Ronde de nuit dans mon quartier.
Les voitures se suivent lentement dans un triste carrousel autour des vertus humiliés.
Au loin, le tonnerre gronde mais il ne pleut pas encore.
L'air est lourd dans Hochelaga-Maisonneuve ce soir.
Au dépanneur du coin, la petite Vietnamienne semblait morte de fatigue.
Les yeux cernés, le regard vide, indifférente aux clients comme moi qui achetaient leurs bières pour oublier quelque chose.
Ou alors pour trouver le sommeil, ce qui revient un peu au même quand on y pense.
Le ventilateur qu'elle avait placé près de la caisse pour se rafraîchir semblait aussi fatigué qu'elle.
Seule une mèche de ses cheveux ondulait sous les révolutions syncopées de l'hélice General Electric.
L'incontournable parfum de la place, poussière et carton moisie, semblait décuplé par la canicule.
La porte qui donne près de la caisse était entr'ouverte.
J'ai vu par l'entrebâillement de celle-ci le reflet bleutée d'une télé allumée qui jouait en sourdine je ne sais quelle chinoiserie.
Et puis aussi une table encombrée d'assiettes sales.
J'ai pensé que c'était là qu'elle passait le plus gros de ses temps libres, quinze heures par jour, sept jours sur sept.
Si j'avais été juste un peu plus déprimé qu'à l'ordinaire, j'aurais essayé de calculer le temps sur une année.
Et si j'avais été vraiment déprimé, j'aurais essayé de calculer la portion de sa vie en années qu'elle a passé ou qu'elle passera là-dedans.
Les balcons sont occupés par les vieux locataires qui cherchent un peu de fraîcheur dans cette moiteur tropicale.
Il n'y a pas de vent, ou alors cette légère brise que font les voitures qui tournent en rond.
Un vent mauvais.
Le vieux d'en bas, celui que sa fille oblige à fumer ses cigarettes sur le balcon été comme hiver, semblait plus amorphe qu'à l'ordinaire.
Il était affalé sur sa vieille chaise, la bouche ouverte, la casquette de travers.
Je lui ai envoyé un signe de la main, un peu par politesse et beaucoup pour m'assurer qu'il était encore en vie.
Il m'a répondu aussitôt et j'étais un peu soulagé.
En montant les escaliers tout en observant sa silhouette entre les marches, je me suis demandé s'il lui arrivait de penser au fait que sa vie est techniquement terminée au sens où la société entend justement ce mot:
vie.
Qu'il ne sert plus à rien, ou alors à soulager le loyer de sa fille de quelques dollars par mois.
Qu'il est désormais considéré comme une charge pour l'état.
Qu'il ne grimpera plus jamais de montagne l'été avec un sac sur le dos.
Qu'il n'ira plus jamais à la pêche.
Qu'il ne fera plus jamais l'amour à une femme.
Je suis sur ma table à dessin et j'écris ce texte.
La pluie tombe maintenant mais l'on devine que cela ne rafraîchira pas la nuit qui vient.
Il y a de la retenue dans cette averse.
C'est dimanche et le quartier ressemble à ses habitants.
À ceux qui vivent pour travailler.
À ceux qui se vendent pour vivre.
Et à ceux qui ne vivent presque plus.
Les voitures se suivent lentement dans un triste carrousel autour des vertus humiliés.
Au loin, le tonnerre gronde mais il ne pleut pas encore.
L'air est lourd dans Hochelaga-Maisonneuve ce soir.
Au dépanneur du coin, la petite Vietnamienne semblait morte de fatigue.
Les yeux cernés, le regard vide, indifférente aux clients comme moi qui achetaient leurs bières pour oublier quelque chose.
Ou alors pour trouver le sommeil, ce qui revient un peu au même quand on y pense.
Le ventilateur qu'elle avait placé près de la caisse pour se rafraîchir semblait aussi fatigué qu'elle.
Seule une mèche de ses cheveux ondulait sous les révolutions syncopées de l'hélice General Electric.
L'incontournable parfum de la place, poussière et carton moisie, semblait décuplé par la canicule.
La porte qui donne près de la caisse était entr'ouverte.
J'ai vu par l'entrebâillement de celle-ci le reflet bleutée d'une télé allumée qui jouait en sourdine je ne sais quelle chinoiserie.
Et puis aussi une table encombrée d'assiettes sales.
J'ai pensé que c'était là qu'elle passait le plus gros de ses temps libres, quinze heures par jour, sept jours sur sept.
Si j'avais été juste un peu plus déprimé qu'à l'ordinaire, j'aurais essayé de calculer le temps sur une année.
Et si j'avais été vraiment déprimé, j'aurais essayé de calculer la portion de sa vie en années qu'elle a passé ou qu'elle passera là-dedans.
Les balcons sont occupés par les vieux locataires qui cherchent un peu de fraîcheur dans cette moiteur tropicale.
Il n'y a pas de vent, ou alors cette légère brise que font les voitures qui tournent en rond.
Un vent mauvais.
Le vieux d'en bas, celui que sa fille oblige à fumer ses cigarettes sur le balcon été comme hiver, semblait plus amorphe qu'à l'ordinaire.
Il était affalé sur sa vieille chaise, la bouche ouverte, la casquette de travers.
Je lui ai envoyé un signe de la main, un peu par politesse et beaucoup pour m'assurer qu'il était encore en vie.
Il m'a répondu aussitôt et j'étais un peu soulagé.
En montant les escaliers tout en observant sa silhouette entre les marches, je me suis demandé s'il lui arrivait de penser au fait que sa vie est techniquement terminée au sens où la société entend justement ce mot:
vie.
Qu'il ne sert plus à rien, ou alors à soulager le loyer de sa fille de quelques dollars par mois.
Qu'il est désormais considéré comme une charge pour l'état.
Qu'il ne grimpera plus jamais de montagne l'été avec un sac sur le dos.
Qu'il n'ira plus jamais à la pêche.
Qu'il ne fera plus jamais l'amour à une femme.
Je suis sur ma table à dessin et j'écris ce texte.
La pluie tombe maintenant mais l'on devine que cela ne rafraîchira pas la nuit qui vient.
Il y a de la retenue dans cette averse.
C'est dimanche et le quartier ressemble à ses habitants.
À ceux qui vivent pour travailler.
À ceux qui se vendent pour vivre.
Et à ceux qui ne vivent presque plus.
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