mercredi 19 mai 2010

Nous, les gardiens de but.

J’espère qu’on ne va pas crucifier Halak pour le troisième but de la partie de ce soir. J’espère qu’on ne va pas le blâmer pour la défaite. J’espère qu’on ne va pas commencer à douter de son talent.

Le boulot de gardien de but est sans doute le plus difficile dans le hockey. Tu n’as pas le droit à la moindre erreur, sinon c’est le but. Un gardien de but, c’est un pompier. Il est là pour éteindre les feux que ses coéquipiers ont allumés. Le moindre lancer au but est le résultat d’une erreur commise par l’un des joueurs d’avant. Si tu reçois 30 lancers un soir, c’est qu’au moins 30 erreurs se sont produites dans la même soirée. Sur ces 30 erreurs, il arrive parfois qu’on (les «experts») accuse un ou deux joueurs. Guère plus. Mais si le gardien laisse entrer un seul mauvais but (donc, une seule erreur), automatiquement, les «experts» (dont 99% d’entre eux n’ont jamais connu l’expérience terrifiante de manger des garnottes dans le front) s’acharneront à démontrer que le gardien «aurait dû faire l’arrêt». Comme si justement, le gardien avait tout bonnement décidé que «sur ce tir là, ben mon vieux, je prends ça relax et je la laisse rentrer.»

Bande d’ostie d’cons!

Jusqu’à l’âge de 18 ans, j’ai eu l’honneur de manger des garnottes dans le front, dans le ventre, sur les bras, sur les épaules et même dans les couilles une fois. Une rondelle qui voyage à plus de 180km\h, quand ça te touche, et même si tu es protégé, ça fait mal! Juste pour se donner une idée, la douleur d’une rondelle qui te frappe à un endroit où la protection est déficiente est comparable à celle d’un bon coup de bâton qu’on se ferait asséner à deux mains. Quand ça touche un os, tu multiplies la douleur par 10. Le soir quand tu te couches, ça fait encore mal. Le lendemain aussi et bien souvent ça commence à ne s’apaiser après le troisième jour. Maintenant, sachant que ceux qui jouent professionnel représentent la crème de la crème, je ne peux même pas imaginer ce que les Halak, Fleury, Brodeur et autres Miller de ce monde doivent endurer jour après jour après jour. Car la meilleure manière de bloquer un tir c’est justement de te laisser frapper par la rondelle. En fait, il n’en existe pas d’autres. Or, le cerveau humain n’est pas programmé pour rechercher la douleur. Au contraire, il te poussera à l’éviter à tout prix. Pourtant, quand tu es gardien de but, la recherche de la douleur, c’est exactement ce que tu dois ordonner à ton corps malgré les appels de détresse que ne cesse de t’envoyer ton cerveau. Sortir de ton filet de quelques pieds pour «défier le tir» tout en sachant que ça risque de te faire très très très mal (autrement dit, foncer vers la douleur), c’est contraire à la logique et tu dois pendant des années «déprogrammer» ton cerveau pour qu’il finisse par accepter instinctivement une action symboliquement suicidaire.

Ce que je tente de dire, c’est que c’est facile de blâmer un gardien de but quand on a jamais été gardien de but, quand on a jamais mangé une puck sur la gueule, sur la clavicule, sur une couille. Facile de dire que le gardien a été faible quand on n’a aucune idée du travail de fou, pour ne pas dire masochiste, que ça prend pour ordonner à son corps de se laisser frapper par une rondelle soir après soir. Juste pour le plaisir de la chose, dites à un ami de vous frapper de toutes ses forces sur la clavicule avec un manche à balai. Essayez ensuite de programmer votre cerveau pour qu’il accepte de trouver ça tout à fait logique et conforme avec sa composition structurelle et répétez l’exercice une vingtaine de fois dans l’année, soit à peu près le même nombre de fois où un gardien de but moyen se fera toucher douloureusement pendant une saison et vous aurez une bonne idée de ce que peut être le curieux métier de gardien de but. Et la prochaine fois que vous en verrez un figer sur un lancer, dites-vous bien que c’est normal parce que cette fois-là, son cerveau aura juste réagi comme le vôtre devant une menace de douleur potentielle. Ce qui n’est pas normal, ce sont toutes les autres fois où le type masqué s’est avancé comme un suicidaire vers le marchand de douleur pour (comme dirait l’imbécile de Benoît Brunet) effectuer un arrêt de routine.


Voilà. C’est dit. Et ne venez plus jamais me faire chier en blâmant un gardien de but. Seuls les anciens gardiens de but ont le droit de critiquer un gardien de but. C’est une confrérie sacrée dont vous êtes totalement exclus. On s’est tellement fait chier à prendre la douleur et le blâme pour les autres qu’on se donne ce droit inaliénable. (Michel, je lève ma bière à ta santé, mon frère de garnottes dans l'front!)


Vive nous! Les présents et anciens gardiens de but!

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