Il faisait beau cette dernière fin de semaine. Je suis passé au chalet et pendant la journée de samedi, j’en ai même profité pour ramasser les épines tombées des grands pins que j’ai sur mon terrain. Pas beaucoup, juste une petite partie parce que bon, faut quand même pas se tuer à l’ouvrage. Je me suis contenté de faire le devant du chalet, question de montrer à mes voisins que je sais faire ça moi aussi. Je sais que je suis jugé par eux et que ma cote en tant que nouveau propriétaire campagnard n’est pas très haute. Avec mes cheveux longs, ma barbe de sept jours que je garde mystérieusement à l’année, mes baskets en toile et ma musique exotique qui contraste avec la leur, je n’ai pas la saveur du mois à St-Zénon. Ni même celle du siècle à bien y penser. Pour eux ,je suis quelque chose qui bouge, qui respire et qui vient surtout de Montréal, cette Sodome et Gomorrhe des temps modernes. Et quand parfois j’ose m’exposer à l’extérieur l’été en faisant cuir sur le feu mes merguez à l’agneau plutôt que les fameuses côtelettes de porc réglementaires et ce, tout en écoutant très fort Rachid Taha, je les devine derrière leurs persiennes protectrices et catholiques m’envoyer un poing rageur en hurlant : «Brûle en enfer suppôt de Satan!»
On est jamais loin de Hérouxville dès qu’on sort un peu de Montréal.
Je ne dis pas qu’on ne m’aime pas puisque je me montre toujours affable avec eux et toujours généreux dans les conversations, mais je dirais qu’on analyse encore très sérieusement mes comportements et qu’on en est toujours pas très certain des résultats. Il faut dire que je leur donne beaucoup de matières à réflexion. Comme par exemple le premier locataire de mon chalet l’été dernier, un pote à moi et qui se trouve sans faire exprès à être un black de Montréal Nord qui ne se levait jamais le matin sans faire ses exercices de Kung Fu sur le bout du quai (avec sabre de combat s’il vous plaît!). Il est ainsi facile d’imaginer la lourde pente à remonter si d’aventure j’aspirais un jour à avoir une bonne place dans le comité des propriétaires associés du lac Forest. À cet effet, la petite histoire de la région écrite sur de vieux manuscrits et conservée dans les voûtes de la petite église du village raconte que le dernier noir qu’on avait vu à St-Zénon avant que j’exhibe le mien, on l’avait pendu haut et court à la branche du premier érable qu’on avait trouvé avant d’ériger une grande croix en bois qu’on avait ensuite brûlée pour souligner l’événement selon les sympathiques coutumes de l’époque. Enfin, c’est du moins ce qu’on raconte chez les adeptes de 4 roues que l’on croise par paquets de 12 chez le dispensaire d’essence de la région, le célébrissime monsieur Harnois.
Eux, mes voisins, leurs terrains ils sont déjà tout propres et tout nettoyés. Je ne sais pas comment ils font. Faut dire qu’ils y habitent à l’année et qu’ils n’ont que ça à faire. Ça doit aider un peu.
Mon voisin de droite, c’est lui le pire de tous. Son terrain est toujours propre, même à l’automne quand les feuilles tombent dessus. À croire qu’il en veut personnellement à chacune de ces feuilles. Je l’imagine très bien derrière sa grande fenêtre patio à attendre du matin au soir qu’elles ne tombent pour aller sans perdre de temps les souffler avec son souffleur à feuilles électriques jusqu’à son emplacement de feu de camp. Il brûle tout, même ses déchets domestiques. Même le plastique. Côté environnementaliste, et même si son terrain est super propre, disons que ce n’est pas lui qui se mériterait la médaille d’honneur de Green Peace. Le soir, comme samedi dernier par exemple, il sort un peu après le coucher du soleil et il en profite pour brûler quelques bûches avant d’y balancer quelques petits sacs de plastique remplis de déchets qu’il regarde ensuite se consumer dans de jolies flammes bleues et vertes tout en buvant une bière. L’odeur qui s’en dégage est pestilentielle, mais ça semble le rendre heureux. Il reste là des heures, zen, contemplatif, pendant que sa femme reste en dedans, mourant doucement et douloureusement de la sclérose en plaques.
Je doute qu’il soit véritablement heureux, même si son Westphalia est équipé d’un monte-charge adapté pour les personnes en fauteuil roulant.
Mon voisin de gauche est moins pire, quoique soucieux de ces petites choses qu’il voit et qui l’énervent. Comme mon terrain arrière par exemple, que je laisse totalement à l’abandon pendant tout l’été. Rien à foutre de tondre de la pelouse dans des endroits où personne ne va, sauf les petites bêtes la nuit quand tout le monde dort et qui ne dérangent personne quand on y pense bien comme il faut. Et puis de la pelouse qui devient du foin en juillet, moi je trouve ça beau. Pas lui et il m’en a glissé un mot samedi dernier. Pas méchant, mais subtile, en me disant que mon oncle, celui de qui j’ai acheté le chalet justement, ne s’occupait plus de son terrain les dernières années et que c’était bien dommage pour les petits cèdres qui se faisaient littéralement bouffer par mon foin galopant. J’opinais du chapeau, affirmatif devant son grand exposé à la gloire de la tondeuse à gazon et aux terrains tout propres. Mais intérieurement, je me disais que si un jour je devenais comme ça à son âge, j’obligerais ma fille à m’abattre froidement d’une balle dans la nuque, comme les Chinois quand on ose défier l’ordre public pendant les grèves étudiantes.
Je ne me souviens pas de son nom et ça m’énerve parce que lui se souvient du mien. J’ai toujours la frousse que nos conversations ne m’obligent à l’interpeler par son prénom. Il faudrait que je demande à mon oncle mais je me vois mal lui téléphoner uniquement pour cette raison.
Il porte au cou une grosse croix en bois attachée par un lacet de cuir et sur sa tête, de longs cheveux gris qu’il attache méticuleusement pour faire plus propre j’imagine. On dit de lui que c’est un ancien motard repenti et qu’il ne consomme plus d’alcool ni drogue depuis 25 ans, depuis son arrivée dans ce chalet en fait. Il a un chien, gros et noir, mais pas méchant du tout et qui se contente, pour toute activité que de japper quelques fois ou encore de faire caca douloureusement. Car c’est un fait évident que ce chien là, quand il chie, il ne prend pas son pied comme moi le matin quand je lis La Presse, surtout Foglia. À la manière dont il pointe son museau au ciel en donnant l’impression d’implorer la grâce des dieux tout en plissant ses yeux larmoyants de pauvre bête dès lors qu’il doit accomplir son besoin, on devine facilement que l’exercice est pour lui une souffrance impossible à vivre. Quelque chose comme l’accouchement quotidien par l’anus d’une collection de lames de rasoir. Et même sa merde a quelque chose de pas normal. Genre radio-actif ou je ne sais pas quoi. Mais en tout cas, ça fait de la lumière dans la nuit sans lune et que ça émet des sons aigus quand on s’en approche. Et puis ça fait fuir les ratons laveurs qui daignent se promener dans mon foin du mois de juillet et c’est bien dommage parce que moi, et contrairement à mes voisins, j’aime bien quand les ratons laveurs viennent bouffer dans mes poubelles.
J’aime les ratons laveurs. Surtout quand ils viennent manger mes restants de merguez à l’agneau. Je me sens proche d’eux et je les soupçonne même d’être un brin musulmans. Même que je sais pour l’avoir entendu de la bouche de mon ami black de St-Léonard que ce n’est pas de sa faute, qu’ils sont même venus manger ses restants à lui. Qu’ils n’ont pas fait de cas que les restants en question étaient de la bouffe créole et que le riz était un peu épicé. Ce qui me fait dire que les citoyens les plus ouverts de St-Zénon et du reste du Québec sont d’abord et avant tout les ratons laveurs parce qu’ils s’en foutent de manger halal ou casher, que ce soit du porc ou de l’agneau à condition que ce fût cuit avec passion et amour.
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