Matin ensoleillé à Repentigny. Je me lève au son des tondeuses à gazon qui se répondent en échos. On dirait qu’il y en a mille. Par moments, on arrive tout de même à entendre le bruit du vent dans les feuillages. Je suis sur la terrasse arrière de la maison de mes parents.
Je suis pour les prochaines semaines un SDF.
J’ai vidé mon logement hier et parqué mes effets dans un entrepôt. L’autre logement, celui que je vais occuper, ne sera pas disponible avant l’automne. Un beau logement de 4 pièces sur le plateau, pas cher du tout et ayant un sous-sol où je pourrai faire un atelier.
Ou une chambre.
Ou un salon.
C’est selon.
Le deal c’était ça : attendre quelques semaines ou le regarder me passer sous le nez. J’ai préféré signer le bail et improviser mes déplacements pour les prochaines semaines.
Ce qui fait que ce matin donc, je me suis fait réveiller par le chant des tondeuses parce que j’ai passé la nuit à Repentigny, chez mes parents qui sont absents pour la fin de semaine.
Je me questionne beaucoup depuis les derniers mois sur le volet matériel de ma vie. De ces objets inutiles que je garde d’année en année uniquement parce qu’ils ont une valeur «émotive». Je n’ai presque rien et pourtant hier, pendant le déménagement, je trouvais que j’en avais encore trop. J’ai laissé des tas de trucs à l’église du coin qui organise régulièrement des ventes symboliques de meubles et d’objets divers pour les «démunis» du quartier. Et Dieu sait que dans Hochelaga, ça ne manque pas de démunis. Même que c’est la ressource première du quartier. Et ai-je besoin de le dire: ressource renouvelable. La liste des effets laissés est exhaustive et il me serait impossible d’en faire ici la nomenclature. Disons cependant que j’ai laissé suffisamment de trucs pour meubler au moins un salon, télé incluse.
Ce qui me reste dort maintenant dans un local d’entreposage qui fait 10 pieds par 10 pieds. Et encore. Je peux confirmer qu’une large partie de ce petit entrepôt est occupée par des livres et les bibliothèques qui vont avec. Autrement dit, en retirant ces dizaines de cartons contenant ces bouquins, en retirant les bibliothèques, l’espace ainsi créé ferait un grand trou dans ma quotidienneté matérielle.
Et pourtant, je trouve que j’ai encore trop d’effets.
Je me questionne beaucoup sur ce besoin d’accumuler des choses que l’on croit essentielles, mais qui deviennent dès le jour 2 des choses inutiles. J’ai à cet effet de la vaisselle à plus savoir où en chier. J’en ai balancé pourtant tout au long de mes trois années passées là, mais hier, pendant le déménagement, l’on aurait dit que ce que j’avais gardé après de longues séances de tri (Ça c’est pour moi, ça c’est pour les démunis. Ça c’est pour moi, ça c’est pour les démunis. Ça c’est pour moi, etc) s’était multiplié en secret pendant leur court passage dans les boîtes de carton. Les assiettes ont copulé avec les assiettes, les fourchettes avec les fourchettes, les tasses à café avec les tasses à café et au matin du déménagement, ce qui ne prenait que quatre ou cinq boîtes il y a quelques jours en prenait maintenant des dizaines. Même chose pour le linge sale. Ça tenait dans un sac de poubelles la veille et le lendemain, le sac avait fait des petits. Même chose pour les oreillers, les coussins, les vêtements d’hiver et j’en passe et j’en passe. Ça s’accumule à mon insu et j’ai beau aller deux fois par année à l’église du quartier pour tout balancer, j’en aurai le double la semaine suivant mon dernier déchargement pour démunis.
Il y a du mystère là-dedans et je n’arrive pas à comprendre la mécanique de l’accumulation de biens. Cela m’a fait penser à ce poème de ce type dont j’ai oublié le nom, mais qui est un Rom. De mémoire, ça irait à peu près comme suit:
La neige
Le vent
La pluie
Et pourtant, ils trouvent que ce n’est pas assez.
Tout ça pour dire que je suis maintenant officiellement un SDF de luxe, possédant une voiture et un chalet et l’accumulation épurée de toute une vie qui dort dans un entrepôt qui fait dix pieds par dix pieds.
Et j’en ai déjà trop.
L’idée serait de devenir moi-même un démuni, mais encore là, il y aurait l’église du quartier où je pourrais me procurer des biens ayant appartenu à des donateurs anonymes. Du coup, et me connaissant, je me mettrais à accumuler ces biens et avant six mois, je passerais du stade de démuni à celui de muni.
On ne s’en sort pas.