais même mon dessin n’était pas satisfaisant.

Je n’ai pas terminé son livre. Je le déguste petit à petit, un peu comme j’avais fait pour le dernier roman de Danny Lafferière. Si tu lis trop vite, tu restes après la lecture avec un petit deuil parce que justement, c’est terminé. Quand elle souligne des dates dans son récit, je tente de me rappeler où j’étais et ce que je faisais à ce moment-là. Quand par exemple elle parle de ces journées moins tristes que les autres sans qu’elle ne puisse expliquer pourquoi, j’aime à me dire que c’est peut-être grâce à nous, les milliers d’anonymes qui pensaient à elle au même moment. Peut-être que nos milliers de pensées regroupées...

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