Texte rédigé au chalet samedi soir.
Une grande gueule s'est éteinte et je suis un peu tristounet. Falardeau, celui qui la portait, est mort. D'un cancer paraît-il. Mais j'en doute. Le cancer n'y est pour rien. On dit ça pour les médias parce qu'il faut bien mourir de quelque chose. Ne serait-ce que pour écrire un truc officiel sur les papiers médicaux. Moi je crois plutôt qu'il est mort d'une colère jamais apaisée mais comme ce n'est pas encore une maladie officiellement homologuée dans le grand livre de la médecine moderne, on lui a trouvé ce cancer et puis voilà. Les articles et les commentaires sur son départ peuvent maintenant pleuvoir.
Impossible d'ailleurs de vivre 100 ans en ne respirant que pour ces combats perdus d'avance. Rare sont ceux qui y arrivent. Michel Chartrand est de ceux-là même s'il n'a que 92 ans. Mais rendu à cet âge vénérable, on ne chipotera pas pour une décennie de plus ou de moins. (Quoi qu'aux dernières nouvelles, il serait très malade) Mais les combats eux restent toujours à faire. Il y a autant d'iniquités aujourd'hui qu'il y en avait il y a 70 ans, quand Chartrand débutait ses premières luttes sociales. Et le Québec reste toujours une province aujourd'hui, exactement comme ce qu'elle était il y a 40 ans quand Falardeau tournait ses premières œuvres engagées.
La grande gueule à Falardeau s'est éteinte. Ça me fait tout drôle de me dire que je n'entendrai plus jamais ces mots qui bousculaient rondement l'univers aseptisé de cette rectitude politique qui non seulement aura contaminé nos médias, mais qui s'est surtout introduite à notre insu jusque dans notre manière de penser. Falardeau, en homme libre qu'il était, se donnait encore le droit d'appeler un chat un chat. On pouvait ne pas être d'accord avec lui, mais tout le monde, et à commencer par ses ennemis, enviait cette liberté de parler qu'il utilisait comme une arme redoutable. Parfois maladroitement, c'est vrai, mais toujours avec la même fougue et toujours sans le moindre compromis.
Jusqu'au bout. Jusqu'à son dernier soufle.
Pour ça, il était beau même dans sa vulgarité la plus éclatante.
Une anecdote comme ça, pour illustrer le personnage qu'il était. Il s'était présenté aux funérailles de Trudeau, son ennemi juré. En réponse à une journaliste qui lui demandait ce qu'il faisait là, il avait répondu qu'il tenait à être présent pour s'assurer que le bonhomme était bien mort et qu'il ne se réveillera pas au dernier moment, qu'il voulait s'assurer qu'on visse bien comme il faut les planches du cercueil et qu'on l'enfouisse ensuite bien profond dans la terre.
Avouons que ça prenait un sapré culot pour dire ça dans un contexte comme celui-là.
Sa grande gueule et son personnage de Don Quichotte de l'indépendance qui allait avec aura fait oublier trop souvent le très grand réalisateur qu'il était, sans doute l'un des plus marquants de sa génération. Devant se démerder avec des budgets souvent dérisoires en raisons des refus et des contraites imposés par les fonctionnaires des institutions fédérals, (à cause des sujets politiquement délicats qu'il traitait dans ses œuvres) chacun de ses films étaient de véritables tours de force d'accomplissement. Ne jamais oublier que pendant qu'on lui refusait des subventions pour cause de "faiblesse du scénario", on accordait au même moment des sommes considérables à des réalisateurs médiocres pour tourner des navets finis. Il avait un peu raison de crier à la censure.
Falardeau dérangeait. Falardeau disait souvent d'énormes bêtises. Falardeau faisait preuve d'un irrespect parfois troublant pour les gens, morts ou vivants. Je me souviens que son papier sur la mort de Claude Ryan m'avait laissé une désagréable impression. Je me souviens qu'à en discutant avec ma fille, nous en avions conclu qu'il avait dépassé les bornes de l'acceptable. Saluer la mort d'un adversaire politique en le traitant de pourriture, c'était pour moi du jamais vu. La limite que d'instinct on ne dépasse pas, lui non seulement il l'avait dépassée, mais en plus, il l'avait atomisée.
Il y avait dans ce geste un je ne sais quoi d'un Cyrano déjanté. Grandiose de vulgarité, prodigieusement irrespectueux. Tu as 40 et quelques années et tu crois avoir tout vu, tout entendu. Mais c'était sans compter sur ce bougre de Falardeau qu'y s'en va cracher sur une dépouille encore chaude.
Un jour que je me promenais au cimetière sur la montagne, je suis tombé sur la tombe de Mordechai Richeler. Bien qu'étant un écrivain majeur, je détestais l'homme pour ses propos racistes et mensongers qu'il se plaisait à raconter sur les francophones québécois. Ce jour là, j'étais seul et je regardais la pierre tombale du créateur de Duddy Cravitz en me disant que je pourrais bien lui offrir, en guise de gerbe morturaire, un glaviot bien consistant que je raclerais juste pour lui du fond de ma gorge. Cracher sur une tombe de raciste, je n'y voyais aucune raison de ne pas le faire. Mais je me souviens d'avoir hésité un moment. Puis j'ai tourné les talons sans lui léguer ma salivaire aversion. Quelque chose au fond de moi m'avait interdit de poser un geste aussi symbolique, même si je n'aurais été le seul à le savoir. Ce fut plus fort que moi, sans doute un relent de mon lointain passé catholique. Un mort est un mort et on ne profane pas le repos éternel. Cracher sur cette tombe m'aurait fait la même impression que de cracher sur ma conscience.
Falardeau lui, il crachait, peu importe si le corps était vivant ou mort. En quelque part, et même si je n'aprouvais pas quand elle se manifestait par l'outrage, j'admirais cette fidélité indéfectible à ses idées.
Salut Falardeau!
Salut Grande Gueule!
Une grande gueule s'est éteinte et je suis un peu tristounet. Falardeau, celui qui la portait, est mort. D'un cancer paraît-il. Mais j'en doute. Le cancer n'y est pour rien. On dit ça pour les médias parce qu'il faut bien mourir de quelque chose. Ne serait-ce que pour écrire un truc officiel sur les papiers médicaux. Moi je crois plutôt qu'il est mort d'une colère jamais apaisée mais comme ce n'est pas encore une maladie officiellement homologuée dans le grand livre de la médecine moderne, on lui a trouvé ce cancer et puis voilà. Les articles et les commentaires sur son départ peuvent maintenant pleuvoir.
Impossible d'ailleurs de vivre 100 ans en ne respirant que pour ces combats perdus d'avance. Rare sont ceux qui y arrivent. Michel Chartrand est de ceux-là même s'il n'a que 92 ans. Mais rendu à cet âge vénérable, on ne chipotera pas pour une décennie de plus ou de moins. (Quoi qu'aux dernières nouvelles, il serait très malade) Mais les combats eux restent toujours à faire. Il y a autant d'iniquités aujourd'hui qu'il y en avait il y a 70 ans, quand Chartrand débutait ses premières luttes sociales. Et le Québec reste toujours une province aujourd'hui, exactement comme ce qu'elle était il y a 40 ans quand Falardeau tournait ses premières œuvres engagées.
La grande gueule à Falardeau s'est éteinte. Ça me fait tout drôle de me dire que je n'entendrai plus jamais ces mots qui bousculaient rondement l'univers aseptisé de cette rectitude politique qui non seulement aura contaminé nos médias, mais qui s'est surtout introduite à notre insu jusque dans notre manière de penser. Falardeau, en homme libre qu'il était, se donnait encore le droit d'appeler un chat un chat. On pouvait ne pas être d'accord avec lui, mais tout le monde, et à commencer par ses ennemis, enviait cette liberté de parler qu'il utilisait comme une arme redoutable. Parfois maladroitement, c'est vrai, mais toujours avec la même fougue et toujours sans le moindre compromis.
Jusqu'au bout. Jusqu'à son dernier soufle.
Pour ça, il était beau même dans sa vulgarité la plus éclatante.
Une anecdote comme ça, pour illustrer le personnage qu'il était. Il s'était présenté aux funérailles de Trudeau, son ennemi juré. En réponse à une journaliste qui lui demandait ce qu'il faisait là, il avait répondu qu'il tenait à être présent pour s'assurer que le bonhomme était bien mort et qu'il ne se réveillera pas au dernier moment, qu'il voulait s'assurer qu'on visse bien comme il faut les planches du cercueil et qu'on l'enfouisse ensuite bien profond dans la terre.
Avouons que ça prenait un sapré culot pour dire ça dans un contexte comme celui-là.
Sa grande gueule et son personnage de Don Quichotte de l'indépendance qui allait avec aura fait oublier trop souvent le très grand réalisateur qu'il était, sans doute l'un des plus marquants de sa génération. Devant se démerder avec des budgets souvent dérisoires en raisons des refus et des contraites imposés par les fonctionnaires des institutions fédérals, (à cause des sujets politiquement délicats qu'il traitait dans ses œuvres) chacun de ses films étaient de véritables tours de force d'accomplissement. Ne jamais oublier que pendant qu'on lui refusait des subventions pour cause de "faiblesse du scénario", on accordait au même moment des sommes considérables à des réalisateurs médiocres pour tourner des navets finis. Il avait un peu raison de crier à la censure.
Falardeau dérangeait. Falardeau disait souvent d'énormes bêtises. Falardeau faisait preuve d'un irrespect parfois troublant pour les gens, morts ou vivants. Je me souviens que son papier sur la mort de Claude Ryan m'avait laissé une désagréable impression. Je me souviens qu'à en discutant avec ma fille, nous en avions conclu qu'il avait dépassé les bornes de l'acceptable. Saluer la mort d'un adversaire politique en le traitant de pourriture, c'était pour moi du jamais vu. La limite que d'instinct on ne dépasse pas, lui non seulement il l'avait dépassée, mais en plus, il l'avait atomisée.
Il y avait dans ce geste un je ne sais quoi d'un Cyrano déjanté. Grandiose de vulgarité, prodigieusement irrespectueux. Tu as 40 et quelques années et tu crois avoir tout vu, tout entendu. Mais c'était sans compter sur ce bougre de Falardeau qu'y s'en va cracher sur une dépouille encore chaude.
Un jour que je me promenais au cimetière sur la montagne, je suis tombé sur la tombe de Mordechai Richeler. Bien qu'étant un écrivain majeur, je détestais l'homme pour ses propos racistes et mensongers qu'il se plaisait à raconter sur les francophones québécois. Ce jour là, j'étais seul et je regardais la pierre tombale du créateur de Duddy Cravitz en me disant que je pourrais bien lui offrir, en guise de gerbe morturaire, un glaviot bien consistant que je raclerais juste pour lui du fond de ma gorge. Cracher sur une tombe de raciste, je n'y voyais aucune raison de ne pas le faire. Mais je me souviens d'avoir hésité un moment. Puis j'ai tourné les talons sans lui léguer ma salivaire aversion. Quelque chose au fond de moi m'avait interdit de poser un geste aussi symbolique, même si je n'aurais été le seul à le savoir. Ce fut plus fort que moi, sans doute un relent de mon lointain passé catholique. Un mort est un mort et on ne profane pas le repos éternel. Cracher sur cette tombe m'aurait fait la même impression que de cracher sur ma conscience.
Falardeau lui, il crachait, peu importe si le corps était vivant ou mort. En quelque part, et même si je n'aprouvais pas quand elle se manifestait par l'outrage, j'admirais cette fidélité indéfectible à ses idées.
Salut Falardeau!
Salut Grande Gueule!
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