jeudi 22 octobre 2009

Kovalchuk

Au Mousse-Café l'autre soir, un gamin tout blond d'environ dix ans est venu regarder la partie de hockey avec sa mère. C'était peut-être sa sœur à bien y penser. Ou bien sa tante. Ou encore sa voisine. Ou alors l'amie de sa mère. Bref, je ne sais pas mais disons qu'ils semblaient proches tous les deux. Assez pour que par moments le gamin donne quelques câlins rapides et discrets à sa mère (Ou sa sœur, ou sa tante, ou sa voisine, ou l'amie de sa mère). Mais quand sa mère (Ou sa sœur, ou sa tante, ou sa voisine, ou l'amie de sa mère) voulait en faire autant ((mais avec plus d'intensité parce que bon, les mères (Ou les sœurs, ou les tantes, ou les voisines, ou les amies de nos mères) sont toutes pareilles)) il se dégageait un peu orgueilleusement pour ne pas montrer sa condition de p'tit cul aux clients rassemblés.
Ils sont arrivés un peu avant le début du match et se sont attablés près du mur de gauche, tout près de l'écran géant parce que c'était la seule place encore disponible. Le gamin avait avec lui un gros cartable à anneaux décoré des logos de quelques équipes de hockey qu'il a déposé sur la table. À l'intérieur, il y avait une impressionnante collection de cartes de hockey qu'il s'est mis aussitôt à feuilleter. Quant à sa mère (Ou sa sœur, ou sa tante, ou sa voisine, ou l'amie de sa mère) elle ne portait rien du tout, à part ses vêtements et un bébé pas encore né mais que ça ne tarderait pas et qui lui faisait un ventre tout rond à l'intérieur du Mousse-Café.
Un chocolat chaud pour lui et un café pour elle leur fut apportés par la serveuse. (Là j'ai un doute... est-ce que "apporté" prend un "S" ou pas?... Ça me fait chier ce genre de doute. C'est dans ces moments que je regrette de ne pas avoir travaillé plus fort à l'école. Remarquez, je pourrais vérifier dans je ne sais quel bouquin traitant de l'art de la conjugaison mais ça serait long et chiant. Et puis il est tard et je ne voudrais pas déranger mes livres qui doivent déjà dormir.) Le gamin s'est levé et est revenu quelques secondes plus tard avec une paille. C'est vrai que lorsqu'on a dix ans, boire un chocolat chaud avec une paille, c'est bien meilleur.
J'étais juste derrière eux.
À ma droite, il y avait la vieille madame gouine qui vient généralement toujours avec sa vieille copine gouine mais qui était seule pour une fois. Elle vient regarder les parties en faisant les mots croisés du Journal de Montréal pendant que sa copine gouine se ronge les ongles dès que le jeu se déroule dans la zone des Canadiens. Je me demande ce qui est arrivé à sa copine.
C'était la première fois que je la voyais cette année. Je n'ai pas osé lui demander pourquoi elle était toute seule.
Elle était contente de me revoir.
Moi aussi d'ailleurs.
Je crois que ça vient du fait que lorsqu'on vieillit, on apprécie que certaines choses ne changent pas. Dans la communauté du Mousse-Café, pendant les parties de hockey, les habitués sont aussi importants que les parties de hockey justement. Ça fait comme une petite famille informelle que l'on fréquente pendant trois périodes, deux ou trois fois par semaine, neuf mois par année.
Derrière moi, ce sympathique couple de retraités qui ne manquent jamais une partie. Même les plus pénibles en plein milieu du mois de février contre des équipes de fond de division. Parfois, ils viennent avec leurs enfants et leurs petits enfants. Ils sont très distingués. Et beaux aussi dans la manière qu'ils ont d'être ensemble. Le monsieur est plutôt discret tandis que sa femme est plus démonstrative. Surtout quand le jeu est corsé. Elle fait des "Hon!" et des "Ha!" très jolis quand la rondelle vient tout près de rentrer dans le filet. J'étais très content de les revoir lors du premier match de la saison et on a fait un brin de causette. Nous parlions de N... et de C..., d'autres habitués que nous ne voyons plus depuis les dernières parties de la dernière saison.
Et juste comme ça, j'aimerais souligner ici que la dame est une fort jolie dame qui porte sa soixantaine avec un charme indéniable. Si j'avais quatre-vingt ans, j'en tomberais facilement amoureux. Ça, c'est certain.
Il manquait D..., l'Algérien qui est toujours tout seul avec son crâne chauve que c'est pas de sa faute parce qu'il n'y a plus de cheveux dessus. Ça m'a pris un an pour l'apprivoiser et qu'il vienne à ma table. Un bon mec. Je crois qu'il est seul dans sa vie et qu'il se fait un peu chier. Il aime le hockey parce que ça lui rappelle le foot mais en plus rapide.
Ils disent tous ça quand ils viennent d'Europe ou d'Afrique.
Même ceux qui sont réfugiés politique.
Le hockey, c'est le meilleur outil d'intégration pour les émigrants. C'est ce que m'avait dit un jour mon ami Gilou qui était émigrant mais qui est surtout mort aujourd'hui. Mais ce n'est pas de sa faute. Il voulait vivre mais son cœur en a décidé autrement à 46 ans. Il avait un bon cœur, mais faible en quelque part. Ça vient sans doute du fait que tout le monde l'aimait. Pour un humble, c'est difficile à supporter.
(Salut p'tit Gilou. Je pense à toi souvent.)
Au service, il y avait une nouvelle qui faisait équipe avec Faimoipachietta (que j'ai baptisé ainsi parce qu'elle ne se fait pas chier avec les clients qui lui manquent de respect. J'adore Faimoipachietta parce qu'elle a un caractère de cochon mais qui est sympa comme tout une fois qu'elle t'as adopté. Elle m'a payé une assiette de chips juste pour moi tout seul lors du dernier match. C'est pour dire!) La nouvelle s'est bien démerdée et je crois qu'elle sera digne des serveuses du Mousse-Café. Il faut juste qu'elle apprenne comme les autres à me servir mon allongé avec un crème sans me le demander.
Ça viendra.
J'ai bon espoir.
Je vais lui laisser sa chance.
Pendant la présentation des joueurs, juste avant que la partie ne débute, le gamin devant moi a pointé Kovalchuk à l'écran en disant à sa mère (Ou sa sœur, ou sa tante, ou sa voisine, ou l'amie de sa mère) "C'est lui Kovalchuk!"
Brave gamin!
Sympathique relève!
En voilà un qui sait déjà faire la différence entre un bon joueur et un pousseux d'puck. Il s'est dépêché à tourner les pages de son cartable pour trouver la carte de Kovalchuk et la montrer à sa mère (Ou sa sœur, ou sa tante, ou sa voisine, ou l'amie de sa mère) qui sans doute n'en avait rien à foutre mais qui trouvait le moment tellement magnifique. Elle savait, c'est certain, que les années passent tellement vite et que dans deux ou trois ans son petit blondinet de fils (ou de frère, ou de neveu, ou de voisin, ou de fils de son amie) sera devenu ado et que jamais plus il ne sera aussi ouvertement et naïvement fébrile devant elle. Elle le savait comme je le sais, comme tous les parents le savent. C'est pour ça je crois qu'en regardant la photo du joueur dont elle se câlissait bien du nom comme du numéro, elle lui a passé tendrement la main dans les cheveux. Je crois que j'ai été le seul à voir cette scène dans le Mousse-Café.
Entre la première et la deuxième période, je suis sorti du Mousse-Café pour aller chercher un truc dans ma voiture. Un paquet de cartes de hockey d'une édition spéciale pour le centième anniversaire du club de hockey des Canadiens. J'avais acheté ça sur un coup de tête, sans trop savoir pourquoi. La chose traînait dans mon coffre à gants depuis des mois. Je l'ai refilé au gamin qui avait une tête toute blonde et qui me rappelait moi quand j'avais dix ans.
Il était content.
Très content.
Il m'a remercié.
Trois fois.
Sa mère (Ou sa sœur, ou sa tante, ou sa voisine, ou l'amie de sa mère) aussi.
Une fois.
Avec son ventre rond qui contenait un bébé dedans.

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