vendredi 9 octobre 2009

Le même jour.

Je suis au centre-ville et j'attends le feu vert. À ma gauche, un vieillard couché sur le trottoir, peinard, les bras repliés derrière la tête, les jambes croisés comme s'il est dans un lit confortable. Un ambulancier tente de le convaincre de le suivre. Ce dernier a des gants de caoutchouc.
Bleu les gants.
Comme le ciel.
Le vieillard ne veut rien savoir, préférant rester allongé sur le ciment froid de la ville. Pour protester, il se recroqueville sur lui même, mimant théâtralement les gestes que l'on fait quand on se couche dans un lit, la tête sur ses bras repliés qui lui servent d'oreiller.
L'ambulancier, décontenancé, regarde autour de lui, cherchant sans doute quelqu'un ou quelque chose qui pourrait l'aider à trouver une solution.
Il n'y a personne. Ou alors juste une foule de badauds. Ce qui revient au même.
Le vieillard, cabotin jusqu'au bout, va jusqu'à faire semblant ronfler.
Le type aux gants de caoutchouc ne sait pas quoi faire. Il demande de l'aide dans son walkie-talkie.
Drôle de boulot.
À sa manière, le vieillard était soudainement plus puissant que les plus puissants, faisant de ce trottoir son lit et de cette métropole sa chambre à coucher.

***

Le même jour, je tombe sur une photo de Barack Obama où on le voit, juché sur une caisse de bois, s'adresser à un public réuni dans un gymnase d'une école. C'est une photo qui date de sa campagne à la candidature démocrate. Je fige devant l'image, sachant que tout comme l'homme qu'elle dévoile, elle fera l'histoire. Il m'arrive souvent de me dire que j'ai la chance de vivre à la même époque que cet homme. Après 8 années pénibles du régime W. Bush, je prends le temps de savourer mon époque à travers ses mots, ses idées, sa présence. J'aime ce type. Profondément. Il me réconcilie avec l'idée que j'ai de la chose Politique. C'est un homme d'État. Un vrai. En même temps, je sais qu'il est tellement seul. Il me fait penser à Atlas, portant la planète sur ses épaules. J'ai presque le même âge que lui. Il est de ma génération, de mon temps, des mes aspirations. Quand je pense à ça, je suis fier. Je suis un Obama mater.

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Le même jour sur St-Denis, j'ai vu un clochard pisser dans la rue à l'heure de pointe. Pour plus de pudeur, il faisait dos au trottoir mais face à la rue, arrosant les pneus des voitures qui tentaient de l'éviter.
Il sifflait la Marseillaise en même temps.
Il était heureux.

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Le même jour, je reçois dans mon courriel un message de mâdâme Claire qui dit qu'elle vient de faire une super soupe de courges gingembre poivré qu'elle tarde de me faire goûter. Elle me laisse le choix du vin. Je réalise en même temps que j'ai soudainement quelqu'un dans ma vie qui pense à moi quand elle fait une soupe. Cette idée me trouble de bonheur. J'avais oublié l'effet que produit ces petites choses simples de la vie.

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Encore le même jour, trois gamins turbulents sortent du métro Berri au coin de St-Denis. Ils n'ont pas plus de 12 ans. Blonds tous les trois, chamailleurs, grandes gueules, effrontés, mais avec ce petit quelque chose de sympathique qui rappelait les personnages des 400 coups de François Truffaut. Arrivés près des escaliers de l'UQUAM, je les vois qui balancent leur cartable et leur sac à dos sur le trottoir. L'un d'eux retire son blouson et l'étend comme un drap devant lui. Ils s'assoient tous les trois derrière le blouson, le cul sur le ciment, sortent chacun une flute à bec et se mettent à jouer maladroitement des trucs comme Frère Jacques et autres petites choses que l'on apprenais en Secondaire 1 dans ces cours d'initiation à la musique. Je reste là un moment, amusé par le manège. Des gens passent avec le sourire aux lèvres. Les pièces de monnaie pleuvent dans le blouson étendu. Des touristes prennent quelques photos avant de lancer eux aussi leur aumône. Impassibles, les trois gamins massacrent les chansonnettes populaires les unes à la suite des autres. 15 minutes plus tard, et jugeant que le compte est bon, ils rangent leurs flûtes et reprennent leur sac à dos. Ils vont vers le dépanneur le plus proche, arrêtent un mendiant du quartier, discutent quelques secondes avec lui avant de lui remettre une poignée de petite monnaie. Le mendiants entre dans le dépanneur et en ressort deux minutes plus tard avec deux paquets de cigarettes. Un pour lui, et l'autre pour les gamins. Sa commission faite, le mendiant s'en va de son côté avec son paquet de clopes en remerciant les trois gamins. Ceux-ci le regardent à peine, ouvrent le paquet, se partagent entre eux les clopes, s'en allument chacun une et se remettent à marcher en reprenant leur chamaillade. Au-dessus de leurs têtes blondes, des feuilles multicolores qui feutraient divinement les rayons du ciel. Sans le savoir, et malgré leur petite dégaine de voyous sympathiques, ils n'avaient faits que des heureux autour d'eux.

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Le même jour, j'en suis arrivé à me dire que ce fut une belle journée. Parfaite. Il devait pleuvoir mais il a fait soleil. Il devait faire froid mais il a fait chaud. J'ai vu des pièces de théâtre de la vie, j'ai vu du bonheur partout, une soupe aux courges m'attendait chez une belle femme. Barack Obama était toujours le président tandis que Bush était toujours à la retraite. J'ai vu des sourires dans des situations les plus loufoques. Des enfants utilisaient leur enseignement pour se faire du fric et pour faire la joie des passants et des clochards. Des êtres humains dépossédés pissaient sur les pneus des voitures appartenant à des possédants.

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Et puis le même jour, la police découvre dans un boisé de Pointes-aux-Trembles le cadavre de Natasha Cournoyer.

1 commentaire:

M.B. a dit…

Merci, pour ce tour d'horizon de la quotidienneté, que l'on a tendance à ne pas voir. J'ai beaucoup apprécié et le style est limpide.

Mouloudji