vendredi 28 novembre 2008

Hochelaga-Maisonneuve blues encore et encore.

Il est près de 1h30 du matin et j'écris un petit texte pour mon blogue. J'entends des hurlements dans la rue. Au début, je crois qu'il s'agit d'un chien qui hurle de douleur. J'ouvre la porte de ma chambre qui donne sur le balcon, je regarde dans la rue, je ne vois rien et je n'entends plus rien. Je referme la porte et je reviens à mon texte. Une odeur de pieds me monte au nez. Ce sont les miens.
Mais quelques minutes plus tard, ça repart de plus belle. Et cette fois, je sais que ce n'est pas un chien. C'est une femme qui hurle comme je n'ai jamais entendu aucun être humain hurler ainsi avant. Même dans les films. Je me précipite sur le balcon et je suis prêt à descendre dans la rue pour aller porter secours. Il y a une femme qui se fait agresser que je me dit, c'est certain.
Le balcon est mouillée parce que la neige qui tombe se transforme en eau. Je ne suis qu'en chaussettes mais bon, ce n'est pas grave. Pour sauver une femme en danger, je n'hésiterai pas à y aller avec ou sans souliers. Mais quand même, c'est drôlement froid.
C'est effectivement une femme qui hurle. L'une des putes du coin. Elle est seule et elle hurle. Je vois sa silhouette se découper dans la pénombre glaciale de la nuit par la réverbération des lumières de la rue Ontario. Elle est seule et elle hurle. Elle tourne sur elle-même, s'accroupit, tape le trottoir de ses deux mains, se relève, fait encore deux ou trois tours sur elle-même, tape du pied, frappe le vide avec ses deux poings, et elle hurle. Elle hurle à là mort et elle semble complètement possédée. Elle fait trois pas vers la gauche, puis trois pas vers la droite, revient à son point de départ, tape de ses deux poings contre le mur de briques sur lequel elles ont l'habitude de s'appuyer, hurle, hurle et hurle encore.
Je ne vois personne d'autre qu'elle sur le trottoir.
Puis une voiture arrive et s'immobilise près d'elle. Un type qui conduit cette voiture a vu la même chose que moi. C'est à dire une pauvre femme complètement défoncée et à deux doigts de l'internement. Pourtant, il arrête sa voiture, baisse la vitre du côté passager et je le vois qui interpelle la femme. Celle-ci se calme un peu, cesse de crier, tourne encore sur elle même comme un chien qui court après sa queue et s'allume une cigarette. Elle prend une longue bouffée avant de recracher la fumée dans le ciel en laissant tomber sa tête vers l'arrière et une fois cette chose faite, une fois le calme revenue, elle se dirige vers la voiture. Une brève discussion entre elle et le chauffeur s'en suit. Elle prend une autre bouffée de sa cigarette, jette ensuite le mégot par terre en l'écrasant de son pied comme on le fait pour un insecte nuisible et monte dans la voiture. Celle-ci repart et puis c'est tout.
Je viens de voir tout ça devant mes yeux. Je suis sur la balcon et il est 1h30 du matin et c'est le 28 novembre. J'ai les pieds mouillés et si je reste plus longtemps comme ça, je suis bon pour la grippe.
Je rentre, je change mes chaussettes. L'odeur de pieds disparaît du même coup.

Tant qu'il existera, par le fait des lois et des moeurs, un damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d'une fatalité humaine la destinée qui est divine; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l'homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l'atrophie de l'enfant par la nuit, ne seront pas résolus; tant que, dans certaines régions, l'asphyxie sociale sera possible; en d'autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu'il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.

Victor Hugo
Hauteville-House,
1er Janvier 1862
Préface du roman Les Misérables.

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