vendredi 16 mai 2008

Truite brune

Pêche au chalet. C'est le temps de l'année où les truites remontent la rivière. Faut être patient par contre parce qu'elles ne mordent pas comme ça, simplement en leur balançant un leurre. Il faut leur parler, les prier, les inviter et leur chanter des petites chansons. Ça aide parfois. Surtout des chansons françaises. Moi, j'aime bien leur chanter "Je Cruel" de Renaud. Elles aiment ça.

"Quand elle est montée sur ma mouche, je l'ai ferrée comme un salaud. Mais je l'ai embrassée sur la bouche, avant de la remettre à l'eau. Ma jolie farouche, retourne vite te planquer. Sous un caillou, sous une souche. Pour vivre libre vis planquée. Tu viens d'échapper à la mort; te crois pas pour autant sauvée. Chaque fois que revient l'aurore, c'est la vie le vraie danger..."

Alors j'étais là, sur le bord de la rivière et je lançais ma ligne tandis que mes pensées vagabondaient au rythme du courant et des chansons que je massacrais à voix haute. Ça faisait trente minutes que j'explorais chaque recoin, chaque plan d'ombre, chaque fausse, chaque coude en espérant attirer à moi le poisson. - Laissez venir à moi les poissons car mon paradis leur appartient. Et mon paradis, il est dans un poêlon avec des oignons et un peu de sel. Et puis un petit Sauvignon Blanc de derrière les fagots pour arroser tout ça. Amen - Puis le voilà qui sort de l'ombre et qui se met à suivre mon leurre! Mais au lieu d'attaquer mon hameçon, je le vois qui cherche à mordre ma cuillère! Putain le con! Ou plutôt la conne puisqu'il s'agissait d'une truite! Je lui relance la chose et une fois de plus, elle se fout de mon vers comme si c'était de la merde (un putain de beau vers en plus! Bien gros et bien tentant!) et n'en a que pour ma cuillère (Lake Clear rouge et argent, les meilleures dit-on pour la truite...) Saloperie! Je ne fait ni un ni deux et en trois secondes, je retire ma Lake Clear pour la remplacer par quoi vous pensez? Hein? Par quoi? Oui! Une petite cuillère rouge et blanche munie d'un hameçon à trépieds! Et ça n'a pas traîné! Dès que je lui lance mon leurre vieux de 300 000 ans mais avec lequel plus personne à part moi ne pêche parce qu'ils trouvent que c'est dépassé, BANG! Elle saute dessus et trois secondes après, je l'embrasse sur la bouche en criant ma joie.
- Wooouuuaaaahhhh! Moi heureux! Moi vivre! Moi fils de Crao et moi homme qui marche debout! Moi ex chasseur de mammouth devenu 10 000 ans plus tard chasseur de truites! Hugh! (En passant, mes ancêtres chassaient le mammouth avec une putain de grosse cuillère rouge et blanche. Ça marchait déjà à cette époque.)
Je ne l'ai pas tuée tout de suite. Je l'ai attachée bien comme il faut à ma corde et je l'ai remis à l'eau pour la garder le plus longtemps possible au frais. J'ai fixé la corde à un arbre et je la regardais se débattre. J'ai allumé une clope (oui je sais, je n'ai toujours pas arrêté) et j'ai contemplé ma proie.
- T'es à moi petite truite, que je lui dit. Toute résistance est futile.
- Libère-moi et je te donne la moitié de ma fortune.
- Qu'est-ce que tu racontes là?
- Le trésor des sudistes, qu'elle me dit en me regardant avec son oeil louche. 50 millions de $ en lingots d'or. Il est enterré dans un cimetière près de Chamberino au Nouveau Mexique. Je connais le nom du cimetière mais toi, tu connais le nom de la tombe. Faisons équipe et partageons le magot ensemble. On traversera ensuite la frontière et on ira se marier au Mexique pour vivre riches le reste de nos jours.

Elles sont comme ça les truites brunes. Elles racontent n'importe quoi pour ne pas terminer dans un poêlon avec une petite sauce au vin blanc.

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