jeudi 20 mars 2008

Suite des papillons.

Quand elle est arrivée, elle avait un bouquet de fleurs à la main et un grand sourire au visage. C'était pour moi les deux. Le sourire et le bouquet. Homme choyé. C'est la première fois de ma vie que quelqu'un me donne un bouquet de fleurs. Je me sentais comme une gonzesse dans cette situation inversée et pour peu, je me serais inquiété de mon poids et du volume de mes fesses. Ce sont des marguerites, pareilles à celles qui poussent au chalet l'été. C'est ce genre de fille là, de celles qui font pousser les fleurs en hiver. C'est plutôt rare à trouver.
- T'as un vase pour les mettre me demanda-t-elle?
Comment aurais-je pu avoir un vase à fleurs puisque justement, on ne m'a jamais donné de fleurs de ma vie? Et puis j'suis un mec et c'est bien connu que les mecs n'achètent ni vase ni fleurs. Ou alors seulement pour se faire pardonner quelque chose. Mais comme je suis seul depuis plus d'un an, j'ai personne d'assez proche autour de moi à qui me faire pardonner quelque chose. Trouvez-moi une femme que je puisse aimer et j'arriverai sans doute à lui faire une bêtise un de ces jours qui mériterait une demande de pardon. Du coup, j'achèterai des fleurs et logiquement, le vase aussi. Mais là, l'équation est simple et le résultat est que je n'ai pas de vase. J'ai des carafes à vin par contre.
- Ça fera l'affaire.
Je me suis précipité dans la cuisine pour trouver la chose. Ça tombait bien, j'avais déballé tout un tas de cartons depuis deux jours en prévision de sa visite. Dans le lot, il y a avait quelques carafes.
- Faut couper les tiges qu'elle me dit en riant alors que j'essayais de rentrer le gros paquet de tiges par le goulot sans même avoir enlever l'élastique qui les retenait.
- Ah bon? Tu veux le faire parce que moi, j'y connais rien.
Je lui ai proposé mes ciseaux, elle m'a plutôt suggérer un couteau. Question de ne pas écraser les tiges en les sectionnant. Je ne savais pas ça non plus. C'est fou ce que ça demande de science pour faire un beau bouquet. Je lui ai refilé mon Rapala, couteau de pêche hyper affilé que t'as pas intérêt à te mettre les doigts sur la lame ou alors tu te les fait sectionner vite fait bien fait. Elle a coupé les tiges, mis un peu d'eau dans la carafe, recomposant le bouquet en sélectionnant une par une les fleurs et a déposé le tout sur la table, près de mon vieux moulin à café qui ne sert plus que de déco. Elle m'a ensuite demandé un petit contenant pour trois petites fleurs qu'elle avait mises à part. Je lui ai refilé une coupe à porto et elle en a fait un joli petit bouquet miniature qu'elle a été déposer sur la table près de la porte d'entrée. C'est mignon comme tout et je me suis dit que c'est magique une fille. Elle par exemple, il lui a suffit de trois minutes de présence dans mon logement pour que celui-ci se parfume de fleurs et se drape de pétales. Comment elles font ça? C'est dingue!
On s'est fait des fromages de chèvres qui puaient grave et qui se défendaient comme des lions enragés chaque fois qu'on s'en coupait un morceau. Y en a même un qui m'a mordu la cuisse. Et puis aussi un gâteau qui devait peser trois tonnes tellement il était costaud. Un amalgame de chocolat et de sucre. Sorte de savoureux croisement culinaire entre le diabète et la crise de foie. Un délice! On l'a bénie avec un Jurançon liquoreux qui coulait dans le gosier comme une pure merveille. Chaque gorgée était une expérience extraordinaire. Avec elle pour partager ce moment, nos chaises collées pour être près l'un de l'autre comme deux gamins, ça chatouillait la divinité. Même que j'ai vu la silhouette de Dieu Le Père Du Meuble nous épier par la fenêtre de la cuisine en se frottant les mains de satisfaction. Il semblait heureux pour nous, content de nous avoir mis l'un et l'autre sur le même chemin. Je l'ai reconnu à l'odeur du tabac Gitane qu'il fume dans son papier Zigzag, comme tous les intellos de gauche de sa race d'ailleurs. Scoop que je divulgue ici gratuitement, comme ça, parce que je suis un bon mec et que c'est souvent mon pire défaut.
Les trous noirs dans le cosmos, le réchauffement de la planète, la fonte des glaciers, la déforestation de l'Amazonie, le SIDA en Afrique, Mario Dumont, enfin, toutes ces catastrophes n'existent plus quand on vit un moment comme ça avec une fille comme elle. Et puis elle rit toutes mes blagues et c'est un signe d'intelligence vive et d'un bon goût certain.

Dans la soirée, un papillon est venu se déposer sur son épaule.

Une heure après son départ, mon logement était encore remplie de son parfum, des ses rires, de ses gestes. Je terminais doucement le Jurançon en pensant à elle.
- Elle est belle dis-donc, me dit alors mon fromage de chèvre, le plus coriace de la bande, celui qui pue grave le vomi de chien.
- Ouais, et puis elle a toute une tête sur les épaules. Épaules qu'elle portent joliment d'ailleurs.
- T'as de la chance. Oh, tu me refiles la bouteille histoire que je me rince la gueule un coup?
Au même moment, ça frappe à la porte.
- Je peux entrer?
C'était Dieu.
- Vas-y vieux, t'es comme chez toi ici, lui répondit mon fromage.
J'ai fait de la place autour de la table et j'ai ouvert une autre bouteille parce que je sais que Dieu est un fieffé poivrot de gauche. Le genre de mec qui s'amuse à changer l'eau en vin juste pour le plaisir de la chose. Un brave type dans le fond. Un peu naïf mais bon, il fait ce qu'il peut avec les moyens qu'il a.
- Ça fait un bail, que je lui dit en lui versant une longue rasade de pinard. Je te croyais mort depuis le temps.
- C'est le boulot qui devient de plus en plus prenant. Ça chie de partout en ce moment et on a pas assez de personnel pour fournir à la tâche. On a même été obligé de fermer nos bureaux en Irak et au Congo. C'est grave. Je dois être partout à fois et il y a des jours où le don d'ubiquité ne suffit pas.
- Et puis le réchauffement de la planète, ajouta le fromage tout en vidant sa coupe.
- On s'en tape du réchauffement! Qu'est-ce que j'ai à voir là dedans moi? Faites chier avec votre réchauffement de merde. Y en marre à la fin.
J'ai changé de sujet parce que je voyais bien que ça allait dévier vers des empoignades à ne plus finir et j'ai subtilement dévié la chose sur les exploits de Kovalev et du Canadiens.
- Quelle transformation dans son attitude cette année! On dirait que c'est un tout autre joueur, dis-je en leur offrant un morceau de gâteau.
Dieu s'est passé la main dans les cheveux après avoir déposé négligemment son auréole sur la table, près de la carafe dans laquelle baignaient mes marguerites.
- Ouais, on a eu une petite discussion lui et moi en septembre. Je crois qu'il a comprit. Il fallait que je redonne à cette équipe le glorieux verni qui lui manquait tant depuis les dernières années. J'ai spécialement embauché le Rocket à cet effet. Il travaille sur le dossier depuis son bureau du septième ciel.
On a parlé comme ça pendant tout une heure. Après avoir terminé les bouteilles, le fromage a proposé qu'on poursuive cette discussion dans un bar de danseuses de la rue Ontario. Moi je ne voulais pas mais Dieu était partant. Le vin et la discussion l'avaient remis sur pied. Même qu'il s'est proposé pour payer le taxi. J'ai pas pu refuser. C'est le genre de mec qui n'aime pas ça. Paternaliste et tout. Chiant un peu.
L'endroit était glauque et louche, un vrai repère de motards. Le genre de place où l'on te fouille à l'entrée pour voir si tu n'as pas d'arme sur toi. Et si t'en as pas, ils t'en fournissent une par simple précaution. C'est pour les assurances qu'ils disent. Le fromage coulait juste à voir les filles et on a été obligé de le remettre dans son papier d'emballage pour ne pas qu'il nous fasse honte. Il rechigna un peu mais s'est tout de même laissé faire. Dieu a commandé trois bières et a demandé à la plus belle serveuse de venir danser à notre table. Quand vint le temps de payer, il a sorti une liasse de Dinars de sa poche. Le con!
- Fait chier merde! J'étais à Bagdad ce matin et j'ai carrément oublié de passer par le bureau de change. Oh, t'aurais pas $200 que je te rembourserai sur ton lit de mort?
J'ai sorti ma carte de crédit et j'ai payé pour mes potes. La fille a alors ramené son tabouret et s'est mise à se tortiller le cul à deux pouces du nez de Dieu qui lui soufflait dans la raie des fesses et qui trouvait ça très drôle. Le fromage, qu'on avait un peu oublié, sautillait sur sa chaise en gueulant pour qu'on le dépose sur la table pour mieux voir ce qui se passait. Ce qui fut fait un peu malgré moi qui commençait sérieusement à trouver ça lourd comme ambiance. J'ai calé ma bière et quand je suis parti, Dieu, qui venait de siffler trois bières, était en train de faire un strip tease sur la scène pendant que le fromage draguait solide la danseuse. J'ai su plus tard qu'ils avaient passé la nuit ensemble mais j'ignore si le fromage a payé pour sa nuit d'amour.
Quand je suis revenu chez moi, j'ai ouvert la porte et j'ai vu trois petites marguerites reposant dans une coupe de porto. Un papillon s'était déposé sur l'une d'elles.

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